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Rencontre avec Lou du Pontavice , Le Veilleur

Publié le 20/06/2019 par Bertrand Gevart et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

La double lauréate du festival international du documentaire Millénium, Lou du Pontavice, a présenté en compétition nationale son documentaire Le Veilleur. Cinergie qui a remis son prix du Meilleur Espoir Belge pour la première fois à ce festival, le lui a accordé. Après le bac, une classe préparatoire littéraire, et la fac de philosophie à la Sorbonne, Lou du Pontavice entre en réalisation à l’INSAS. C’est lors de son séjours en Chine, dans le cadre des échanges entre écoles cinématographiques, qu’elle réalise ce court métrage. Nous l’avons rencontrée à l’INSAS où elle finalise son parcours en réalisation. Le Veilleur aborde avec pudeur, une relation complexe dans l’indicible de la parole, entre un père et son fils au cœur de Pékin, mêlant temps long et silence.
La maison de Guandong, située dans la province chinoise du Shandong, a été rasée. Depuis quelques mois, il vit à Pékin et travaille comme gardien au conservatoire central de musique. Derrière ces murs qu’il protège chaque jour, son fils de 14 ans étudie le cor d’harmonie. Ensemble, ou séparément, ils rêvent de l’avenir meilleur que pourra peut-être offrir une carrière de musicien.

Cinergie : Est-ce que vous trouvez que votre parcours philosophique influe sur votre rapport au cinéma et par quel biais ?
Lou du Pontavice : La philosophie m’habite tout le temps. Dans l’approche cinématographique du Veilleur, la question qui s’est imposée à moi est comment adapter instinctivement le cadre au personnage ? Quel rapport donner au temps et au rythme ? A la particularité de la Chine et la place des personnes et à la dimension cyclique. D’où les plans fixes et longs et un temps que je ne voulais pas linéaire.

C. : Quelle est la genèse du projet ?
L.d.P. : Dans le cadre de l’INSAS qui organise des « Regards croisés », des échanges entre deux écoles de pays différents, je suis partie avec Victoire Bonin à Pékin pendant 6 semaines. On a eu un long entretien avec une amie de Victoire, nous avons beaucoup échangé avec elle sur la Chine. Je voulais d’abord travailler sur la politique de l’enfant unique. Je me suis rendue compte que c’était difficile en un mois de travailler sur ce sujet. Le système éducatif chinois se base sur le mimétisme et non la création. Très tôt, on apprend aux jeunes filles et garçons de se calquer sur un modèle de réussite spécifique. La création personnelle et l’expression de soi a beaucoup moins de place. C’est cet aspect qui m’ intéressait. Il y a très peu de temps de jeu pour les enfants, les insouciants sont les personnes âgées. Dès le plus jeune âge, dès deux-trois ans, ils commencent à apprendre plusieurs langues, la pression sociale s’exerce très tôt pour être le meilleur. Je suis arrivée avec ma vision d’européenne, avec la volonté de faire un portrait d’enfant entre quatre et sept ans. On est accueilli par la Bejing Film Academy, logés, mais on doit tout faire, chercher des pistes, des repérages, des traducteurs. Et nous sommes arrivés à une période d’examens, ce qui a radicalement compliqué nos recherches. Je voulais faire un portrait d’enfant mais très vite c’est devenu le portrait d’un père.

C. : A quel moment il y a eu un glissement du portrait vers une dialectique père-fils ?
L.d.P. : Nous avons rencontré Guandong et nous avons réalisé un long entretien de plusieurs heures. Le père parlait beaucoup, le fils était, quant à lui, plus taiseux. Après trois heures d’entretien, il y avait un lien très fort entre les deux, qui passait par le silence plutôt que dans la parole. Victoire et moi avons été bouleversées par ce lien extrêmement fort d’amour entre eux. La parole en Chine est assez complexe. C’est une parole de discours, on ne peut pas tout dire, ce sont des gens très réservés.

