Les vrais Belges à l'écran
Inutile de présenter notre François l'embrouille national, star des caméras cachées, ce personnage un peu vilain, qui a, entre autres, adopté les traits d'un moniteur d'auto-école qui se craque ses CaraPils derrière le volant, qui montre ses talents douteux de tatoueur d'un jour, qui fait preuve de son incompétence derrière le guichet d'un hall de gare. Bref, même s'il a, ces dernières années, interprété quelques personnages plus sérieux au cinéma comme le père de La Famille Bélier d'Éric Lartigau, notre François Damiens national n'a jamais cessé de nous faire marrer. Et il continue avec son premier film, Mon Ket, tourné entièrement en caméra cachée avec l'aide de son acolyte télévisuel David Royen.
Mon Ket, "mon fils" en bruxellois, c'est l'histoire de Dany Versavel, interprété par le réalisateur lui-même, complètement grimé, qui s'évade de prison pour retrouver son fils de 15 ans, Sullivan. Le spectateur est perdu entre fiction et réalité et, même en connaissance de cause, il se demande si ce qu'il voit est vrai ou non, si les personnes filmées sont des quidams ou de vrais comédiens. Une comédie emprunte de belgitude avec un humour bien de chez nous et des personnages hauts en couleurs comme on les aime.
Rencontre avec François Damiens pour la sortie de Mon Ket
Cinergie : On vous avait vu ces derniers temps dans des rôles plus sérieux voire mélodramatiques au cinéma. Avec ce film, vous revenez au burlesque. Pourquoi?
François Damiens: J'aime bien passer de l'un à l'autre. Mais, ce qui m'intéressait dans ce film, c'était chercher de l'émotion chez des gens, filmer ces réactions. C'est pour cela que j'aimais les gros plans, je voulais des gueules, pas des gens lisses. Je pense qu'il fallait avoir une personnalité assez forte pour aller chercher cette émotion, du moins la susciter auprès des gens. Et, de l'autre côté, il fallait aussi des gens qui donnent le répondant. Le côté burlesque est ce qui m'intéresse dans la vie. Je veux à la fois toucher des gens, les émouvoir à travers le rire, la tendresse, la tristesse même dans certaines situations, mais toujours avec un côté absurde. J'aime bien emmener les gens dans un univers où ils se demandent où ils sont, où ils perdent un peu pied. Je voulais montrer cette perte de consistance, de repères de la part des spectateurs, filmer cette émotion en particulier.
C. : Les propos du film sont totalement politiquement incorrects. Une manière de renouer avec le public qui vous connaissait à vos débuts?
F.D.: Oui, tout à fait. Quand on fait une caméra cachée, il faut que quelque chose se passe dans l'écriture. Quand on provoque les gens à travers une situation, ils n'ont rien demandé et ils se trouvent piégés à leur insu et ils doivent prendre position. Par exemple, quand j'incite mon enfant de 13 ans à fumer devant une personne, elle se voit obligée de réagir, de prendre position. C'est peut-être même le spectateur qui devient piégé à un moment car il est confronté à certaines situations où le moindre rire en dit long sur sa personnalité. C'est pour cette raison que les spectateurs n'osent pas toujours rire au début. Dans les salles, c'est plus facile car il y a des leaders du rire qui s'y mettent et les autres suivent, c'est plus facile. Sinon, ceux qui rient peuvent rapidement se sentir jugés par les autres.
C.: Cela signifie que c'est une réelle caméra cachée que vous avez utilisée dans ce film ?
F.D.: Je n'ai jamais fait de caméra cachée truquée. Peut-être que le film suivant sera une comédie avec des acteurs mais quand je fais des caméras cachées, ce n'est pas de la fiction. Ici, ce sont des caméras cachées. On ne peut pas en douter. On a reçu des moyens de cinéma, des moyens français, donc on a pu tourner pendant un an et demi avec une équipe de 40 personnes, on a tourné et monté chronologiquement. On était très bien équipés et on a pu prendre 8 mois pour monter certaines des caméras cachées, on a pu faire des décors personnalisés pour chaque caméra cachée. On n'est plus dans les codes des caméras cachées où l'image et le son ne sont pas terribles. Je n'avais pas envie de ça, j'avais envie que les spectateurs rient, pleurent devant des gens qui jouaient à leur insu. Je suis juste le fil rouge du film, l'interrupteur qui vient allumer les lumières qui sont devant moi. Grâce à leur aide, leur gentillesse, leur humanité, on raconte une histoire.
