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Rencontre avec David Royen - Mon Ket

Publié le 30/05/2018 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Cinergie: Dans Mon Ket, il ne s'agit pas d'une mais de plusieurs caméras cachées. Et, c'est étonnant car la qualité de l'image est telle qu'on ne se rend pas compte qu'il s'agit d'une caméra cachée. On pourrait croire qu'il s'agit d'un vrai film de fiction, avec une vraie direction d'acteurs. Comment êtes-vous arrivés à ce résultat d'un point de vue technique?
David Royen: On a repris exactement le même dispositif qu'on utilisait avec François à l'époque pour les caméras cachées de la télévision mais on s'est octroyé des moyens supplémentaires: notre équipe était beaucoup plus grande. On s'est donné les moyens d'atteindre un objectif plus élevé que celui qu'on avait en télé. On travaille donc avec plus de caméras et on a également bénéficié d'une équipe de décorateurs qui a fait un gros travail pour intégrer ces caméras dans les décors et c'est ce qui prend le plus de temps. C'est un travail qui doit être effectué en amont, il faut repérer les cachettes parfaites pour que le piégé ne se rende compte de rien.

C. : De quel type de caméra s'agit-il?
D.R.: Le type de caméra et le nombre de caméra dépend du piège que l'on va effectuer. On n'a pas pu utiliser le même type de caméras pour tous les pièges car certains d'entre eux était différents. Même si, de manière générale, on avait un set up avec plusieurs types de caméras qu'on utilisait en fonction de nos besoins.
Concrètement, on a plusieurs types de caméras: les vraies caméras cinéma avec des cadreurs derrière qui sont cachées grâce au mobilier et aux astuces qu'on a mises sur pied grâce à l'équipe déco. Ces caméras sont reliées à une régie qui se trouve à une proximité directe du plateau pour réagir rapidement. La régie peut parler avec les différents caméramans. À côté de ce dispositif, on a des caméras plus petites, des appareils photos, qui sont commandées depuis la régie par des opérateurs via un joystick qui règle les paramètres de ces caméras. Enfin, on utilise des sortes d'appareils photos qu'on cache dans des carcasses de caméras de surveillance. On a tourné avec ça dans la parking par exemple. Elles sont tout à fait invisibles. Par exemple, dans la cellule de prison, on a utilisé des caméras de surveillance et on a aussi des cadreurs qui se trouvent derrière leur caméra. La déco a fait de nouvelles portes de prison, identiques aux vraies portes, pour permettre aux caméramans de se dissimuler derrière.

C. : Il y a eu un gros travail en amont. Est-ce que toutes ces caméras étaient prévues initialement?
D.R.: Oui, on ne peut pas improviser les pièges comme ceux de la prison, du parking. Les pièges sont réfléchis en amont pour être prêts le jour du tournage. Le découpage est prévu. On tente initialement de délimiter une zone de jeu, de s'approprier l'espace au préalable, de savoir où le piégé va s'installer, quels vont être ses déplacements. À partir de là, on fixe le découpage pour couvrir au mieux ce qui se passe. Plus les endroits de tournage sont grands, plus on va utiliser de caméras.
La scène du parking constitue un double piège car on a une première partie avec le gardien de parking dans sa tour de contrôle avec une série de caméras puis, le gardien sort et s'approche de la voiture qui veut sortir et un deuxième dispositif a été mis en place. Il s'agit d'une petite dizaine de caméras et on avait récupéré tous les signaux des vraies caméras de surveillance du parking pour donner une vue globale.

C. : Une des grandes difficultés pour vous était la coordination de tous ces cadreurs?
D.R.: Le principe utilisé est le même que celui de l'époque de la télévision. Il y a une interphonie qui relie tous les cadreurs et la régie. Il y avait aussi une chef opératrice et on a repris beaucoup de caméramans qui avaient déjà travaillé avec François à l'époque. Il y avait des automatismes qui se créent plus facilement. Ils peuvent anticiper énormément de choses.

C. : Combien de fois a été tournée la scène du parking?
D.R.: C'était déjà la même chose en télé: le principe de base reste le même. Chaque piège a été fait le plus de fois possible. Quand on envisage de réaliser un piège on se demande combien de fois on peut le répéter. Si on ne peut le faire qu'une fois, on ne le choisit pas. C'est notre condition. On doit refaire les scènes car, d'une part, on a beau anticiper beaucoup de choses, on peut être confronté à un problème technique pendant le tournage. D'autre part, il y a des raisons artistiques. François n'est pas toujours inspiré de la même manière. Il improvise tout et le fait d'avoir plusieurs essais possibles nous permet d'avoir plus de matière. On s'arrange pour que, sur la journée du piège, on puisse avoir plusieurs scènes. Pour le parking, on avait une dizaine de personnes piégées. On a dû s'arranger avec la direction de la prison pour que plusieurs gardiens se succèdent et se déplacent afin de piéger un maximum de gens. Contrairement à la télé où on faisait un best of de tous les piégés, ici, on ne garde au montage qu'un seul piégé. On a dû jeter beaucoup plus de matière que d'habitude.
Et, une fois que le piège est terminé, on doit demander l'autorisation de diffusion. Si la personne piégée refuse, alors que la scène était incroyable, on ne peut pas l'utiliser et il faut trouver une autre personne.