C. : On a l’impression que leur relation se déroule toujours en catimini, presque comme une contrebande.
L.d.P. : Nous n’avons jamais eu l’autorisation pour nous rendre au sein du conservatoire. Tout est kafkaïen sur place. Nous passions d’administration en administration sans jamais avoir de réponses. Nous avons eu un appel téléphonique clair nous conseillant d’arrêter. Donc nous n’avons pas pu filmer les cours de musique. Le père loue des salles où son fils peut répéter à côté de l’école et nous avons pu le filmer là, entrain de travailler.

C. : Et au niveau de l’écriture documentaire ?
L.d.P. : Après avoir discuté longuement, nous avons décidé que nous ne voulions pas des face-caméras, pas de paroles explicatives, mais de rentrer dans leur routine. On a recréé des situations dont ils nous ont parlées. Le challenge était de raconter une histoire sans passer par l’interview. Ils ne se parlent pas beaucoup entre eux. Ils se voient peu. La lettre me permettait de ne pas passer par l’interview. Je trouvais ça intéressant que le père écrive une lettre et dise des choses qu’ il n’a jamais dites à son fils. Je ne savais pas du tout ce qu’ il allait dire et voulait dire. Il y avait une lettre de 8 minutes. C’était beau car ça cristallisait quelque chose de complexe, du rapport entre parent et enfant. Il y a tout ce poids social, cette lettre parlait intimement de cela. Ça raconte tout son soutien, malgré la pression sociale. On se demande où est la mère, mais ça raconte beaucoup du quotidien en Chine ou l’enfant est souvent avec un des deux parents.

C. : Quelles ont été vos influences esthétiques pour ce film ainsi que le travail réalisé en amont ?
L.d.P. : Nous étions deux, Victoire Bonin, ma chef opératrice et moi-même. J’avais hésité de partir avec un ingénieur du son. Mais je ne regrette pas du tout car il y avait un rapport entre l’image et la réalisation qui était magnifique. Nous sommes dans la même école et connaissions notre travail mutuel. Nous avons parlé de nos influences, celles qui nous ont profondément marquées. Le film Atentamente de Camilla Rodriguez fonctionne sans entretien ni témoignage, ça pourrait être pris pour une fiction mais ce sont des situations réelles. Elle crée un canevas, une situation qui peut raconter un quotidien, une routine et à l’intérieur elle lance une situation et reste un œil qui regarde. J’ai trouvé cela très fort. Nous avons ensuite vu des films sur les portraits, les relations de confiances. L’écriture a été filmique, il fallait trouver une esthétique face au rythme qui s’impose, un rythme posé. Nous voulions que ce ne soit pas trop découpé, mais plutôt des plans fixes qui épousent la temporalité qui se dégage dans le film.
Nous avons insisté pour entrer dans la chambre du père au sein du conservatoire et de le filmer (alors que nous n’avions pas le droit ). On a estimé que l’écriture du film le nécéssitait. Nous avions besoin d’un moment d’intimité comme celui-là. Nous sommes rentrés à la nuit tombée et avions des idées de plans précis en rapport avec ce qu’il nous avait raconté. Bien entendu, lorsque nous y pénétrons, il fallait une mise en scène qui assure la continuité. Il a fallu donc refaire des actions quotidiennes. C’était très riche qu’il se prête au jeu de la mise en scène de son quotidien.

C. : Comment s’est déroulée la relation artistique et intime avec le père et le fils et leur direction respective ? Il y a un côté qui frôle la fiction…
L.d.P. : La première fois que nous l’avons rencontré, il a cru qu’on le filmerait tout de suite, mais nous ne voulions pas. Nous lui avons dit que ce qui nous intéressait c’était leur rapport, entre eux et la musique. Il nous a raconté longuement ce qu’il faisait heure par heure en détail. Nous avons donc sélectionné des moments dans ce qu’il nous racontait pour pouvoir le revivre. A un moment donné dans le film, on pense qu’il va vers sa chambre, mais c’est fictif. Il s’est adressé à moi en disant : « mais juste avant, c’est quoi la scène ? » Je lui dit : « c’est la scène ou tu es peut être en train de travailler à la grille ». Il me répond : «  alors je dois remettre mon uniforme ». On la refait, il s’est rhabillé, donc il y un vrai jeu, mais ça n’a jamais trahi sa réalité. On leur a envoyé le film après, c’était important que ce soit fidèle à ce qu’ il nous avait dit.
Cependant, nous naviguions entre réalité, ce qui est dit, prononcé, intériorisé, reçu comme étant vrai, et mensonge car nous passions uniquement par des traducteurs interprètes. Tout se passe par la parole, presque indicible. Les choses qui se disent en Chine sont mesurées. Je ne sais pas à quel point ce qui a été dit est vrai.
Lorsqu’ il a fallu faire le montage, je me suis basée sur le lien d’amour, car cela ne ment pas. Il y avait un vrai piège dans lequel il fallait à tout prix éviter de tomber, celui du regard omnipotent, omniscient de l’occidental(e) qui pose un regard sur une Chine dictatoriale.