C.: Quel est le sujet du film?
F.D.: C'est l'histoire d'un type qui peut tout se permettre. On est tous un peu étriqués et ce que j'aime chez lui c'est qu'il n'a pas de filtre, de limite, de complexe, il ignore les lois : tout est possible pour lui. C'est le patron. Malgré cela, il donne les deux valeurs essentielles à son fils: du temps et de l'amour. Et, c'est cela qui le rend fragile et touchant. Mais, cela reste une comédie.
C. : Comment avez-vous procédé pour choisir vos sujets?
F.D.: Pour chaque caméra cachée, on piège entre 12 et 14 personnes. Ensuite, on isole la meilleure que l'on insère dans le film et qui continue à nous faire progresser dans le récit.
C.: Comment s'est déroulée l'écriture du film?
F.D.: On avait une bonne trame de base qui a évolué en fonction des rencontres qu'on a faites. On a réécrit et à la fin, on a monté le film, on a réécrit des séquences supplémentaires. La première séquence, c'est la dernière qu'on ait tournée. Le film commençait en prison aussi mais c'était une déambulation, je marchais dans la prison. Puis, on s'est dit que c'était bête de faire un film de caméra cachée en commençant avec de la prison. Donc, je suis retourné voir la directrice de la prison pour lui demander si je pouvais tourner une caméra cachée. Elle semblait un peu gênée car elle ne voulait pas faire de piège aux gens. Je lui ai demandé combien il y avait de caméras dans la prison. Elle m'a répondu 400... et m'a donné son feu vert pour tourner là-bas. On n'a pas utilisé les caméras de la prison mais la directrice nous a autorisés à forer dans les murs. D'habitude, les gens sont excités à l'idée de tourner dans une caméra cachée, puis ils voient les camions qui arrivent, la logistique qui débarque, et ils se rendent compte de ce qui arrive mais il est trop tard.
C.: Avec ce film, vous vouliez provoquer à la fois le rire et la réflexion?
F.D.: Oui, le but était de révéler quelque chose. La première phrase que je dis dans le film, c'est: "si j'étais pas là, tu serais pas là" au gardien de prison. Si personne ne fait l'imbécile, les gardiens n'auront plus de boulot. À partir de ce moment-là, je trouve qu'on doit le respect à mon personnage qui n'est pas satisfait du service. J'ai discuté avec des prisonniers qui n'étaient pas contents du service. Il y a probablement de l'abus mais c'est ce côté compliqué qui me fascine dans la prison. Ces gens ont fait des bêtises, ils doivent avoir des circonstances atténuantes, certains ont fait pire que d'autres mais ils reçoivent le même service, certains sont mieux défendus que d'autres. Après une quinzaine d'années en prison, ils en sortent dévastés. C'est comme remettre un poisson mort à la mer. C'est un univers qui m'interroge sur beaucoup de choses. Beaucoup de pays ont des systèmes différents mais aucun système ne s'est imposé. C'est du cas par cas.
C.: Ce film n'est pas uniquement une critique de la prison.
F.D.: Non, il ne parle pas de cela. Mais, c'est pour montrer qu'il y a tellement de gens gentils, humains, généreux. Quelle gentillesse, quelle poésie, quel don de soi. Une dame, que je drague, m'explique pendant une demi-heure pourquoi cela ne marchera pas entre nous. C'est difficile de trouver en France quelqu'un qui va vous donner une demi-heure de son temps. En fait, elle me donne l'éducation que je n'ai pas eue. On le sent bien dans le film que le personnage que j'incarne n'a pas été pris dans les bras par sa mère et il aura beaucoup de mal à se débrouiller dans la vie. On voit dans le comportement des piégés qu'ils veulent donner quelque chose à ce type alors qu'il est en évasion, qu'il traîne un passé difficile et qu'on aura des ennuis si on reste à côté de lui. Mais les gens sont gentils, ils sont aidants. C'est pour cette raison que j'aime montrer ce film en France en disant qu'il s'agit de la vraie Belgique. Ce n'est pas un casting, les gens sont vraiment comme ça.
