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Rencontre avec Simon Fransquet pour la sortie de la B.O. de « The Pink Revolution » de Jawad Rhalib

Publié le 01/03/2022 par Harald Duplouis et Nastasja Caneve / Catégorie: Entrevue

Cinergie avait déjà rencontré ce jeune Liégeois au destin un peu incroyable lorsqu’il avait reçu le Magritte 2019 de la meilleure musique originale pour Au temps où les Arabes dansaient de Jawad Rhalib. Trois ans plus tard, fidèle à lui-même, dans son studio en périphérie liégeoise, Simon Fransquet poursuit sa route de musicien, compositeur, luthier, professeur de guitare et sort aujourd’hui, chez BOriginal, un nouvel album, celui de la B.O. du dernier documentaire de Jawad Rhalib, The Pink Revolution, qu’il réalise en featuring avec Jérôme Magnée et Alice on the Roof.

 

Le parcours de Simon Fransquet mérite qu’on s’y arrête… « Vilain petit canard des écoles », c’est l’étiquette qu’il se colle, lui qui a étudié beaucoup de choses mais qui n’a jamais vraiment rien terminé. C’est dans les maisons de jeunes qu’il fréquentait qu’il a nourri son goût pour la musique. C’est d’ailleurs dans ces mêmes maisons de jeunes qu’il donne aujourd’hui la plupart de ses cours, un retour aux sources qui fait sens pour lui. Après un passage au Conservatoire de Liège en guitare classique et un saut au Jazz Studio à Anvers, le musicien retient ce qui l’intéresse et continue de se former à gauche à droite, il se perfectionne et renforce sa palette de couleurs plus « exotiques » en puisant dans les sonorités des musiques du monde. Avec, à son actif, une vingtaine de longs et courts métrages, des séries, des pièces de théâtre, il s’exporte aujourd’hui au Maroc, en Inde, en Arménie, en Tunisie, etc.

Cinergie : Quel est ce nouveau projet The Pink Revolution ?

Simon Fransquet : C’est le troisième film que je fais avec Jawad Rhalib. C’est un film qui parle de la communauté LGBTQI+. On suit plusieurs protagonistes qui s’emparent à leur manière de l’espace public. J’ai composé cette B.O. avec deux featurings : avec Alice on the Roof et Jérôme Magnée de Dan San avec qui j’ai déjà fait trois films : Nous Quatre de Stéphane Hénocque et Tandem Local de François Legrand.

Le processus de travail avec le réalisateur n’a pas été fort différent des deux premiers films. Par contre, le style n’est pas le même. Pour Au temps où les Arabes dansaient, on était sur du piano néoclassique, des choses simples, mélodiques, répétitives. Ici, il voulait quelque chose de plus pop, de plus léger. Parmi les références qu’il m’avait envoyées, il m’avait donné un morceau d’Alice on the Roof que je venais de rencontrer au festival de Cannes où nous faisions chacun un concert sur le Belgian Boat. Je lui ai parlé de mon expérience comme compositeur et elle a été intéressée.

Ça a été un long processus pour Jawad car il avait énormément de rushes. Il a mis du temps à me montrer les premières images. J’ai travaillé un peu en amont, je suis allé sur le tournage, j’ai rencontré les protagonistes. J’ai réfléchi à ce que devaient raconter les chansons. J’ai vraiment commencé lors du montage quand Jawad m’a envoyé le premier ours.

Ce fut un long processus. J’ai cherché, j’ai arrêté, j’ai travaillé sur d’autres projets en parallèle, j’y suis revenu. Ce n’était pas un travail constant, il y a eu des pauses.

 

Cinergie : Pour cet album, quelles ont été vos influences ?

S. F. : J’ai mélangé beaucoup de choses : musiques du monde, jazz, rythmes afros, sonorités orientales arabisantes. J’ai demandé à Antoine Dawan, un trompettiste liégeois de mettre beaucoup de souffle dans la trompette, un peu comme Ibrahim Maalouf. Il a improvisé autour du thème que j’avais écrit. Je l’ai un peu dirigé tout en le laissant relativement libre, notamment pour l’intro de l’album.

