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Henri de Gerlache, en tournage du documentaire Soeurs de combat

Publié le 10/09/2021 par David Hainaut, Vinnie Ky-Maka et Josué Lejeune / Catégorie: Tournage

"Le documentaire est surtout une histoire de passion"

 

Entre la Belgique et le Brésil, en passant par l'Allemagne, la France et l'Ouganda, Henri de Gerlache tourne en ce moment Les Combattantes. Un futur documentaire qui, dans le sillage de Greta Thunberg et avec la collaboration de Marion Cotillard, évoquera le parcours de cinq jeunes femmes qui ont fait de l'engagement leur idéal de vie.  

Rencontre avec ce prolifique documentariste – une trentaine depuis 1998 - dans les bureaux de sa structure Belgica, situés au-dessus du plus vieux cinéma de Bruxelles encore en activité, les Galeries, dont il est le président du conseil d'administration. Un lieu qu'il a contribué à ressusciter en 2011, avec un collectif.

Cinergie: On vous retrouve entre deux sessions de tournage de votre film Soeurs de combat. Le projet avance comme prévu ? 

Henri de Gerlache : Oui. C'est en fait un portrait croisé de jeunes femmes toutes engagées pour la cause climatique. Souvent critiquées, décriées, on les connaît mal, mais en les observant depuis quelques années, j'avais envie de comprendre qui elles étaient, que représentait et d'où venait cet engagement. C'est un sujet passionnant, car il me permet d'aller à la rencontre de cette jeunesse en mouvement.

 

C. : Bien au-delà de la Belgique, donc...

H.d.G.: Oui, le tournage implique pas mal de déplacements. J'essaie de les rencontrer tant dans leur environnement de vie que dans leurs manifestations. Il est aussi question d'associer leur combat à celui de leur «grande sœur» Julia Butterfly qui, il y a un peu plus de vingt ans aux États-Unis, a vécu deux ans en haut d'un séquoia. Une action assez extraordinaire qui a permis de sauver et de protéger une forêt millénaire de l'abattage. Est-ce que les cinq femmes dont je parle auront gain de cause pour la crise climatique ? Cela ne dépend pas que d'elles, mais leur lutte reste aussi belle, car pleine d'espoir et d'idéal.

 

C. : Entrer en contact avec elles n'a pas été trop difficile ?

H.d.G.: Ça a été long, mais cela fait partie du jeu. Une relation de confiance avec tout protagoniste d'un documentaire réclame du temps, mais j'y travaille depuis deux ans. D'abord, je les vois sans caméra, et petit à petit un dialogue s'instaure pour que des choses plus profondes puissent ressortir. Mais c'est sûr que ce sont des femmes très sollicitées, qui se méfient même des médias. Toutes sont forcément très connectées et elles ont conscience du pouvoir que représente l'image.

 

C. : Ces cinq femmes, pourriez-vous nous dire qui elles sont ?

H.d.G.: En Belgique, on suit Adelaïde Charlier, qu'on connaît bien ici, et Anuna De Wever, très connue en Flandre. En France, on rencontre Léna Lazare, plus radicale, qu'on a vu à la ZAD (Zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes où elle passe tout l'été. Alors qu'un aéroport aurait dû se faire, ils ont bâti dans ce lieu de résistance un projet collectif et alternatif. Il y a aussi Louisa Neubauer, très connue elle en Allemagne, engagée contre l'exploitation de mines de charbon qui a repris de plus belle là-bas. On a croisé Leah Namugerwa en Ouganda, qui plante depuis ses 15 ans des centaines d'arbres et qui fait un énorme travail d'éducation auprès des jeunes. Cela me semblait important de montrer qu'on parlait d'enjeux dépassant le strict cadre d'Européens bien lotis. Et puis là, je dois aller au Brésil voir Artemisa Xacriaba, qui défend des peuples indigènes en Amazonie, plus que jamais menacés par la déforestation. Le panel est donc large, et toutes ont entre 17 et 22 ans. J'avais aussi envie de savoir ce qu'implique le fait de mettre leur jeunesse entre parenthèses pour défendre leur cause, car ce n'est pas rien...

 

C. : Pas de Greta Thunberg ici, donc ?

H.d.G.: Elle est forcément dans la tête de chacune, car c'est en quelque sorte elle qui a lancé le mouvement. Je n'ai pas voulu la prendre, peut-être parce qu'on l'a trop vue et tout fait autour d'elle. Puis, cela pouvait tout de suite donner un a priori sur le propos du film avant même de commencer. Mais si elle ne figure pas parmi les personnages, elle apparaît en arrière-fond. Elle était d'ailleurs présente quand nous avons suivi la Namuroise, Adelaïde.

