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Rencontre avec Marie Besson et Samuel Tilman d'Eklektik Productions

Publié le 04/12/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Dossier

Cofondée en 2005 par Samuel Tilman, jeune producteur, réalisateur et metteur en scène bruxellois et par l'acteur Fabrizio Rongione, Eklektik Productions est une société dont les membres, pleins de dynamisme, ont une seule idée en tête : défendre des projets éclectiques. De l'animation avec Les Pécheresses de Gerlando Infuso au documentaire avec Bureau de chômage de Charlotte Grégoire et Anne Schiltz en passant par le théâtre et la fiction avec notamment Ça rend heureux, long métrage de Joachim Lafosse, les membres d'Eklektik Productions n'ont pas peur de prendre certains risques pour soutenir de jeunes réalisateurs peu connus du grand public. Aujourd'hui, c'est au tour de Vincent Solheid, Erika Sainte et Michaël Bier d'être encouragés par Samuel Tilman et Marie Besson pour leur film Je suis resté dans les bois.

 

Cinergie : Pourquoi décide-t-on de créer une maison de production ?
Samuel Tilman : Il y a plusieurs raisons. Mais pour nous, c'était l'envie de pouvoir continuer à prendre des risques. Quand une maison de production commence à se développer, les contraintes apparaissent : location de bureaux, frais récurrents, obligations légales comme se constituer en SPRL, etc. Le risque, c'est qu'à un moment, les choix des films qu'on a envie de défendre soient aussi inscrits dans cette logique de rentabilité. Il faut absolument qu'on ait deux, trois employés, donc il faut les payer, faire entrer de l’argent, et du coup, on ne pourra plus choisir n'importe quel film. On ne voulait pas, dès l'origine de la création d'Eklektik, tomber dans cette logique de rentabilité qui nous empêcherait de prendre des risques. C'est aussi une liberté de ligne éditoriale. C'est quand même une chance qu'on puisse choisir parmi ce qu'on nous propose : choisir des sujets ou des thèmes qui nous tiennent à cœur, soit pour des raisons personnelles, soit pour des raisons de contexte. C'est une grosse joie, un grand plaisir, en tant que producteur, de se nourrir de sujets qui viennent vers nous et de se constituer une filmothèque de films que nous avons contribué à créer. Je suis resté dans les bois est un projet un peu atypique qui n'a pas été développé ni produit de manière classique. Ce qui constitue un peu notre marque de fabrique. À côté d'autres projets produits de manière beaucoup plus classique, on a envie de pouvoir monter des choses avec un peu plus de spontanéité. Prendre des risques tout simplement.

C. : Vous ne fonctionnez pas comme une boîte classique, avec un patron et des employés ?
Samuel Tilman :
 Ce qui est classique, c'est qu'on est constitué en SPRL comme n'importe quelle société, qu'on a des employés entre deux et quatre en fonction des moments et du volume d'activités. Mais on n'est pas dans une logique de développement qui fait qu'on va devoir à un moment faire face à des contraintes qui sont insurmontables.
Marie Besson : Ils étaient quatre associés et moi, une employée qui gérait la boîte au jour le jour. En 2010, je suis devenue associée. Aujourd'hui, nous sommes cinq, avec Samuel et moi qui sommes un peu plus actifs que les autres.

Marie BessonC. : Vous vivez uniquement de cela ou vous avez une autre activité en parallèle ?
Marie Besson : Aujourd'hui, je suis la seule à vivre vraiment de mon travail à Eklektik, avec mon assistante Kristina.
Samuel Tilman : Moi, mon salaire principal vient des droits d'auteur et de mon travail en tant que réalisateur. Et, je bénéficie du statut d'artiste. Ce qui me permet d'investir beaucoup de mon temps dans les projets des autres en tant que producteur. Je suis une personne en moins qui pèse sur la boîte et en même temps, j'ai un volume d'activités de développement, d'accompagnement, etc. Idem pour les associés comme Fabrizio Rongione qui est également comédien, fonction dont est issu son salaire. Il travaille bénévolement, comme n'importe quel associé. Il assiste aux conseils d'administration mais il vient aussi aux visions, aux réunions. Il fait des liens avec des professionnels qu'il rencontre sur les tournages. Puis, on a deux économistes de formation qui ont chacun un métier par ailleurs mais qui sont aussi actifs dans la société. Ces gens-là nous aident à évoluer, à travailler mais ils ne sont pas rémunérés par la boîte.