Il y a aussi beaucoup de guitare, premier instrument que j’ai étudié, ce qui n’est pas toujours le cas. Puis, il y a le côté très pop électro avec lequel j’ai renoué puisque j’en faisais quand j’étais ado mais ça faisait longtemps que je n’y avais pas touché. Alice a composé le refrain très lumineux du dernier morceau.

Au final, on a quelque chose de très hybride qui ressemble à des choses que je faisais avant, qui est mélangé à l’univers d’Alice tout en s’éloignant aussi de cet univers.

 

Cinergie : Pourquoi avez-vous intégré des discours dans la B.O. ?

S. F. : J’ai travaillé la B.O. un peu indépendamment du film car je voulais faire un album de cette B.O.. Je voulais que la B.O. raconte une histoire à elle toute seule. Cette intro et cette outro ne sont pas nécessairement dans le film. Une partie des voix off de l’intro, ce sont des témoignages qu’on retrouve dans le film et que Jawad a rassemblés. Par contre, le discours de Harvey Milk n’est pas dans le film. Comme ce dernier commence par des propos homophobes très durs, je voulais intégrer un peu de positivité et d’espoir avec le discours que Harvey Milk a proclamé juste avant de se faire assassiner aux USA. Il était parvenu à abolir la loi Proposition 6, The Briggs Initiative (1978), qui défendait aux homosexuels d’occuper des postes dans l’éducation. C’est l’avant dernier morceau de l’album puis il y a la chanson plus légère, plus pop, plus électro avec Alice qui constitue un message de positivité et de bonheur. Les morceaux avec Jérôme sont plus mélancoliques. J’ai vraiment voulu raconter une histoire dans l’album avec différentes étapes.

 

Cinergie : Comment avez-vous intégré le label BOriginal ?

S. F. : C’est Arnaud Blanpain, mon producteur chez General Score, un collectif de compositeurs dans lequel je suis entré plus ou moins à l’époque des Magritte qui inclut Vincent Liben, Thierry Plas et d’autres chouettes compositeurs qui a démarché pour produire la bande originale. BOriginal, label français, a été emballé par mon profil comme je suis, en plus, le seul compositeur belge. C’est une assez grosse boîte spécialisée dans la musique de films qui fait partie de Crystal Group et qui comporte des compositeurs internationaux. Ils ont, par exemple, édité Joa Hisaishi que j’admire énormément. Quand ils ont signé la B.O., ils étaient intéressés de signer la B.O. mais aussi de me signer moi, pour de prochains films.

 

Cinergie : Comment peut-on se procurer cet album ?

S. F. : L’album est sorti sur Internet et il est en précommande en vinyle. On a sorti l’album sur les plateformes car c’est ce qui marche le plus aujourd’hui, les CD ne fonctionnent plus vraiment. On a édité le vinyle car c’est un bel objet pour lequel les gens manifestent de l’intérêt. Le vinyle ne meurt pas vraiment, il est revenu et ne disparaîtra pas. Les CD sont devenus obsolètes. L’industrie musicale évolue constamment chaque année et on doit toujours rester à la page. Ce n’est pas mon truc la vente, les réseaux sociaux donc je délègue.

 

Cinergie : Pourquoi vouliez-vous sortir cet album en particulier ?

S. F. : Le sujet du film me parle et je voulais en faire un album. Aussi, parce que je suis assez content de cet album qui regroupe différents types de musiques qui me définissent assez bien et il regroupe aussi des choses que je n’avais jamais faites avant comme des chansons. Je ne suis pas auteur mais plus compositeur. J’avais vraiment envie d’en faire un bel objet indépendamment du film.

 

Cinergie : Parlez-nous de votre collaboration pour le film Tandem Local de François Legrand.

