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Somewhere between here and now d’Olivier Boonjing

Publié le 13/07/2009 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Somewhere between here and now
Interview d’Olivier Boonjing, Olan Bowland et Jean-François Metz

Un pour tous, et le reste suivra


Qui sont-ils, ceux-là qui sont partis à l’aventure d’un premier long métrage autoproduit et réalisé presque en catimini ? Au générique du film, trois noms – rien que ça - pour la photographie. Le premier, Olivier Boonjing porte le film puisqu’il signe aussi le scénario et la réalisation, mais si l’on fouille plus loin le générique, il est aussi à la production, au son, au montage, à la postproduction… Et Olivier nous fait remarquer que c’est plutôt courant, qu’au générique de Seven, on retrouve tous les chefs op’ de David Fincher, mais à d’autres postes… Le second, Olan Bowland, est aussi à la production et au montage. Troisième comparse : Jean-François Metz, dit Jeff. 

Somewhere between here and now d’Olivier Boonjing

Très vite, il apparaît que Somewhere between here and now, est le projet du premier accompagné de tous les autres, une aventure qui devient peu à peu collective, d’abord portée par les deux premiers, accompagnée par le troisième, rejointe ensuite par un quatrième : Quentin Aksajef puis par un cinquième au son, Thibaut Darscotte. Rencontré plus tard, il a beaucoup apporté au projet : « des choses très subtiles, une vision plus scénaristique du son. Comme le ton du film était plutôt documentaire, il fallait arriver à trouver le ton d’une atmosphère sans que ce soit trop propre et trop net», dixit Olivier.
C’est l’avantage de prendre son temps pour faire son propre film. D’une part, il faut aller travailler ailleurs pour gagner sa vie. Le film se met en pause. Mais du même coup, on fait des rencontres qui le régénèrent et l’on revient le nourrir « avec un œil plus frais »… Ils travaillent à deux, à trois, voire à beaucoup plus depuis plusieurs années. Ils se connaissent, sont amis, et s’aventurent ensemble dans le cinéma, en mettant en commun leur temps et leur savoir-faire. Tandis qu’Olan a fait l’INRACI, Olivier a fait de l’infographie et la photographie. D’amis en amis, de rencontres en rencontres… Ce qui les lie tous les uns aux autres, c’est leur passion pour l’image. Après l’IAD, des courts métrages sans budget, « une rencontre sur Ça rend heureux et une rupture sur Nue Propriété », Jeff arrive trois ans plus tard dans le duo, comme chef électro sur un clip où une nuit de travail tourne à trois jours non-stop : « Et ça crée des liens ». Depuis qu’ils ont fini leurs études, ils travaillent. Et comme ils ont pour métier de réaliser les publicités et les clips qu’on leur commande, ils ont l’habitude de jongler avec les micros budgets. Parce que si en France, il y a beaucoup d’argent pour la publicité, ce n’est pas le cas en Belgique où c’est plus élastique. Quant aux clips… « Et c’est nous qui les gérons de A à Z. Cela nous a permis d’expérimenter des choses et aujourd’hui de gagner notre vie », explique Olivier tandis qu’Olan précise : « Cela nous est souvent arrivé de tomber sur des commandes qui n’intéressent pas les maisons de production parce que le budget couvre à peine leurs frais. Mais nous, nous ne sommes pas une société, nous n’avons pas d’employés… On se débrouille, et c’est dans cette énergie-là que nous sommes arrivés peu à peu à acheter notre matériel, une caméra, une station de montage ». Leur travail « reste de l’artisanat ».  

Et puisqu’ils s’autoproduisent, ils n’ont pas de temps à perdre à monter des dossiers de financement, à justifier des postes ici ou là et Olan de s’exclamer : « Quand je travaille sur une coproduction franco-belgo-luxembourgeoise, je me demande comment on fait pour monter une équipe qui tienne le coup ! » Olivier, lui, souligne : « Je sais avec qui je veux travailler. Je ne vais pas sacrifier une équipe pour un budget »…