C.: Le film a déjà été présenté en France?
F.D.: Les salles étaient déjà remplies pour les avant-premières alors qu'ils n'avaient pas encore reçu la bande annonce. Il y avait une vraie attente. On fait 7-8 salles par jour et les salles sont remplies. Je ne m'attendais pas à cela et les rencontres à la fin sont encourageantes.
C.: Le film répond au besoin actuel du public de rire.
F.D.: Oui, mais ce n'est pas une grosse comédie. Il s'agit plutôt d'un rire participatif. En fait, il y a plein de rires différents. Il faut juste que les gens s'autorisent à rire et on se le permet plus après la deuxième vision. Lors de la première vision, on se sent un peu mal à l'aise, comme si on n'était pas au bon endroit et la deuxième fois, le spectateur est plus à l'aise.
C.: C'est une première réalisation. C'était important de commencer avec ce genre de film?
F.D.: C'était important pour moi d'écrire ce film pas spécialement de le réaliser. L'idée de la réalisation est venue par la suite, c'est devenu une conséquence après l'écriture. L'important pour moi c'était de mélanger la fiction et la réalité et de raconter une histoire à travers ça. Puis, j'avais tellement les situations en tête, je connaissais l'histoire du personnage, je savais où et avec qui j'avais envie de tourner. Je m'étais entouré de deux-trois complices non professionnels. Quand vous avez fait tous ces choix, il n'y a plus de place pour un autre réalisateur.
C.: Vous avez d'autres projets en tête?
F.D.: Oui et cela m'a donné envie de tourner pour d'autres réalisateurs. C'est assez particulier. C'est un tournage qui était long et compliqué même si je m'en doutais. Mon équipe m'a dit à la fin du tournage qu'ils pensaient qu'ils seraient dans une zone d'inconfort pendant un mois ou deux et finalement ça a duré un an et demi. C'est ça qui est beau car c'est un film d'équipe. Comme on n'avait droit qu'à une seule prise, il faut que tout le monde soit au maximum tout le temps.
C.: C'est là où se situait l'inconfort?
F.D.: Non, l'inconfort se situe à tous les niveaux. Cela commençait pas le maquillage qui durait quatre heures (avec des prothèses dans la bouche et des solvants dans les yeux, les fausses dents, etc.). Ce sont des journées de 12 heures d'affilée et on ne peut pas s'arrêter de tourner. Il y a une telle logistique à mettre en place que tous les paramètres sont montés au maximum.
Comme je fais des caméras cachées depuis longtemps, je sais qu'il y a un champ contre-champ et un plan large qui constituent les trois plans nécessaires. Puis, on en dispose de plus en plus, on va même jusqu'aux caméras de surveillance qui suivent les déplacements des personnages. Il y a toujours 2-3 caméramans dans la pièce et des caméras téléguidées.
C.: Vous avez filmé le making off?
F.D.: Non, on n'avait pas le temps de faire ça. Je n'ai jamais vraiment aimé filmer les making off. Et je n'ai jamais aimé montrer quand on disait aux gens qu'ils étaient piégés. Le but était de faire un vrai film, je voulais faire un film raconté à travers les caméras cachées. Je ne voulais pas mettre l'emphase sur la technique des caméras cachées. C'est pour cela qu'à la fin on a fait un petit bêtisier pour que le spectateur se rende compte qu'on en avait piégé plein dans chaque situation. On a chaque fois pris le meilleur pour raconter le film. Mais le bêtisier n'est pas là pour faire rire, c'était pour montrer les ficelles de la réalisation aux spectateurs: montrer que c'était du vrai sans devoir l'expliquer.