C. : Pourtant on ressent le poids silencieux de cette Chine. Mais vous libérez la parole, avec pudeur, à travers la lettre.
L.d.P. : Ce sont des choses qui me touchent énormément, sur la difficulté de parler lorsqu’ il y a un poids, l’intrusion d’une histoire, d’une culture, d’un contexte politique. C’est une parole qui m’intéresse. La lettre faisait du bien, c’est une parole intime très forte. Nous avons laissé la place à cette relation, à l’écoute de leur pudeur par rapport à leur situation en Chine. Nous ne voulions pas parler de cela directement, mais que cela se dessine en filigrane.

C. : Avez-vous des manques, des déceptions, des choses que vous auriez voulu faire ?
L.d.P. : Oui, j’aurais aimé développer le rapport à la mère. Nous aurions aimé la rencontrer même si je pense qu’elle n’aurait pas eu sa place dans le court métrage. Il y a toujours cette idée de rythme qui m’obsède (je suis aussi musicienne). Le rapport à la musique, adopté un rythme pour raconter une histoire, lui donner une dimension cyclique et non linéaire.

C. : Vous travaillez sur des projets en ce moment ?
L.d.P. : Oui je suis en phase de postproduction pour mon film de fiction de fin d’étude à l’INSAS que j’ai tourné en avril. Nous sommes à la troisième semaine de montage image.

C. : Vous pouvez nous dévoiler le pitch ?
L.d.P. : C’est l’histoire d’un chauffeur de taxi qui va prendre pour la première fois le train Eurostar pour voir sa fille qui se marie l’après-midi même. Mais lorsqu’il arrive dans le parking de la gare pour prendre sa valise, il y a une fille qui s’est immiscée dedans et lui annonce qu’elle a besoin de se rendre à Londres et elle veut qu’il l’emmène. Il va essayer de s’en débarrasser au début… tout se passe entre le parking et le secteur de contrôle de la gare. J’ai également un projet de fiction et de long métrage documentaire qui est une continuité du Veilleur. Pendant les repérages, nous avions travaillé sur d’autres portraits également. C’est pour cela que nous aimerions en faire un long-métrage car dans la version courte, nous effleurons ces questions, sans pouvoir les développer, à savoir l’éducation dans un certains contexte social et politique.

C. : Comment s’est déroulé la session de pitch au Millenium ?
L.d.P. : C’était très intéressant, c’était la première fois pour Victoire, ma chef opératrice, et moi-même. Pendant 4 heures, nous passons d’un producteur à l’autre, ça permet évidemment de s’améliorer au fur et à mesure. Le projet s’améliore tout au long du pitch. La question la plus importante, c’est quelle serait la différence entre la version courte du Veilleur et sa version longue.

C. : Et si vous deviez répondre à cette question maintenant ?
L.d.P. : La parole en Chine est assez compliquée. Tout est dans le silence. Pour expliquer un certains contexte social et politique, j’ai dû passer par une voix off que j’aimerais retirer dans le projet du long métrage, afin que tout passe par des situations quotidiennes entre parents et enfants. J’aimerais aborder la manière dont la cellule familiale influe en Chine sur l’enfant et le parent, mais aussi parler de la pression sociale complexe dans l’éducation. J’aimerais développer un rapport à l’intimité beaucoup plus fort et tisser un lien entre l’interne et l’externe.

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