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Rencontre avec Philippe Reynaert, directeur du 2è Politik

Publié le 14/11/2022 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

"Le cinéma est aussi là pour rapprocher les politiques des citoyens!" (Philippe Reynaert)

 

En ce mois de novembre à Liège, les cinéphiles sont gâtés. Car huit jours à peine après la clôture du Festival de Comédie, la deuxième édition de Politik s'y déroule, du 15 au 20. Quinze films et trois débats animeront six journées sans compétition ni jury, dans un événement qui ne s'autoproclame pas "festival". Parmi six avant-premières, on pointera celle de l'ambitieuse série belge, 1985

Entretien avec Philippe Reynaert, le directeur artistique de ces "Rencontres" qui, pour les fonder, a répondu à l'appel du président de cette initiative, Paul-Emile Mottard, ex-député provincial chargé de la culture à Liège, et créateur en 2006 du premier bureau d'accueil des tournages, le Clap.

Cinergie: Près de deux ans après votre départ de Wallimage, vous voilà donc cofondateur d'un événement en cinéma, Politik...

Philippe Reynaert : Je reste un jeune retraité enthousiaste (rire)! Mais Politik a réellement démarré sur un coup de fil de Paul-Emile Mottard, un ami désormais aussi hors du circuit. Lui avouant que je m'ennuyais un peu, on s'est demandé s'il ne serait pas intéressant de lancer un festival politique à Liège. On s'est vus avant de mobiliser une équipe, composée de membres de Présence et Actions Culturelles (PAC), des gens qui font des choses formidables au quotidien sur le terrain, entre autres dans l'alphabétisation. Au final, on a donc appelé ça "Rencontres" plutôt que festival. L'idée est avant tout de proposer des films ayant une portée politique, le cinéma restant un merveilleux outil pour réunir des gens et susciter des réflexions. On sentait qu'il y avait matière à créer une manifestation, en observant la volonté de reprise de la parole du citoyen, amorcée avec les marches pour le climat. Chez les jeunes surtout, qui estiment que les représentants légaux ne les représentent plus complètement, ce qui est là une lourde question. Mais pour tenter de réduire cet écart entre le monde politique et monsieur tout le monde, le cinéma peut encore agir.

 

C: Le nombre déjà important de festivals belges ne vous a donc ni effrayé, ni freiné...

P.R.: (Sourire) C'est aussi pour ça qu'on a évité ce mot. Beaucoup m'ont dit qu'avec ce thème-là, on ferait fuir tout le monde, mais en fait non, car les gens qui viennent à Politik savent... pourquoi! Vous savez, j'ai présenté des centaines de films, en ayant toujours été frustré par ces débats se tenant à 22h30, face à un public encore hypnotisé par le film qu'il vient de voir, ou regardant sa montre pour ne louper le dernier transport. C'est pour ça qu'on a voulu aller plus loin: on a donc trois grands débats d'une heure trente ou deux sur les six jours de rencontres, placés à 18h30. Avec à chaque fois, un panel très diversifié: des gens du cinéma bien sûr, concernés par un film diffusé la veille, mais aussi des politiques et des représentants de la société civile. Je suis satisfait, car on a testé la formule l'an dernier et le fait de mélanger des gens d'horizons différents sort chacun de sa zone de confort. On a par exemple vu Paul Magnette qui, venu parler d'écologie politique, se faire interrompre par une enseignante spécialisée en animaux lui disant: "Est-ce que vous savez comment fonctionne la démocratie chez les fourmis?", le contraignant à sortir d'un discours convenu. Il y a aussi eu un échange marquant avec des femmes, dont une politique, une syndicaliste, la vice-rectrice et de l'ULG et une femme d'ouvrage, repérée dans un splendide documentaire, Au bonheur des dames.

 

C: Par rapport à ces débats, il y a justement une petite nouveauté, cette année...
P.R.:
Oui! On a passé un accord avec la RTBF et La Libre Belgique pour réaliser un énorme sondage, suite d'un volet entamé l'an passé avec l'enquête Bye Bye, Démocratie?. Nos partenaires ont proposé d'élargir le panel en ciblant plus les jeunes. Les résultats de cette enquête seront publiés le week-end précédant notre festival, et pour commenter ça, Thomas Gadisseux, de la RTBF, animera un débat avec des jeunes de tout bord. On aura ensuite un débat Bye Bye, Libertés?, car on sort d'une période où, justement, les libertés ont été mises à rude épreuve. Et le troisième, Bye Bye, Planète?, fera état de la situation de la terre, toujours inquiétante. On a convié pas mal de jeunes dans les intervenants, car c'est primordial de ne pas perdre le dialogue avec eux, qui gardent souvent le sentiment de ne pas être assez entendus.

 

C: Des jeunes qui n'étaient pas très nombreux l'an dernier, malgré vos trois cent spectateurs venus chaque jour...

