C’est sur le tournage de Geronimo en 2014 que le comédien David Murgia rencontre le réalisateur Tony Gatlif. Acteur au théâtre, il tourne actuellement avec six spectacles différents dont Laïka réalisé en 2017, David Murgia a accepté d’endosser le rôle de Tom Medina pour Tony Gatlif, réalisateur d’une vingtaine de films comme Exils en 2004. Le point commun entre les deux hommes ? Vouloir raconter des histoires qui font sens, qui font réfléchir, qui font repenser le monde actuel. Tom Medina raconte l’histoire d’un jeune homme débarqué seul en Camargue où il apprend à se connaître, à devenir maître de son destin, parcours de vie qui n’est pas sans rappeler celui du réalisateur d’origine algérienne…
Rencontre avec David Murgia pour Tom Medina de Tony Gatlif
Cinergie : Qui est Tom Medina ?
David Murgia : C’est un jeune homme envoyé par un juge, en Camargue. Il doit y travailler avec Ulysse, un gardian, interprété par Slimane Dazi. Ce gardian va lui apprendre à s’occuper des chevaux et il va essayer de le remettre sur le droit chemin. Ayant lui-même perdu un enfant, Ulysse va aussi comprendre qui est Tom. Ce dernier va commencer à maîtriser son destin, il va rencontrer Suzanne et il va se réinventer. Par la Camargue, il va peut-être devenir enfin lui.
Cinergie : Comment s’est passée votre rencontre avec Tony Gatlif ?
David Murgia : On s’est rencontrés sur Geronimo qu’on a tourné en 2014. J’avais eu peu de jours de tournage mais suffisamment pour qu’on se rencontre sur le plateau et on s’est dit, après ça, que Tom Medina suivrait. De report en report, de version de scénario en version de scénario, d’histoires racontées et partagées, on est arrivés tout doucement à répéter en Camargue, à faire du cheval, à trier les taureaux, à découvrir cette terre, à découvrir la musique gitane.
Cinergie : L’idée de Tom Medina existait déjà depuis si longtemps ?
D. M. : L’idée de ce personnage existait depuis un moment. C’est un fragment de l'histoire de Tony Gatlif. Quand il était jeune, il avait été envoyé par un juge en Camargue alors qu’il était arrivé très jeune en France après avoir quitté l’Algérie, seul, sans famille. Alors en en lutte avec ses démons, son histoire, les gens qui le prennent pour un voyou, un coupable, un suspect permanent, Il rencontre un éducateur. Il a des souvenirs précis et tout ça s’est mélangé pour arriver à différentes versions du scénario. Assez vite, on a commencé à travailler ensemble sur ça dès 2016 plus ou moins.
Cinergie : Comment avez-vous participé à l’écriture ?
D. M. : J’ai eu le temps de lui raconter des morceaux de mon histoire, ce que moi j’ai vu pendant mon enfance, il a eu le temps de s’en imprégner, de faire de nouvelles versions. On a eu le temps de répéter ensemble en Camargue, de vivre des moments forts ensemble. On a eu la chance de se faire surprendre par des événements pendant nos répétitions, par des gens, des musiques. Tout ce vécu commun lui a amené de la matière à l’écriture.
Ensuite, il y a le plateau. Il y a ce qui est écrit et il y a comment on arrive à se rencontrer sur le plateau progressivement et comment on se fait confiance dans les improvisations. Ce que je propose est toujours induit par ce que je ressens. Tony, il faut le comprendre par les tripes, pas nécessairement intellectuellement ou dans le verbe mais dans les tripes. Il a des images, des visions et il faut essayer de les dénicher et de s’en rapprocher comme on suivrait un taureau dans des marécages.
Cinergie : On image le tournage assez "énergique". Comment s’est passée la préparation ?
D. M. : Assez énergique, physique, dense, magique, intense, surprenant, transformateur! C’était un tournage comme on voudrait qu’ils soient, c’est-à-dire des expériences de vie et de poésie qui ne vous laissent pas le choix. Ce sont des expériences entières. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi longtemps concentré sur une seule chose si bien que rien d’autre n’existait. La Camargue vous coupe de tout, on est avec la Camargue et c’est tout.
La préparation s’est passée pendant l’hiver, en octobre, novembre. J’ai dû apprendre à monter à cheval, ce qui n’était pas dans mes compétences. Dès les premiers jours, pour apprendre, j’étais au milieu d’une quarantaine de taureaux, donc je ne pouvais pas tomber ! J’étais avec des jeunes gens, trieurs de taureaux et cavaliers extraordinaires. J’ai appris à monter à « la camarguaise », qui est une manière de monter beaucoup plus tranquille et moins pointilleuse que l’équitation classique. Ça s'est fait avec le temps et je suis tombé sur un cheval qui est devenu mon ami. J’ai appris tout ça là-bas, on suit les taureaux, on les trie parce qu’ils doivent aller à l’entraînement ou se faire tester. On apprend toute la culture camarguaise qui est une façon de vivre en soi : les gitans et leur musique, ces personnes qui connaissent si bien le territoire, la poésie de là-bas, le flamenco, les Occitans. On a l’impression d’être au bout du monde!
