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Small Things like these - interview Tim Mielants, Zara Devlin & Eileen Walsh

Publié le 18/11/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

“Lorsque que l’on se tait, on est complice” : rencontre avec l’équipe de Small Things Like These

Ouverture du festival de Gand, Small things like these fait ressurgir à l’écran la sombre histoire des blanchisseries Madeleine, page noire de l’histoire récente irlandaise. Dans le cadre de cette sortie, prévue pour le 20 novembre, Cinergie a rencontré son réalisateur Tim Mielants (Wil), ainsi que les actrices Zara Devlin et Eileen Walsh, toutes deux fortement concernées par le sujet du film.

Cinergie : Comment êtes-vous arrivé sur ce projet?

Tim Mielants : Après Peaky Blinders, Cillian Murphy et moi-même avions une envie commune de collaborer à nouveau. C’est Cillian qui a suggéré le livre de Claire Keegan, Ce genre de petites choses… Par miracle, les droits étaient encore disponibles. Nous avons demandé à Enda Walsh [dramaturge et scénariste irlandais, NDLR] de prendre en charge l’écriture du scénario, et grâce à la rencontre entre Cillian et Matt Damon sur Oppenheimer, Ben Affleck et lui-même ont également apporté leur soutien au projet. Parfois, les choses s’enchaînent très vite, et il faut pouvoir profiter de ces moments.

 

C. : Qu’est-ce qui vous a poussé à partager cette histoire?

Tim Mielants : L’histoire du deuil et de la perte m’attirent, thématiquement parlant. Dans De Patrick, c’était déjà le cas au travers de mon histoire personnelle, et c’est quelque chose que je voulais continuer à explorer. Avec Cillian, travailler sur ce personnage face à la perte de sa mère, et aborder ce récit historique du point de vue d’un protagoniste masculin me semblait intéressant, au cœur de ce silence terrible de la société irlandaise encore aujourd’hui.

Eileen Walsh : Pour ma part, j'ai une connexion très forte, presque physique avec ce sujet. Ayant grandi à Cork, je savais qu’il se trouvait dans la ville un couvent de la Madeleine, et cette présence planait au-dessus des esprits de chacun. Cette histoire a vraiment été gravée dans l’ADN de toute une génération d’irlandais·es, et le tabou très puissant qui y était associé.

Zara Devlin : C’est au travers du précédent film d’Eileen sur le sujet, The Magdalene Sisters, que j’ai personnellement entendu parler de ces histoires. Ce récit m’a bouleversé. J’ai ensuite eu l’occasion de collaborer avec Eileen pour Ann Lovett, une histoire tout aussi fortement ancrée dans le passé sombre de l’Irlande, où j’incarne cette jeune femme qui est morte en accouchant clandestinement dans une grotte dans les années 1980. Il y a beaucoup d’histoires de ce type autour du secret, de la répression, mais aujourd’hui la parole se libère, et j’en suis très heureuse.

 

C. : Comment avez-vous abordé la mise en scène du film?

Tim Mielants : À la lecture du roman, il m’a semblé que Claire Keegan avait réussi à trouver un positionnement très subtil pour son protagoniste, plutôt observateur silencieux. Et je voulais conserver cela dans le film. J’ai été très inspiré par le cinéma d’Ozu, comme Tokyo Stories, et je voulais reproduire le même type de cadrage. Les films Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes de Terrence Davies sont aussi deux références vers lesquelles je suis revenu au cours de ce tournage.

Ces lieux qui reviennent, chargés d’histoires et de passé, que l’on redécouvre au fur et à mesure de l’œuvre et dont la symbolique est très forte. Avec ces cadrages statiques, je voulais reproduire cela avec subtilité et poésie, tout en intercalant la dramaturgie dans ces plans.

 

C. : En tant qu’actrices irlandaises, comment avez-vous vécu l’incarnation et la mise à l’écran de ce récit?

Eileen Walsh : C’est très cathartique, non seulement pour le peuple irlandais, mais aussi parce que ce type de pratiques de l’Église n’ont pas eu lieu qu’en Irlande. Je pense que, de façon générale, les récits que l’on raconte sont souvent des histoires d’hommes, alors que ceux qui doivent être racontés sont des récits de femmes.

Partager ces histoires est non seulement nécessaire, mais aussi extrêmement bien amené par Claire Keegan dans son livre au travers du point de vue de Bill, et de la pression qui est exercée sur les femmes, mais aussi sur la société en général. Les femmes ont depuis longtemps été utilisées comme des instruments de contrôle par les religions, non seulement en les brimant, mais aussi en les utilisant, comme ces sœurs qui sont représentées à l’écran. C’est toute une hiérarchie de la douleur qui était mise en place, et qu’il faut pouvoir dénoncer.

Ce que je trouve également choquant, c’est qu’alors que The Magdalene Sisters est sorti il y plus de vingt ans, le public ne connaît toujours pas cette histoire. Il existe une génération tout entière qui ignore le traitement qu’ont subi ces femmes aux couvents Madeleine. Faire ce film aujourd’hui, c’est aussi le moyen de remettre ce sujet au cœur des conversations, et de délier les langues.

 

C. : C’est un film où le silence joue en effet un grand rôle…

Tim Mielants : C’est littéralement un film sur le silence. Et ce silence est souvent plus assourdissant que les morts. Ce qu’a fait l’Église, c’est diviser et intimider pour mieux contrôler. En gardant le silence, vous faites (ou faisiez) ce que l’Église attend de vous, mais en même temps, vous y perdez votre humanité. C’est de cela que parle le film, l’absence de parole qui vous rend complice. Je fais le parallèle avec Wil, et je pense que le public pourra également faire des liens avec ses propres histoires.

 

C. : Et pour terminer, une question (plus légère) que nous posons à nos interviewé·es : quel serait votre premier souvenir de cinéma?

Tim Mielants : Question difficile. Il y a toute une série de films que l’on voit très (trop) jeune et qui vous marquent, Breaking the Waves de Lars Von Trier par exemple dans mon cas. Mais ce sont aussi tous ces films que mes grands-parents regardaient, Taxi Driver, Mean Streets, Scorsese et New York en général…

Eileen Walsh : En ce qui me concerne, c’est ma sœur qui m’a emmené découvrir L’Histoire sans fin au cinéma, l’une de mes toutes premières expériences du grand écran, très impressionnante.

Zara Devlin : Premier film d’animation, Toy Story, premier film en prises de vues réelles, Harry Potter !

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