S. F. : C’est un autre long métrage que j’ai fini juste avant The Pink Revolution et avec la B.O. duquel on a aussi sorti un album avec Jérôme Magnée. C’est un documentaire sur la transition alimentaire. Ils sont partis à vélo pour faire le tour de Belgique des maraîchers et des producteurs locaux qui proposent des alternatives nouvelles à l’alimentation, des circuits courts. C’est une B. O. qu’on a réalisée en quelques semaines. On a rapidement composé une quinzaine de musiques, ça s’est fait plus spontanément car ce sont des choses plus folk, guitare et voix, qu’on a plus souvent l’habitude de faire. On prend le meilleur de ce qu’on a composé, on choisit avec le réalisateur et on voit ce qu’on peut mettre dans le film. C’est une B.O. plus légère, plus facile à écouter en mode voyage dans la voiture. Elle s’inspire de la B.O. d’Eddie Vedder pour Into the Wild qui m’a beaucoup influencé.

 

Cinergie : Ces deux derniers films sont ancrés dans notre réalité. Est-ce une condition pour vous ? De manière générale, comment choisissez-vous vo projets ?

S. F. : Cela m’arrive rarement de refuser un projet sauf si j’ai trop de travail ou si le projet ne me parle pas du tout. Ces deux derniers films abordent des sujets qui me parlent et que j’ai envie de défendre, surtout The Pink Revolution. Même si je ne suis pas issu de la communauté LGBTQI+, c’est un sujet que je suis depuis des années et auquel j’ai toujours été très sensible. Ce sont des projets que j’accepte aussi parce qu’il y a de belles choses à défendre et à raconter.

Même si j’aime travailler sur des documentaires, je pense que je vais m’orienter vers des fictions dans le futur car le travail est un peu différent même si les documentaires de Jawad s’apparentent un peu à de la fiction. C’est parfois plus excitant car je dois créer une histoire de A à Z avec ma musique. Comme avec les images, je suis fasciné par le fait de raconter une histoire en partant de zéro.

 

Cinergie : Comment on devient compositeur de musique de films ?

S. F. : J’ai toujours été plus passionné de cinéma que de musique. Je regarde énormément de films mais j’écoute peu de musique, je préfère le calme. Ado, j’étais vraiment cinéphage, j’ai toujours été fasciné par cette manière dont l’image sublime la musique et inversement. C’est quelque chose que je rêvais de faire. J’ai toujours composé même quand je n’avais aucun niveau à la guitare et aucune formation à la guitare. Déjà à 15 ans, je composais des petites mélodies, je n’ai jamais fait de cover de ma vie même avec mes premiers groupes. Beaucoup de gens m’ont dit que ça faisait très musique de film et c’est venu assez naturellement. J’ai commencé pour des courts métrages de fin d’études puis des courts métrages pour des grosses boîtes. Ça s’est fait petit à petit.

 

Cinergie : Quelles sont vos B.O. de référence ?

S. F. : Une de mes plus grosses références, c’est Gustavo Santaolalla, le compositeur d’Iñarritu (21 grammes, Amours Chiennes, Babel et un jeu vidéo incroyable). J’adore sa manière de mêler des instruments traditionnels comme le charango, un instrument que j’utilise beaucoup dans un contexte hors de la musique traditionnelle. J’utilise aussi des instruments traditionnels que je ramène de partout d’une manière non traditionnelle. J’essaie d’ajouter des couleurs organiques avec ces instruments dans les B.O. que je fais. Thomas Newman, compositeur de la B.O. d’American Beauty de Sam Mendes m’a aussi beaucoup influencé. Quand on écoute cette B.O., on a des percussions traditionnelles et des choses étranges auxquelles on ne s’attend pas quand on va voir le film. Ces compositeurs m’ont influencé dans la manière dont je conçois mes bandes originales.

