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Rencontre avec Stefano Ridolfi, réalisateur de "Sur Elise"

Publié le 27/06/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Entrevue

C’était le 10 mai 2008, et nous étions heureux.

À l’orée d’une relation empreinte de promesses, le désir est présent : il fait aimer et pousse à la séduction. Mais il y a aussi l’alignement des planètes, la couleur des lacets défaits, et, éventuellement le cosinus de la volonté de la préservation de l’espèce. On tombe amoureux, et on ne peut y faire grand-chose, si ce n'est séduire encore plus cet autre qui nous attire. Le couple par contre est une volonté de faire d'une passion un projet de vie commune. Alors, lors de la séparation, on casse. On casse tout en deux, jusqu’à la dernière cigarette. Stefano Ridolfi raconte avec son premier court-métrage intitulé Sur Elise, la genèse d’une rupture amoureuse. Lorsqu'il y a rupture entre deux êtres, qui se sépare réellement de qui ? Qui souffre le plus ? Combien de fois nous sommes-nous aimés et séparés ?

Avec humour et mélancolie, le narrateur revient sur cette histoire d’amour, après 7 ans, 3 mois et 12 jours.

Cinergie. : Quel a été votre parcours artistique ?
Stefano Ridolfi : J’ai fait des études de communication à Bologne, ma ville d’origine. Je suis ensuite parti en Erasmus à Madrid où je me suis familiarisé avec le monde du cinéma. J’ai entamé des études de cinéma là-bas, à l’Ecam. Lorsque j’ai terminé, c’était la fin de beaucoup de choses pour moi, la fin d’un cycle de ma vie. Sur Élise est le premier court-métrage que j’ai réalisé ici à Bruxelles mais qui contient des images tournées pendant ces années-là. Le films a été fait sans moyen, totalement auto-produit. Je ne connaissais personne, et je me suis dit que je voulais faire quelque chose de rapide.

C. : Donc vous en avez eu l’idée en arrivant à Bruxelles ?
S.R. : Oui, l’idée est venue de mon expérience. Comme tout le monde, j’ai eu des histoires d’amour qui ont mal fini. Je sortais d’une relation de 6 ans, qui a été importante pour moi. J’ai ensuite beaucoup pensé à la genèse de la séparation. L’urgence était de retracer cela, et de le penser en images, d’arriver à faire un travail de deuil et de réflexion. La comédienne qui joue est ma femme. J’avais déjà près de 80 % de rushs que j’avais tournés et accumulés au fil des années. J’ai commencé à tout monter, à faire la voix off en italien d’abord, sans scénario, sans rien. C’est une forme de collage et de home movie mélangeant des formats comme le roman photo, des diapositives, avec des effets super 8.

C. : Pourquoi avez-vous utilisé ces mélanges de formats ?
S.R. : C’est le thème du temps qui revient. Les diapositives se sont les souvenirs les plus forts de mon enfance. On les projetait au moins une fois par semaine avec mes parents et mon frère, nous n’attendions que ça. C’est donc quelque chose que je lie fortement à l’idée de souvenirs. Après, il y a des choix dictés par les moyens disponibles d’auto-production. Mes choix artistiques sont déterminés par les limites techniques aussi. La majorité des rushs a été tournée avec un ancien iphone dont l’objectif était endommagé, j’ai donc opté pour un effet 8mm en postproduction. En plus d’avoir des vertus techniques pour cacher les défauts, il m’était utile narrativement.

C. : Pourquoi ce choix de filmer l’amour de dos ?
S.R. : Ma femme n’aime pas du tout être captée par la caméra. Je la filmais à son insu et à chaque fois qu’elle s’en rendait compte, je continuais pour avoir des réactions réelles, prises sur le vif, comme lorsque vous surprenez quelqu’un.

C. : Le souvenir prend ici une place prépondérante.
S.R. : Oui effectivement, l’amour est lié au souvenir de manière profonde. Souvent, lorsqu’on a une histoire importante qui se termine, on pense être encore amoureux de l’histoire. Mais nous sommes seulement amoureux des souvenirs, qui sont plus beaux que la réalité. Nous étions le 10 mai 2008, nous étions heureux, il se rend compte dans le présent qu’il était heureux avant. La chose la plus difficile, est sans doute de le voir et de jouir de cela dans ce moment précis et non en tant que souvenirs.

C. : Il y a aussi ce côté très absurde de la séparation, couper les cigarettes en deux, les spaghettis, etc.
S.R. : Oui, il s’attache à ça, c’est tout ce qu’il a retrouvé d’elle : des cintres vides, le post it. Les choses sont inévitablement liées à un lieu. Quand il y a rupture, il y aussi rupture du lieu, des choses, des outils... Je trouve cela très poétique, drôle et tragique aussi.

C. : Il y aussi une pudeur, on ne sait pas à quel point ils se sont aimés, ce qu’Élise est devenue. Dans sa recherche, peut-être se trompe-t-il ?
S.R. : Oui c’est un choix, car c’est aussi un échec pour le protagoniste. Il cherche des explications complètement folles et irrationnelles à l’amour. C’est le côté drôle du film. On ne peut pas définir l’amour, mais seulement parler d’histoires d’amour. Moi, je parle ici d’une histoire amoureuse, qui bien entendu peut être partagée dans ce qu’elle a d’universel : le désamour, et la douleur d’une séparation.

C. : Le film est allé en festival ?
S.R. : Le film a été projeté au BSFF. Je n’y croyais vraiment pas ! C’est ma femme qui m’avait conseillé de l’envoyer, et je l’ai fait pour elle. J’ai reçu le prix de la critique. Ensuite, l’agence belge du court-métrage l’a distribué. Il a été acheté par Arte aussi. C’était une belle première expérience car c’est difficile quand on fait tout tout seul. C’est difficile aussi de se juger soi-même, alors qu’en équipe, il y a des retours. Mais il y avait une vraie urgence pour moi d’écrire cette histoire et de me remettre à créer.

C. : Vous travaillez sur d’autres projets ?
S.R. : Oui j’ai un scenario et cette fois je travaille avec un producteur. J’aimerais beaucoup travailler en équipe. Pour le moment, tout est en route pour les commissions. C’est un projet plus classique, avec des comédiens, des sons directs (rire).

C. : Vous aimeriez retravailler sur le même thème ?
S.R. : L’amour, c’est un grand thème cinématographique ! Honnêtement, on vit dans une époque de l’image. J’ai du mal à créer juste quelque chose comme ça. J’ai besoin moi-même de croire fortement en quelque chose pour le faire. Même un petit projet comme Sur Élise demande beaucoup de travail, je dois croire à la nécessité pour moi de faire quelque chose. Il n’y a pas beaucoup de sujets qui valent vraiment la peine à part l’amour et la mort. Et ces deux thèmes nous donnent des sources intarissables de création.

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