Cinergie.be

Rencontre pour la troisième et dernière saison d'Ennemi Public

Publié le 11/03/2023 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Ennemi Public a (déjà) rempli son contrat

Après le récent succès de 1985, la RTBF embraye ce dimanche 12 mars avec la diffusion de la troisième et dernière saison d'Ennemi Public. Qui a, dès son lancement en 2016, en même temps que La Trêve, permis aux séries belges francophones d'entrer dans une nouvelle ère.

Rencontres, Boulevard Reyers, avec le réalisateur Matthieu Frances, l'emblématique Angelo Bison (alias Béranger), Pauline Etienne (Jessica, la sœur de Chloé, toujours jouée par Stéphanie Blanchoud) et un nouveau venu, Douglas Grauwels, qui campe Thomas.

Une série qui, malgré un succès au-delà de nos frontières, constituait un laboratoire pour le Fonds-Séries lancée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF en 2013, un financement restant fragile en Belgique francophone, la demande d'un changement de format (10 à 6 épisodes) pour cette saison afin d'être plus en phase avec l'époque, ou encore, le décès d'un comédien (Vincent Eloy, avant celui de Philippe Jeusette à la fin du tournage), entre bien d'autres péripéties : à ceux et celles qui se demandent pourquoi il a fallu patienter quatre ans avant de retrouver Ennemi Public, les réponses sont d'ores et déjà données...

Une série pionnière...

Et pourtant. "Malgré ces embûches, jamais il n'a été question dans mon esprit que cette saison finale ne se fasse pas", lance son créateur Matthieu Frances. "Face à tout ça, il a chaque fois fallu se réinventer, dans notre volonté de ne pas décevoir le public ni d'abandonner une équipe d'une centaine de personnes. Tout ça fait que nous, la chaîne et la production avons tenu bon. Et je crois qu'on s'en est bien sortis.", détaille encore ce jeune quadragénaire, éreinté, mais soulagé d'avoir initié et bouclé un projet d'une ampleur inédite auquel, à l'origine, pas grand monde ne croyait. "Ennemi Public a pris une place considérable dans ma vie, ça m'a même bouffé j'avoue, mais je reste fier, reconnaissant et heureux de cette expérience acquise. Puis, autour de la série, un groupe d'ami.e.s, une famille même, s'est constituée. C'est gratifiant. Alors oui, le boulot a été conséquent, notre quotidien a été mis entre parenthèses près de dix ans, et moi j'ai accumulé comme un idiot pas mal de postes, mais le jeu en valait la chandelle." Des propos rejoignant ceux prononcés par lui-même et son équipe d'auteur.e.s, lors du premier appel à projets de séries du Fonds FBW/RTBF il y a dix ans : "Si on ne dépose pas un projet maintenant, on risque de le regretter toute notre vie !"

... qui a évolué

Un western urbain pour la première saison, un drame psychologique pour la seconde. Comment Frances qualifierait-il sa nouvelle salve ? "Un drame familial, je dirais. C'est une saison radicalement différente à bien des égards, avec un centre de gravité qui bascule davantage vers le point de vue des victimes. Le pari des débuts a été de créer de l'humanité autour d'un monstre, qu'on peinait à détester, grâce à la magie de la fiction. Mais avec ce nouveau regard, on part du principe que si des dommages ont été causés, tout est à reconstruire et que la vie ne pourra reprendre comme avant. Le tout, autour de l'enlèvement d'une petite fille, un sujet qui nous touche profondément, et qu'on avait envie de traiter."

"Les séries belges francophones ont bien une place à prendre" (Angelo Bison)

"Mission accomplie." Tels sont les premiers mots que nous confiera Angelo Bison, qui incarne le psychopathe et tueur d'enfants dans la série, Guy Béranger, désormais moine dans l'Abbaye de Vielsart. Il poursuit : "Abominable, mon personnage essaie de se refaire quelque chose de l'ordre d'une respectabilité, pour redevenir plus ou moins normal." Un Bison qui avait à cœur d'amener une autre palette. "Cette fois, on essaie beaucoup plus de rentrer dans sa tête, en essayant de comprendre ce que ce type ressent, pour que le public puisse tenter de voir s'il y a quelque chose derrière lui. À moins que ça ne soit un vide abyssal ?"

Le comédien, primé Meilleur acteur au festival Séries Mania, souligne par ailleurs la luminosité de cette saison (tournée pour la première fois durant un été), dans une série jusqu'ici plutôt sombre. Il partage la fierté de l'équipe. "Je suis heureux d'avoir fait partie de ces précurseurs, pour qu'on montre au plus grand nombre que des acteurs belges francophones peuvent être bons derrière une caméra et que des réalisateurs sont capables ici de faire de magnifiques séries. Preuve que si on s'en donne les moyens, que nos séries peuvent être vues dans le monde entier. Sur Instagram notamment, je reçois énormément de messages d'Amérique Latine, d'Inde, des USA (...), ce qui me surprend toujours. Et on me parle chaque fois de nos différences : des paysages au rythme, en passant par les dialogues. On a donc bien une place à prendre et on peut nous faire confiance. Une confiance dont acteurs, réalisateurs et techniciens sont dignes."