P.R.: On a été agréablement surpris par l'affluence l'an passé, car nous nous trouvions dans un contexte post-covid encore délicat. Ce n'était pas Hollywood, mais c'était un beau résultat pour une première. Le petit bémol a en effet été de voir plus de têtes grises que de têtes jeunes. On a donc fait un gros effort cette année pour contrebalancer ça, en communiquant avec les maisons de jeunes et toutes les écoles, et organisant des séances scolaires. Car on pense justement que si la démocratie a de l'avenir, c'est grâce aux jeunes, et certainement pas grâce aux gens de mon âge. L'autre élément intéressant, c'est qu'on projette quinze films dont une bonne dizaine démarre du point de vue d'un enfant ou d'un adolescent sur le monde, à travers le personnage principal. Ce qui se concrétise par le film d'ouverture Les Pires, film évoquant un tournage de... cinéma, où on se rend compte que le septième art devient parfois une métaphore sociétale, avec des gens âgés qui, même en se voulant bienveillants, parlent parfois un langage incompréhensible pour les jeunes...

 

C: Ce film primé à Cannes sera donc l'une de vos six avant-premières...
P.R.:
Oui, contre deux l'an dernier donc, on est fiers! (sourire) Il y a aussi La Conspiration du Caire, qui peut se voir comme un thriller et raconte le destin d'un jeune berger obtenant une bourse pour étudier dans une grande école, et qui débarque dans un établissement en proie à une guerre de pouvoir entre imams. She Said, le film américain qui clôturera l'événement, retrace l'histoire des jeunes lanceuses d'alerte qui ont déclenché l'affaire Weinstein. Mais le mieux est d'aller sur le site! Tout ça ne nous empêche pas d'avoir de l'audace, en programmant par exemple La Maison des jeunes, vingt ans d'amour, un documentaire qui synthétise le travail unique de vingt ans d'un animateur et vidéaste liégeois, Mohammed Hamra. En le découvrant, on a été surpris de sa qualité. Wallonie Image Production (le WIP) a même financé sa post-production, pour le dévoiler à Politik. Et le samedi soir, ce sera la grande première francophone des deux premiers épisodes de la série-événement bilingue 1985 sur les tueries du Brabant. Elle est coproduite pour la première fois de façon aussi égalitaire entre la RTBF et la VRT, et sortira sur ces deux chaînes simultanément début 2023.

 

C: On peut s'étonner de voir votre événement survenir à Liège une semaine après un autre - le Festival de Comédie -, non?

P.R.: C'est vrai, même si nos publics restent différents. Mais il y a une explication. En fait, on s'est installé mi-novembre car à Liège, il y avait déjà une foire du livre politique qui se tenait à la Cité du Miroir. On a donc démarré Politik pour que notre clôture coïncide avec l'ouverture de ce salon qui s'est fait l'an dernier, mais... plus cette fois! Donc, cette période n'a plus de signification réelle. Bon, c'est sûr qu'intervenir juste après le Festival de Comédie fait que cela suscite beaucoup d'agitations sur le terrain liégeois en très peu de temps. Mais on réfléchit à modifier cette date à l'avenir...

 

C: Vous avez déclaré à nos confrères de LN24 que Politik ne pouvait se faire qu'à Liège. Pourquoi?

P.R.: C'est vrai. Mes amis bruxellois me disent que l'initiative est superbe, mais se demandent pourquoi on l'a fait là-bas. Je me suis posé cette question, mais je le sentais et nos débuts m'ont donné raison: il y a eu une adhésion rapide du public, car par nature, les Liégeois mettent plus vite le nez dehors de chez eux qu'ailleurs! Puis, il y a une configuration qui convient au projet, le cinéma Sauvenière, qui est pour moi le plus beau cinéma d'art et essai en Belgique francophone. Il est en plus situé à côté de la Cité du Miroir, sorte de centre culturel dédié aux alternatives démocratiques, avec même une salle pouvant servir aux débats et à des projections de documentaires. C'était vraiment le lieu idéal.

 

C: À l'aube de cette deuxième édition, vos soutiens semblent en tout cas déjà bien présents...
P.R.:
L'initiative a d'abord intrigué, mais pas mal des faits me font dire qu'on a vu juste en plantant ce drapeau sur lequel on a mis Politik. Et je pense hélas que les semaines et les mois qui viennent vont continuer à nous donner raison, avec un monde entré dans une crise quasi permanente, avec la guerre en Ukraine, la crise de l'énergie et celle plus largement financière, qui touche une partie de plus en plus large de la population. Je pense plus que jamais qu'on doit se voir, se parler et recréer du lien. Et je me répète, mais le cinéma reste pour ça un outil fantastique.

 

C: Pour conclure: quelque chose à rajouter ou à communiquer, sur l'événement?

P.R.: Oui, une autre nouveauté: un atelier réservé aux professionnels. On a invité Tristan Bourlard, le réalisateur de documentaires, qui a créé il y a deux ans un studio spécifique (Zest Studio) pour venir en aide aux documentaristes souhaitant intégrer de l'animation dans leurs films, à un prix raisonnable. On peut là parler d'une démarche politique, puisqu'il a rendu accessible quelque chose qui ne l'était pas avant! Tristan donnera une leçon de cinéma. J'avoue être déjà impatient de rejoindre cette nouvelle édition, à laquelle s'est quand même ajouté une journée. Et donc, cinq films de plus!

 

https://politik-liege.be/

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