Pour financer ce film, ils ont tiré « l’argent de leur cochon » explique Olan en souriant : ils ont travaillé, mis à deux des sous de côté, tout le monde a participé. Le film leur a coûté 10 000 euros : la cantine, le matériel, quelques droits et autres autorisations, y compris le voyage en Thaïlande pour les premières images du film : « des images volées un peu partout avec des petits appareils photos numériques. » Olivier insiste : « On voulait un maximum de liberté et se laisser du temps. Ce qui me semblait important, c’était de trouver un mode de financement compatible avec le film, son scénario, l’approche qu’on avait de sa fabrication. C’était un premier long métrage, une seconde fiction. » En 2003, Olivier réalise un court métrage, Marla (qu’on peut découvrir en ligne : http://www.marlathemovie.com/ ) et qui développe le seul personnage féminin du récit de Chuck Palahniuk (Fight Club). Le film a du succès sur la toile, il est vu par « deux millions de spectateurs avant You Tube », se retrouve sur la page officielle de l’écrivain.

Les commandes et les propositions s’accélèrent : « C’est à partir de là qu’on s’est retrouvé à l’étranger, aux Etats-Unis, en Suisse, en Angleterre, en Italie. Internet nous a pas mal aidés à plusieurs niveaux. » Générique de Marla : écrit, produit et réalisé par Another State of Mind… La qualité et l’originalité de Somewhere between sont aussi là, dans cette manière de mettre en commun les désirs et les énergies.
Depuis le début, ils travaillent entre amis, « un groupe beaucoup plus large que nous trois, des gens tous un peu bricoleurs, qu’on voit aussi en dehors du boulot. C’est une petite communauté qui fonctionne parce que personne n’a un ego surdimensionné. On a tous été l’électro de quelqu’un d’autre qui a été lui-même chef op’ pour nous », explique Olivier. Les deux premiers se connaissent depuis plusieurs années et travaillent ensemble depuis six ans. Ils se nomment « The Black Sheep ». Quand ils diront « on n’aime pas les étiquettes », on ne s’étonnera pas. Et leur problème au moment du générique, ce fut justement de les recoller ici et là. Tout le monde a fait un peu de tout, pour l’un ou pour l’autre. Il s’agit de connaître un métier, « un artisanat » encore une fois : « On a tous pu constater qu’un bon réalisateur, c’est quelqu’un qui a un minimum d’expérience dans de nombreux domaines. » Et Olan résume : « Histoire de ne pas demander à un chef op’ d’aller chercher la lune ». Histoire aussi, pour Jeff, d’aller plus vite, avec confiance, puisqu’ils se connaissent bien, les initiatives vont dans le même sens. Et sur le plan artistique, de discuter à trois de l’image. Les idées circulent, tout se passe plus en « douceur ». Le mot est d’Olivier.
Le film semble justement s’être fait ainsi : « assez simplement. C’est le seul moyen de faire un film à petit budget, tenir compte de tous les paramètres et de les voir comme des contraintes créatives. On sait ce que ça donne si on n’éclaire pas, on sait aussi ce qu’on peut faire en postproduction. Nous voulions prendre tout ça en considération pour essayer de travailler ce style-là plutôt que de le contourner. À partir du moment où le scénario était plus ou moins structuré, l’écriture s’est faite en même temps que les repérages. » Pas question pour Olivier d’écrire des dialogues, il en a le contenu et cherche avec ses comédiens à les mettre en forme. Ils ont déjà travaillé ensemble, se connaissent. Tout est affaire de confiance et tout se tricote tranquillement de-ci, de-là. C’est le principe de « la production créative », selon la formule d’Olan : « Il y avait une idée, une très grande envie de faire le film et un budget très restreint. L’idée, au départ, n’était pas forcément très développée. Mais le contexte, lui, était plus ou moins précis. Il nous fallait des lieux qui collent à l’histoire et au budget : des lieux où la lumière est déjà là, que nous n’avions pas besoin d’éclairer, où l’on pouvait travailler en équipe très légère de quatre personnes, avec Quentin. » Si beaucoup de décisions sont aussi prises en amont, cette question des lieux ou l’enregistrement minimal des dialogues sur le plateau, d’autres, ils le savent d’avance, seront prises en aval : le montage, la bande son, la musique, le travail plus ou moins dévolu à Olivier d’étalonnage de l’image… Il conclut : « On croit qu’il y a des recettes pour faire un film, mais il n’y en a pas, il faut juste qu’un projet soit cohérent. »