L'acteur belgo-italien, au passage, nous a annoncé avoir mis un terme à une prolifique carrière théâtrale de 43 ans. En ayant pris goût à la caméra : "Pour le moment je suis en attente d'autres rôles, dans d'autres registres, mais je ne vois pas venir grand chose (sourire). Même si j'ai une vie familiale qui me rend heureux et que tout ce qui viendrait ne serait que du bonus", précise-t-il, rappelant néanmoins qu'il a récemment campé un rôle de notaire dans le dernier film (Bonnard, Pierre et Marthe) tourné par Martin Provost avec Cécile de France.

Des retrouvailles à différents niveaux

Et autour des autres personnages de la première heure (incarnés par Stéphanie Blanchoud, Clément Manuel, Jean-Jacques Rausin...), Douglas Grauwels débarque dans cette saison dans le rôle de Thomas, un policier. Ce jeune belge vivant à Paris, très actif au théâtre, a peaufiné son rôle en suivant une formation à Charleroi, apprenant notamment à manier une arme. "C'était stressant, mais le plus dur a été de se retrouver sur ce tournage dans un ambiance joyeuse où, tout à coup, il fallait se plonger dans des situations assez noires, proches du cinéma de genre." Un acteur de plus en plus sollicité (trois séries et trois long-métrages en un an, dont Le Syndrome des amours passées d'Ann Sirot et Raphaël Balboni, et Chienne de vie de Xavier Seron) et que connaissait déjà bien Pauline Étienne, pour avoir tourné Match – avec Clément Manuel, d'ailleurs – cette capsule humoristique diffusé par Be TV et la RTBF lors de la récente coupe du monde de football. L'actrice retrouvait son rôle de Jessica, après quatre ans d'attente. "Il a fallu évidemment se remettre dans l'ambiance, revoir les épisodes même, pour retrouver l'inspiration et vivre avec un personnage enfermé plusieurs mois au même endroit. Ce qui reste quelque chose de particulier à vivre, même dans une fiction." La désormais Bruxelloise, qui vient de terminer une fiction (Bonne maman) pour TF1 avec Muriel Robin, repartira dans quelques semaines en tournage en France pour Canal + pour une autre série, Les Sentinelles.

"On a encore beaucoup à apprendre de la Flandre" (Matthieu Frances, réalisateur)

Conscient que sa série librement inspirée de l'Affaire Dutroux ait servi de gigantesque atelier pour toutes les séries belges, Matthieu Frances poursuit : "Cette aventure nous a appris à mieux faire des séries chez nous. Qui s'améliorent encore, tant en qualité que pour les conditions de tournage, aujourd'hui plus raisonnables. Un savoir-faire arrive, la rotation des comédiens s'agrandit et 1985 vient de démontrer qu'on pouvait aussi collaborer avec la Flandre. Ce qu'on pourrait faire plus, encore. Sur Ennemi Public, on a d'ailleurs reçu dès le départ les conseils d'un script-doctor flamand, qui nous a été très précieux. Donc au niveau belge, on a encore des possibilités de créer une famille incroyable, et de faire encore plus d'échanges. On garde quand même la même carte d'identité et la même histoire! On a encore beaucoup à apprendre de la Flandre Et c'est logique, puisqu'ils ont pris un peu d'avance sur nous..."

Vers d'autres Ennemi Public?

Un Frances qu'on a souvent vu, ces dernières années, venir prodiguer ses conseils, lors de colloques ou de réunions, auprès de jeunes professionnel.le.s et d'étudiant.e.s. Car il mesure l'importance de transmettre ? "Oui. Vous savez, quand on a démarré Ennemi Public il y a dix ans, on sortait d'écoles de cinéma. Mais à l'époque, les techniques propres à l'écriture d'une série ne nous avaient pas été inculquées. On a dû nous-même faire notre écolage, lire et apprendre énormément, et suivre un coaching. C'est ce qui nous a permis d'évoluer, mais on s'est souvent dit que si on nous avions eu des personnes pour nous partager ça plus tôt, cela nous aurait évité quelques erreurs et fait gagner beaucoup de temps ! C'est dans ce sens qu'on n'hésite pas à aider celles et ceux qui démarrent, en leur expliquant ce qui a marché ou pas dans notre cas. Ils peuvent ainsi avancer plus vite, sans partir d'une page blanche comme nous. Si on a suscité des vocations ? Je l'ignore franchement, mais si c'est le cas, ce serait évidemment génial! Un réalisateur qui est à présent parti sur deux autres projets de série. "Je préfère ne pas encore trop en parler, mais un projet vient plutôt de moi, avec un sujet lourd et proche d'Ennemi Public, situé dans une Belgique contemporaine. Et un autre, qu'on m'a proposé."

Une large diffusion déjà garantie

Scénarisée par Chloé Devicq, Gilles de Voghel, Matthieu Frances, et Christophe Yates, cette ultime saison a été co-réalisée par Gary Seghers et Frances lui-même donc, en étant coproduite par la RTBF, Entre chien et loup et Proximus (qui a diffusé la série en primeur pour ses abonnés de Pickx Mix, en janvier), avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Netflix, Screen Brussels et Wallimage.

Tout à propos de: