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Rencontre avec Pauline David, coordinatrice du 2è Festival En Ville!

Publié le 24/07/2020 par Constance Pasquier, David Hainaut et Oscar Medina / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Pauline David, coordinatrice du 2è Festival En Ville! (Bruxelles), du 25 juillet au 7 août.

 

"Chaque fois que de nouvelles personnes viennent à nos séances, elles sont surprises et ravies."

 

Après une première édition en octobre dernier, le festival documentaire "En Ville!" est déjà de retour pour la seconde, avec quatorze films diffusés dans quatre cinémas de la capitale, au Kinograph, au Nova, au Palace et au Vendôme. Et un parrain américain nonagénaire de renom, Frederick Wiseman, oscarisé pour l'ensemble de sa carrière en 2017.

Rencontre avec l'initiatrice de l'événement, Pauline David, juste avant le début des hostilités.

 

Cinergie: Votre festival est donc avancé de deux gros mois. Pourquoi?

Pauline David: C'est parti de plusieurs réflexions. La principale, c'est qu'on ouvre pour la première fois nos films à une compétition belge et internationale, avec des prix dotés pour des auteurs ou des autrices. Puis, comme en plein confinement, on ne savait pas encore si les salles allaient ouvrir d'ici octobre, soit à la période initiale de notre festival, nous nous sommes dit: "Allons-y, faisons-le au cœur de l'été!" J'ai donc pu prendre la décision d'anticiper l'événement assez vite, surtout qu'on risque d'assister à un embouteillage des salles à l'automne. En terme de mesures sanitaires, c'est certes un peu compliqué, avec une situation qui évolue tous les jours, mais les quatre cinémas ont réagi rapidement et positivement à l'idée! Grâce à ce confinement aussi, toute l'équipe de programmation a eu le temps de visionner beaucoup de choses...

 

C: ...en d'autres mots, vous avez eu l'embarras du choix pour sélectionner vos films?

P.D.: Oui. Ces derniers mois, pas mal de festivals étrangers du genre se sont déroulés en ligne. Nous avons pu visionner plus de 200 documentaires et découvrir de très bonnes choses: nous avions vraiment le choix! Et je rappelle que toute l'année, via l'association Le P'tit ciné que je dirige, nous montrons des documentaires avec la particularité de toujours inviter les auteurs et autrices. Vu nos budgets, on reçoit en général des personnalités dans une zone géographique proche. Là, je n'ai plus ce "souci", puisqu'on reçoit nos invités virtuellement. Du coup, on a des films venant d'Afrique, du Brésil, d'Asie... La programmation est plus ouverte et exotique que jamais.

 

Ailleurs, partoutC: Et comment définiriez-vous votre ligne éditoriale?

P.D.: J'ai tenu à axer la programmation sur le côté estival, les rencontres de personnages, la joie de retourner au cinéma. Pour nous, c'est important de montrer des films de qualité et qu'on puisse voyager en regardant un film. Moi, quand je visionne, j'aime aller d'un point A à un point B, avec un auteur qui m'accompagne à travers un voyage philosophique, ou vers une réflexion qui mérite le déplacement. Ainsi que les rencontres de personnes, d'imaginaires... En somme, de mieux savoir qui sont nos voisins.

 

C: Quels sont les points forts de votre programmation?

P.D.: Beaucoup d'avant-premières belges, ou de quasi avant-premières, avec 14 courts ou long-métrages documentaires donc, incluant neuf (co)productions belges. Comme Machini, un chef-d'œuvre congolais de poésie, qui dénonce les problèmes liés à l'extraction du cobalt et du lithium que nous utilisons en Occident pour les voitures électriques. Nuit Debout, un autre film congolais, qui montre comment les habitants de Kinshasa doivent rivaliser d'idées pour faire face à des soucis d'électricité. On programme Overseas, qui a bien tourné dans le monde et parle des travailleuses domestiques des Philippines. My Darling Supermarket, qui se concentre lui sur le métier de caissier au Brésil, L'indien de Guy Moquet, un film plein de fantaisie dans les rue de Paris. Et bien d'autres, encore. On a opté pour un mélange entre divertissement et films sérieux.
(programmation complète: http://www.leptitcine.be/IMG/pdf/en_ville-infoge_ne_rale_dp_100720.pdf)

 

C: Difficile de ne pas mentionner votre parrain, Frederick Wiseman...