C. : Comment fait-on pour financer des projets moins conventionnels comme celui de Vincent Solheid, Erika Sainte et Michaël Bier ?
Marie Besson : Pour Je suis resté dans les bois, il était clair que la manière classique ne pouvait pas fonctionner. On s'est assez vite rendu compte qu'il fallait trouver des manières alternatives de financement comme le crowdfunding ou la Commission Film Lab de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ensuite, on est arrivé à convaincre des partenaires plus classiques comme des télés, du Taxshelter ou d'autres distributeurs et diffuseurs.
Samuel Tilman : Chaque année, on a un ou deux longs métrages documentaires en coproduction ou des documentaires un peu ambitieux qui sont bien financés par la télévision, la Commission et un atelier de production, le CBA ou le WIP, en coproduction. Parfois, on a un coproducteur français, ce qui permet de doubler le financement qu'on aurait eu en Belgique et de stabiliser la société. Puis, il y en a d'autres projets comme Je suis resté dans les bois où on sait d'emblée que cela ne fonctionnera pas comme ça. Tout d'abord, parce qu'on est face à trois auteurs, et non un seul, complémentaires et avec des profils différents : une comédienne, un artiste plasticien et un réalisateur et directeur de casting. Ensuite, le trio décide de tourner un film sans écrire de dialogues. Donc, l'outil classique qu'on utilise pour financer des films, le scénario, on ne l'aura pas. C'est un choix artistique qui a été convenu entre les réalisateurs et les producteurs. Si on n'a pas cet outil, comment fait-on ? On ne peut pas le monter comme un long-métrage classique car la Commission ne va jamais nous signer un chèque en blanc. Ils ont beau aimer le travail respectif des différents réalisateurs, ils n'offrent pas de financements juste parce que les auteurs sont intéressants. Dans ce film, les réalisateurs jouent les personnages principaux et s'entourent de comédiens belges professionnels ou non. Par conséquent, il n'y a pas de casting français ni de producteurs français.
Marie Besson : J'ai eu un énorme coup de cœur pour le projet de Vincent. Après avoir vu Le Grand' Tour, j'ai compris dans quel univers il voulait évoluer. C'est sans hésitation que j'ai voulu le soutenir.
Samuel Tilman : Quand on a pris notre décision de ne pas le monter avec la Commission, on a essayé de trouver d'autres moyens. La possibilité la plus envisageable était la Commission Film Lab où on pouvait espérer 20.000 euros. Film Lab, c'est tous les films expérimentaux, domaine très vaste qui permet d'envoyer un dossier sans scénario concret. On l'a eu, puis on est parti en tournage, mais il nous fallait un peu plus d'argent pour payer un minimum l'équipe, la régie, organiser un tournage réaliste. Ce qui nous a aidés, c'est que Michaël, Erika et Vincent ont un énorme réseau d'amis de professionnels et en moins d'un mois, ils ont réussi à mobiliser une équipe d'une vingtaine de personnes, très motivées, pour les soutenir. Et tout a été très vite. Avant le Film Lab, ils avaient récolté plus ou moins 10.000 euros avec le Crowdfunding. Et nous, avec notre réseau de professionnels, on a convaincu BeTV, qui avait diffusé Le Grand'Tour, de soutenir le projet. Il y a eu trois semaines de tournage tout de suite suivi du montage. On devait combler les défauts du projet sur papier en avantages et en atouts. Les défauts, c'était qu'on n'aura jamais d'outil pour trouver le financement. Par contre, les avantages, qu'on avait déjà testé sur Ça rend heureux de Joachim Lafosse, c'est une énorme liberté et une spontanéité ; une équipe légère qui permet de tester des cadres, des gens très motivés qui travaillent dans des délais assez courts. On a tourné en mai, on a un montage qui est presque bon, on attend une aide à la finition long-métrage et on espère terminer fin de l'année. Le travail aura duré un peu plus d'un an. Ce qui est assez rare, car il faut mettre d'accord tous les interlocuteurs qui pointent des arguments tantôt narratifs, tantôt formels. Notre avantage ici, c'est la liberté de travail, mais le prix à payer est une grande précarité.

EklektikC. : Est-ce une source de financement que vous utilisez généralement ?
Samuel Tilman : On ne peut pas solliciter éternellement nos réseaux, parce qu'ils ne répondront plus. Les trois réalisateurs ont un énorme réseau d'amis et de professionnels. On s'était mis d'accord sur la somme de 6 ou 7.000 et on a atteint les 10.000 euros. Les premiers à réagir sont, ce qu'on appelle le premier cercle : les amis et la famille et on peut atteindre des donateurs du troisième, voir quatrième cercle, des gens qui ne connaissent pas du tout les initiateurs. Le tout est d'être original dans les contreparties. Ici, comme contreparties, il y avait par exemple des toiles de Vincent. Il y a deux manières d'utiliser le crowdfunding : pour nous, c'est une petite partie du financement. D'autres essaient de financer tout leur film avec cet outil. On le considère plus comme un outil complémentaire. En plus, monter une campagne de crowfunding, cela prend du temps.
Pour notre campagne, notre plateforme (KissKissBankBank) prenait 8% du montant s'il était atteint. Par contre, ce qui excède le montant escompté nous revient à 100%. Sur certaines plateformes, si tu n'atteins pas la somme, tout est perdu. Parfois, on a investi, quand il manquait 2.000 euros mais on y perd finalement puisque la plateforme prend un pourcentage. C'est un système qui peut être complémentaire et bénéfique, mais ce n'est pas là-dessus qu'on peut bâtir un film.
C'est un moyen de financement qui correspond à des projets plus marginaux. Si on part sur un projet ambitieux, ce ne sera pas le moyen le plus efficace pour trouver de l'argent. Quand un réalisateur reçoit une aide de la Fédération pour un premier film, c'est 400.000 euros. Trouver ce montant en Crowdfunding, c'est un énorme boulot. Certains donnent parfois un montant conséquent comme Jaco Van Dormael, Climax ou Philippe de Pierpont. Il y a une solidarité entre auteurs, entre professionnels. Cela fait du bien de voir que certaines personnes nous suivent.

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