 

C. : Vous n'évoquez ici que des femmes. C'était volontaire ?

H.d.G.: Oui, même si j'ai pleinement conscience qu'il y a aussi des jeunes hommes engagés (sourire). Mais sur les plateaux et dans les médias, on voit quand même souvent plus de femmes. Je trouvais intéressant de comprendre pourquoi. Notez que depuis les années 70, on a pas mal parlé d'éco-féminisme. Est-ce que ça leur parle, aussi ? On le verra...

 

C. : Des causes nobles dans l'air du temps, des partenaires de référence : financer un tel projet serait-il moins compliqué qu'un autre ?

H.d.G.: Non ! Chaque fois qu'on se lance dans un documentaire, il faut toujours reprendre son bâton de pèlerin. Écrire des dossiers, convaincre les uns, les unes et les autres, ce n'est pas si simple et ça prend du temps. Le Covid n'a évidemment pas aidé le projet, en le retardant même, les voyages restent compliqués et puis, il reste tout de même une frilosité sur des projets sociétaux engagés, qui suscitent toujours chez certains.nes quelques interrogations. Mais on est quand même parvenu à avoir l'aide d'Arte, de la RTBF, du tax-shelter et de Screen Brussels, de façon à faire les choses convenablement. Et puis, il y a les producteurs français, Le Cinquième Rêve, et le CNC Français, qui a financé presque tous mes projets jusqu'ici.

 

C. : Vous avez réalisé une trentaine de documentaires en vingt-trois ans. On peut dire que vous êtes quelqu'un de prolifique ?

H.d.G.: (Sourire). C'est vrai que j'en ai fait beaucoup, mais le documentaire est surtout une histoire de passion, même si je n'y ai songé que sur le tard, après des études de communication à l'Ihecs. J'aime rester dans l'action, c'est comme ça que je me sens vivre. Ceux dont on me parle le plus ? La Belge histoire de Cannes, qui m'a valu une exposition inespérée et une sélection dans ce festival. On me reparle de Magritte, le jour et la nuit, toujours diffusé en boucle au Musée Magritte. Il y a L'Antarctique en héritage, dont j'ai tiré un livre. Hollywood au pied du terril, lié à Van Gogh et à Mons 2015, Le Trésor, où on a suivi une équipe de plongée à 57 mètres de fond. Tous mes films ne sont peut-être pas bons, mais chaque expérience est utile. Et c'est le doute, lié au processus créatif, qui me fait avancer. Mais j'ai envie de développer ma nouvelle structure - Belgica - avec des projets de qualité, auxquels je crois et qui font sens. Quitte à peut-être faire moins de choses...

 

C. : On se trouve ici au-dessus du Cinéma les Galeries. Qu'implique pour vous cette autre fonction, à savoir celle de Président du conseil d'administration?

H.d.G.: Quand tout va bien, ça ne me prend pas trop de temps, et quand ça va mal, ça m'en prend plus (sourire). C'est une petite structure, fragile, à laquelle il faut être attentif régulièrement. Mais il est bien géré par son directeur ! Je continue de croire à ce cinéma, qui a participé à mon écolage plus jeune, et plus largement à ce type de petits cinémas, qui sont des lieux conviviaux dont on a besoin : les gens sont plus que jamais à la recherche d'expériences sociales. Un film permet de parler de tellement de choses différentes... Puis, les spectateurs aiment faire confiance à une programmation éclairée, avoir des repères... Qu'un cinéma comme le Kinograph d'Ixelles fasse autant parler de lui à Bruxelles n'est pas anodin. Qui sait si d'autres ne vont pas bientôt suivre, que ce soit dans des communes bruxelloises, voire ailleurs...

 

C. : Outre la finalisation de ces Soeurs de combat, quels sont vos projets ?

H.d.G. : Un premier long-métrage de fiction sur lequel je travaille depuis un an, dont la première version écrite est terminée, où Joël Franka (Une chanson pour ma mère) m'accompagne. Il est précieux pour ma structure. C'est une histoire librement inspirée de ma grand-mère qui me tient à cœur, et je ne vois qu'une fiction pour la raconter. Puis, avec la RTBF, on développe avec un collectif de réalisateurs une série documentaire de 26', avec des portraits de clubs autour de passions communes que peuvent avoir certaines personnes. Mais dans l'immédiat, je termine ce tournage, dont on fera le montage à l'automne avec John Pirard (Ennemi Public).

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