Entre ombre et lumière.
“Dans la pluralité des rêves qui occupent mes jours et mes nuits, je n’ai pas découvert le fil conducteur qui m’aille comme un gant, aussi, je rêve à mains nues.”
Entre ombre et lumière.
“Dans la pluralité des rêves qui occupent mes jours et mes nuits, je n’ai pas découvert le fil conducteur qui m’aille comme un gant, aussi, je rêve à mains nues.”
Il y a des mains qui bougent, qui claquent. Il y a des lignes, des courbes. Il y a un corps inquiet, surpris, souffrant, un corps vivant. Parfois, immense, il envahit l’espace, devient abstrait. Parfois, perdu et seul au milieu du vide, il cherche désespérement sa place.
Solo est une rencontre, pas seulement entre un cinéaste et une danseuse, mais plutôt entre le cinéma et le corps. Les deux personnalités que sont Michèle Noiret et Thierry Knauff se sont trouvées, pourrait-on dire, et l’approche expérimentale qu’ils menaient depuis longtemps, chacun de leur côté, aboutit ici à un accord parfait, une véritable symbiose.
Il est somme toute logique que Solo, réalisé en 2004, ait connu une suite, un deuxième film, autonome et complémentaire tout à la fois. À Mains Nues, sorti en 2006, en est une variation, un prolongement, la pièce manquante de ce qui deviendra alors un diptyque. Dans cette deuxième partie, la danseuse et chorégraphe n’est plus seule mais en compagnie de son père, le poète Joseph Noiret. Telle une muse inspiratrice, elle chuchote des mots qui s’écrivent et se “désécrivent” sur la page blanche. Telle un songe, elle apparaît puis s'efface, se débattant avec son double.
Thierry Knauff ne filme pas la danse, d’ailleurs, Michèle Noiret ne danse pas, il s’agit d’autre chose, et avant tout de créer un monde. Solo + à Mains Nues nous racontent une histoire, notre histoire, celle que l’on voudra, faite d’ombre et de lumière, de présence et d’absence, une histoire dans laquelle l'équilibre des formes paraît nous ouvrir un accès immédiat à notre vérité. Il ne s’agit pas d’y découvrir un sens caché, mais de se laisser porter par l’image, le geste et le son qui, dépendant les uns des autres, parviennent à créer l’émotion.
La chorégraphe, sans cesse à l'écoute de la musique intérieure du corps nous contraint à tendre l'oreille, à prendre part charnellement à l'histoire. Pour Solo, elle collabore avec le musicien Stockhausen qu’elle connaît depuis des années. Ensemble, ils travaillent à la codification des gestes, soit par des chiffres, soit par des signes placés au-dessus des notes, dans la portée musicale. Chaque instrument de musique correspond à une partie de son corps. On comprend aussitôt alors que le projet ait séduit le réalisateur, lui qui consacra, en 1991, un film sur le compositeur viennois Anton Webern. La musique, pour Thierry Knauff, est ce vers quoi tendent tous les arts, et le cinéma est avant tout cela, une recherche de la musicalité. Qui mieux que lui pouvait ainsi montrer comment le corps se fond avec la musique, comment la musique s’incarne dans le corps. Le son est porteur de sens et de sensations. Il est en quelque sorte la chair du film.
Mais comme existe la note juste, existe l’image juste et c’est bien cette impression qui reste à la vision de diptyque, une précision extrême d’ombres et de lumières que le choix du noir et blanc intensifie.
La caméra permet d'explorer le champ des possibles. L’alternance entre gros plans et plans d’ensemble, des plans latéraux ou en hauteur permettent des variations à l’infini. Un pied, une main acquièrent tout à coup une vie propre, presque effrayante. Puis, la caméra laisse le geste advenir dans le cadre, crée un effet de présence et d’absence, un va et vient incessant qui est lui même une danse.
Accélérations, ralentis, silences, le rythme est donné. Le cinéma de Thierry Knauff ne fige pas le geste, n’est pas une tentative de le mettre en cage, mais au contraire l’étend et lui permet d’acquérir une forme d’immortalité.