Un des compositeurs qui m’a le plus fasciné quand j’étais ado, c’est Joa Hisaishi, le compositeur de tous les films de Miyazaki. Il compose des choses que je serais incapable de composer, c’est tellement bien orchestré, ça bouge dans tous les sens, c’est plein d’émotions. Ce n’est pas du tout ce que je fais même si ça m’a un peu influencé dans la manière dont j’écris les mélodies. Chaque fois que je vois Le Voyage de Chihiro, je suis bluffé.

 

Cinergie : Parallèlement à vos compositions pour le cinéma, vous jouez actuellement au Festival de Liège Je suis une histoire ? De quoi s’agit-il ?

S. F. : C’est une pièce que je joue actuellement avec Anthony Foladore, comédien belge. Cela part d’écrits à lui, de bribes de textes, d’histoires, des poèmes. On a tout fait à deux : j’ai composé sur ses textes de manière très spontanée et il a réécrit sur mes compos que je faisais avec ma Loop Station. On s’est enfermés et on a créé ça ensemble. Ce sont des sujets qui nous parlent tous les deux. On n’est pas issus d’un milieu artistique à la base et on a tous les deux fait des boulots très éloignés de ce milieu : il a travaillé comme maçon et moi comme éboueur quand j’étais ado. L’art a été une manière de s’élever pour lui dans le théâtre comme pour moi dans la musique. On a vraiment envie de parler de ces histoires atypiques dont on ne parle pas car on considère ces histoires comme peu intéressantes. Par exemple, un des personnages principaux, Marai, qu’Anthony a connu, a grandi dans la colère, il a eu une vie horrible, sa mère le faisait dormir dans la niche du chien et il a fini par se mettre une balle dans la tête en jouant à la roulette russe en soirée. Ce mec faisait du rap, de la poésie sur le côté mais tout le monde lui avait collé une étiquette : celle du mec qui dealait, qui était violent. Il n’a pas su sortir de ce schéma de violence, il n’a pas rencontré les bonnes personnes. On n’a pas su troquer son fusil contre un micro. Ce sont des sujets qui nous touchent parce que lui comme moi on s’est un peu éduqués, on s’est grandis grâce à nos méthodes d’expression respectives.

C’est fort en lien avec ce que je fais dans le cinéma. Alors que je suis cinéphile, je ne suis pas très théâtreux à la base, je n’y allais jamais ado, c’est un média qui ne m’intéressait pas beaucoup. Mais, il y a quelque chose d’un peu cinématographique dans cette pièce : on raconte plusieurs histoires et ces histoires s’entremêlent. On a d’ailleurs voulu sortir du théâtre et faire une pièce qui pourrait se jouer ailleurs, dans les bars, par exemple, puisque ce sont de petites histoires qu’on peut se raconter au comptoir d’un bar.

 

Cinergie : Quels sont vos projets ?

S. F. : J’ai plusieurs films que j’ai terminés et qui vont sortir comme It takes a village, un court métrage arménien, Megalomaniac de Karim Ouelhaj, un film fantastique-horreur dont je suis fier de la B.O. qui est très viscérale proche du sound design, Un été à Boujad d’Omar Mouldouira sur lequel j’ai travaillé avec Yasmine Meddour, actrice et chanteuse, compositrice pour Papicha de Mounia Meddour. Je vais certainement en faire un album quand le film sortira.

Je travaille actuellement pour un film qui se tourne en Tunisie et un film indien. J’espère pouvoir aller sur place comme je l’ai fait pour le film au Maroc. Ce serait rassembler mes trois passions : la musique, le cinéma et le voyage. D’habitude, on arrive tard dans l’élaboration d’un film comme compositeur, au moment de la postproduction quand le film est presque fini. On est souvent pressé par le temps et on travaille beaucoup en studio. Si j’ai la possibilité d’aller sur place pendant le tournage pour m’inspirer des sonorités du pays, c’est vraiment tout ce que j’aime.

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