P.D.: J'ai créé ce festival en pensant à lui. C'est un cinéaste américain qui bosse depuis des années sur les institutions (hôpitaux, justice, armée...) au sens le plus large. Nous faisons en fait pareil de notre côté, mais avec la ville, en se posant la question "Qu'est-ce que vivre ensemble". Je lui ai écrit en expliquant la démarche, pour qu'il soit notre parrain en ligne ici, avant qu'on ne fasse l'an prochain un grand événement en sa présence, via une rétrospective de ses films. Il a 90 ans, va très bien et termine le montage d'un nouveau film et m'a dit que pour lui, le confinement a été une bonne chose (sourire)...Et puis, on a un jury cosmopolite où l'on retrouve par exemple Alexe Poukine, dont le film Sans Frapper a pour moi été l'un des plus beaux de ces dernières années...

 

Don't rushC: Ce cinéma documentaire finalement, comment se porte-t-il, pour la spécialiste que vous êtes?

P.D.: Moi, je trouve que le premier genre de cinéma qui a existé dans l'histoire est toujours de bonne qualité. Peut-être que pendant un temps il a manqué de subsides, ce qui a expliqué qu'on n'a eu de moins en moins de grands noms - comme Wiseman, justement - capables de faire des films ambitieux, pour des raisons qui m'échappent.

En Belgique, il a toujours été là, avec une grande force d'esprit artistique. On sait bien, et c'est valable aussi en fiction, qu'on a très peu d'argent face à d'autre pays, du coup, notre effervescence artistique, reconnue partout à l'étranger, je la trouve dans l'audace, l'expérimentation, le temps de la rencontre. Dans le documentaire, on peut s'y amuser, essayer des choses avec moins de pression économique. Les équipes sont réduites, on bosse plus vite.

Mais c'est aussi dans cette optique que notre festival a lancé deux bourses d'écriture (Scam et Prix Agnès), précisément pour soutenir auteurs et autrices dès le stade de l'écriture: c'est un point essentiel sur lequel on doit continuer à miser, car c'est justement là que l'ampleur d'un projet peut naître.

 

C: Un petit mot sur l'association dont vous vous occupez, Le P'Tit Ciné, qui en arrive à son quart de siècle?

P.D.: J'y suis moi depuis dix ans, et les choses ont beaucoup évolué depuis. On se considère comme un centre de ressources au service du cinéma documentaire, en faisant de la programmation de films en salles, un festival, des masters class et des activités d'éducation par l'image. Mais aussi la formation de médiateurs, d'enseignants, d'animateurs socio-culturels. Le documentaire permet de beaux débats sur des questions politiques et sociales. On travaille beaucoup à le valoriser, tant pour un public cinéphile qu'en essayant de s'ouvrir au plus grand nombre. On a formé 150 personnes en quatre ans, dans l'idée que cela essaime ailleurs. On sait très bien que le documentaire doit encore vivre avec des idées préconçues. Il y a toujours un travail d'accompagnement à faire autour des films, mais le jeu en vaut la chandelle: chaque fois que de nouvelles personnes viennent à nos séances, elles sont surprises et ravies.

Mais bon, ce que je décris là, c'est un combat habituel dans le secteur culturel, et y compris pour la presse, je crois (sourire).

 

C: Pour revenir et terminer sur le festival: un spectateur bien organisé peut-il s'arranger pour voir l'ensemble de vos 14 films?

P.D.: Oui! Avec une programmation autour d'un film par soir – de manière générale - et des courts étant programmés en marge du long, c'est possible! Puis, via l'opération de la Fédération Wallonie-Bruxelles (J'peux pas, j'ai cinéma), plusieurs séances ne coûteront qu'un euro. On a lancé un appel à citoyens, pour trouver des partenariats, qui a bien fonctionné. Je mentionnerai aussi les séances "Hors les murs" dans plusieurs communes de Bruxelles (Ixelles, Molenbeek, Saint-Gilles...), co-organisées avec les comités de quartier. Bref, on se sent bien soutenus et entourés de bonnes vibrations!

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