Cinergie : Caroline Rose, qui apporte aussi un poids au film, ne chante pas vraiment du flamenco...
D. M. : Non, mais Tony Gatlif a fait l'exploit de mélanger la brutal pop de Karoline Rose avec le flamenco de Nicolas Reyes, un des chanteurs des Gipsy Kings. Tous les dimanches, on se retrouvait Chez Bob, un bar qui était occupé par les résistants pendant la guerre. Là, on a beaucoup bu, mangé, chanté, dansé. Il savait très vite qu’il voulait mélanger la fureur, la rage, les cris de Caroline Rose et sa musique avec le flamenco.
Vu que le virus est venu nous interrompre, Tony a eu le temps de faire dialoguer ces choses, on a eu des espaces. Le virus est arrivé dix jours avant la fin du tournage. Il est venu tuer toute la fin du film, ce qui faisait très peur à quelqu’un de superstitieux comme Tony. La superstition, la magie noire font même partie du film mais pour lui, un film arrêté subitement perdait son âme et ne pouvait pas reprendre mais on est quand même parvenus à le faire.
Cinergie : Ce serait le film le plus personnel de Tony Gatlif ?
D. M. : De ce que j’ai lu, c’est ce qu’il dit. Il dit que ce n’est pas un film autobiographique parce que ça l’ennuierait de raconter pleinement sa vie. Mais, c’est un film très personnel. L’éducateur, joué par Slimane Dazi, ressemble à l’éducateur que Tony a rencontré et qui lui a permis d’apprendre comment combattre son destin, comment regarder les forces droit dans les yeux comme Tom Medina regarde le taureau. Tony avait besoin d’être tiré sur certains endroits. Il y a la Camargue, l’injustice qu’il a vécue lui-même et qu’il a toujours combattue quand il l’a observée ailleurs. Récemment encore, dans le tournage en Grèce où il a vu des migrants. Tout cela l’a reconnecté avec des histoires personnelles, avec la Méditerranée, avec ses origines. Il a eu envie de croiser son histoire personnelle avec cette tragédie quotidienne qu’on observe croissante aujourd’hui.
Cinergie : C'est un sujet qui vous touche.
D. M. : Cela me touche personnellement. Je connais l’histoire de l’immigration via l’histoire de mes grands-parents et parents qui sont venus travailler en Belgique. Il y a eu des dictatures dans leur pays, je sais qu’ils sont venus ici pour faire des travaux que les citoyens d’ici ne faisaient pas car c’étaient des travaux indignes et qu’il fallait travailler dans des conditions très dures. Mon histoire personnelle me permet d’avoir une lecture des histoires actuelles de ceux qui sont en mouvement, de ceux qui ne peuvent pas rester là où ils sont et qui quittent leur territoire par la contrainte et la douleur que cela représente. Quand on voit le cimetière qu’est la Méditerranée, comment peut-on rester insensible si ce n’est en fermant les yeux ?
Cinergie : Vous êtes sur d’autres projets?
D. M. : Je continue à raconter des histoires au théâtre, à peu près de la même façon. Je tourne avec six spectacles différents pour l’instant. Je joue dans des grandes salles ou dans de très petites salles. De temps en temps, si le calendrier le permet et si j’ai l’occasion de rencontrer un poète de l’image, j’arrive à faire un film.
J’aime vivre des histoires fortes, des histoires qui ont du sens, qui en cherchent. J’aime tenter de faire de l’art. J’aime imaginer des cadres, jouer dans des cadres imaginés, raconter des personnages, porter des histoires qui reflètent le monde ou qui nous font réfléchir, qui nous donnent envie de le changer, qui nous font le détester, qui nous font redécouvrir la poésie du quotidien. J’aime chercher les histoires les plus belles à raconter et les porter sur scène ou avoir la chance de rencontrer des gens qui veulent les porter à l’écran. Peut-être qu’un jour, j’aurai envie de les porter moi-même à l’écran mais il faut d’abord que j’apprenne comment ça fonctionne.
Le théâtre et le cinéma sont des métiers qui n’ont presque rien à voir l’un avec l’autre. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils cherchent à cadrer une histoire. Cette histoire, on la souhaite la plus belle et intelligente possible pour qu’elle nous porte et qu’elle nous fasse voir le plus de choses qui nous permettent de vivre. Le cinéma et le théâtre ne sont pas des choses inutiles, ce sont des images qui nous permettent de vivre, qui nous accompagnent.