C. : Vous avez beaucoup de piégés qui refusent d'être diffusés?
D.R.: La question de la diffusion reste un grand mystère. Après toutes ces années, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de règle. Par exemple, il y a des gens qui sont prêts à tout casser et quand on leur annonce que c'est une caméra cachée, ils sont ravis. Souvent, il faut savoir que quand François emmène les piégés dans son univers, ça va tellement loin, ils sont tellement attrapés par le jeu, qu'ils ne voient pas du tout les caméras. Cela dépend d'un piège à l'autre. Parfois, on a beaucoup d'accords, d'autres, pas du tout.

C. : Quid du son? 
D.R.: Il faut aussi recourir à des astuces parce que sur une caméra, on a un zoom mais pas avec un micro. On a toujours besoin de proximité, surtout qu'on est souvent dans des atmosphères bruyantes. Ici, on voulait obtenir un film qui était visionnable sans flouter les gens, on avait des contraintes techniques importantes. On a du recourir à des subterfuges car on n'avait pas de perchmans. On devait délimiter une zone de jeu précise pour que l'ingénieur du son puisse positionner tous ses micros. On doit anticiper les choses et placer les micros dans différents accessoires qui permettent d'anticiper les éventuels mouvements du piégé. Les accessoires sont généralement mobiles ce qui permet à l'ingénieur son de les replacer entre deux piégés, en fonction des mouvements possibles qui ont eu lieu pendant une prise. Pendant le piège, on se rend aussi compte parfois qu'on n'a pas assez de son et on demande à François de bouger l'accessoire pour récupérer la présence. Il a une oreillette en permanence qui est utile au niveau technique car on peut lui demander de se déplacer en fonction des caméras, on peut le prévenir de la suite du piège si quelqu'un arrive, etc. Cela permet aussi de replacer un accessoire qui contient un micro, scène qui sera coupée au montage mais qui nous permet de poursuivre dans les meilleures conditions. Tout le monde peut parler avec tout le monde et anticiper s'il y a un soucis. 

C. : Qui chapeaute toutes ces infos?
D.R.: Dans l'équipe, il y le premier assistant réa qui occupe souvent ce rôle-là et qui dispatche à la personne concernée. Il s'agit de Manu Kamanda, grand premier réalisateur, qui a pris beaucoup de plaisir car c'était une grande première pour lui de travailler avec des caméras cachées.

C. : Quelles sont les grandes différences avec la télévision?
D.R.: L'équipe est beaucoup plus petite en télé et les dispositifs déco sont nuls. On fait tout entre nous et le résultat n'est pas mal finalement. Dans l'ambition des pièges, on fait des choses plus simples. Par exemple, pour la scène avec l'avocat, le travail de mise en place du piège est beaucoup plus conséquent que pour les caméras cachées à la télévision.
De manière générale, ceux qui ont vu le film se demandent toujours s'il s'agit de piégés ou non. C'est ce qui fait la richesse de cet exercice. Il y a très peu de choses écrites et la grande force de François c'est de pouvoir rebondir sur ce que les piégés proposent. C'est pour cela qu'il y a un énorme travail de montage par la suite car on a beaucoup de piégés pour la même séquence.

C. : Il s'agissait d'un vrai travail d'équipe.
D.R.: Ce qui m'a passionné dans ce projet c'est la rencontre entre le monde de la télé et le monde du cinéma avec ses techniciens. Chacun avait des choses à apporter dans le projet. Nous, l'équipe télé, on venait avec notre expérience et l'équipe cinéma nous a permis d'élever le niveau. Il y a eu beaucoup d'échanges entre nous pour trouver ensemble de nouvelles solutions. Je pense que les chefs fiction se sont posé beaucoup de questions au début car on les a sortis de leur zone de confort. Au cinéma, on fait tout pour mettre un cadre très strict. François a l'art de ne rien écrire au départ donc il faut s'adapter et c'est un vrai challenge. C'est toujours à l'équipe d'anticiper ce qui peut se passer. Pour l'équipe cinéma de départ, c'est une méthode de faire très différente des tournages classiques.
Finalement, on a très contents du résultat même si toute l'équipe est passée par tous les stades. C'est un château de cartes, on a de bonnes et de mauvaises surprises. Il faut pouvoir s'adapter. Le film s'est construit petit à petit. C'était un chantier permanent.

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