Cohérence et simplicité … Ces mots reviennent sans cesse dans leur manière de travailler et d’envisager le film. Question de génération, souligne à plusieurs reprises Olivier : entre Internet qui les lance, leur capacité à s’emparer des nouvelles technologies, l’habitude de travailler sans argent qui leur apprend à jongler, à s’adapter, à revoir leur désir à l’échelle des possibles, à s’entraider aussi… esprit de famille, si caractéristique du milieu du cinéma. Avec toujours ce souci de parler à partir de quelque chose. Dans Somewhere between…, ce récit d’un retour difficile, du sentiment d’étrangeté chez soi, résonne en chacun d’eux. Olivier est Belge, mais Olan précise : « À moitié Thaïlandais, et dans un village comme La Calamine, ça ne passe pas inaperçu ». Lui, il a grandi à Nieuwpoort, est allé à l’école en Flandres puis en France, son père est Anglais… Quant à Jeff, il est Français… Il arrive ici et, de fil en aiguille, de rencontres en rencontres, il y reste. Etre étranger, en partance, en retour, une question intime qui les traverse tous les trois… Encore une question de génération, aussi…« Aujourd’hui, on peut s’approprier ce qu’on veut des autres cultures, ici la musique anglaise, la nourriture indienne, la littérature américaine… On peut aller partout.

Le film parle du voyage, mais forcément, cela se lie à cette question : « C’est où, la maison ? » Toutes ces questions que l’on se pose aujourd’hui, qu’est-ce qu’on va faire, avec qui, finalement,  s’ancrent dans la question de savoir où habiter. » Et l’envie d’Olivier, s’attarder justement sur un processus, ce moment où l’on n’est ni tout à fait arrivé, ni tout à fait parti, où le choix n’est pas encore ni tout à fait pris ni tout à fait à prendre. « J’aime bien les entre-deux… » dit-il. Le film, il l’a laissé voguer, n’essayant pas de le cataloguer dans un genre ou dans un autre : « Le scénario s’est fait surtout sur base d’essais consacrés à l’art du voyage et un bouquin fabuleux sur l’art de marcher… Il y a eu des prises de décisions et des choix, mais pas de concept, on n’a pas réfléchi, on a juste essayé de faire un truc qui sonnait juste. » Partir de leurs expériences donc, de ce qu’ils connaissent, de leur ville : « Les étrangers en ont une vision assez déformée. D’un côté, on voulait faire un film très précis qui parle de Bruxelles, mais en même temps, par les lieux qu’on montre, que les personnages fréquentent, c’est assez anonyme. Il ne s’agissait pas de faire un film carte postale. L’une des références du film, c’était la peinture d’Edward Hooper, qui a peint ces cafétérias et ces gens seuls. Une sorte de lieu générique où inventer des situations plus universelles. Leur Bruxelles comme un lieu de rencontres, « un carrefour entre toutes les nationalités, un lieu d’échange », précise Jeff …Et Olan de confier qu’il a découvert la ville au moment de faire le film, qu’il avait vécu là sans vraiment y habiter : « Jusqu’au jour où j’ai commencé à voyager. Ce que je n’aimais pas ici n’était pas propre à Bruxelles, mais propre à un mode de vie. À partir du moment où j’ai compris ça, j’ai pu vivre ici. » Et si « Le voyage est plus un état d’esprit qu’un mouvement », dit Olivier, Somewhere between tente précisément de se maintenir sur le bord du mouvement, à l’orée de cet état d’esprit …
Heureux de l’accueil du public au Festival de Flagey, heureux aussi de l’accueil de l’équipe du Festival, pour le moment, ils cherchent un distributeur. Leur projet, ils verront plus tard. Reprise du carnet de commande, jamais réellement interrompu, un court peut-être pour Jeff, un long, mais plus tard pour Olan, et pour Olivier, le sentiment qu’il doit vivre pour nourrir son prochain projet, une fiction en Thaïlande où il aurait besoin d’habiter plus longtemps sans doute. Cette question revient, et celle de savoir depuis quelle place on parle – où on filme… En attendant, l’adaptation d’un roman d’un ami. S’essayer à d’autres types de films, d’autres fictions : «  Je crois que ce qu’on veut faire est assez clair : on veut faire des films. Comment, c’est plutôt ça notre question… »
L’aventure plutôt libre et tranquille de Somewhere between en donne déjà une jolie idée...

www.somewhere-themovie.com

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