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Rencontre avec Olivier Boonjing, directeur photo de La Trêve

Publié le 15/11/2016 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

Olivier Boonjing, l'un des "magiciens" du cinéma belge

 

En février dernier, on s'en souvient, La Trêve a insufflé un nouvel élan pour les séries belges, bien au-delà des frontières. Un petit miracle collectif "à la belge", qui initiait, avec Ennemi Public dans la foulée, le nouveau et vaste processus mis en place par la RTBF et le Centre du Cinéma et auquel Olivier Boonjing, l'un des directeurs photo belges en vogue, a largement contribué. 

Qualifié de «véritable magicien» par son propre réalisateur Matthieu Donck, ce précieux technicien de l'image a toujours su s'entourer : dans l'ombre, il a fait ses débuts auprès du primé cannois Valéry Rosier (Dimanches, Silence Radio, Parasol) avant d'enchaîner, entre autres, pour des réalisateurs inspirés de courts-métrages, comme Elisabeth Llado (Le Conseiller) Bérangère McNeese (Le Sommeil des Amazones), ou de longs, comme Xavier Seron (Je me tue à la dire) ou encore Laurent Micheli qui, le mois dernier, un peu à la surprise générale, trustait le Prix de la Critique au Festival International du Film Francophone de Namur, pour l'atypique Even Lovers Get The Blues.

Rencontre avec Olivier Boonjing, directeur photo de La Trêve

Rencontre avec ce chef opérateur d'origine thaïlandaise âgé de 34 ans ayant grandi dans les cantons de l'Est, à la Calamine. Il repartira, au printemps prochain, sur le tournage de la deuxième saison de La Trêve.

Cinergie : Parmi donc, les principales clés de réussite de La Trêve, il y a le fait que le réalisateur, Matthieu Donck, comme il l'a souvent répété, ait fait appel à vous. Dans quel sens ?
Olivier Boonjing : (Sourire) C'est flatteur, mais j'aime travailler sur des premiers films, avec peu de budget. J'ai appris à tourner de manière légère, et à faire en sorte que l'image ne soit pas un poids pour le réalisateur. Cela m'a inculqué, au fil du temps, à bien saisir les points de vue des metteurs en scène et à trouver le juste équilibre entre les contraintes de production et de la réalisation. Matthieu Donck m'a décrit La Trêve en expliquant qu'il cherchait une approche différente pour sa mise en scène, pour trouver le bon mix entre scènes intérieures et extérieures. On s'est donc attelé à ça, en sachant qu'il s'agissait d'un sacrifice et d'une expérience de production un peu hors-norme, puisque j'aurais pu tourner, à la place, deux longs-métrages ! Et si nous pressentions le potentiel du projet, on ne pouvait pas encore bien en imaginer l'impact !

 

C. : Concrètement, quelle a été votre "recette miraculeuse" ?
O.B. : Une des pistes, c'est d'avoir tourné avec deux caméras en simultané. Plus exactement, on a utilisé le dernier appareil-photo sorti sur le marché, qu'on a transformé en caméra de cinéma ! Avec, en parallèle, des accessoires qui nous ont permis d'aller plus loin dans l'allégement du matériel. C'est ce j'ai proposé au réalisateur pour qu'il puisse privilégier un maximum de temps de jeu aux acteurs, élément essentiel pour lui. Ainsi, au lieu de nous retrouver avec une ou deux prises, on a pu en faire huit, neuf voire dix. Et donner un maximum de matière aux monteurs. Les comédiens, à la base assez anxieux face à l'entreprise, ont eu le temps d'exprimer leur talent grâce, bien sûr, à Matthieu, et ont été les premiers à nous remercier. C'est peut-être là ma petite fierté, dans La Trêve...

 

C. : Vu le succès rencontré par la série, au-delà de nos frontières même, on imagine qu'elle constitue désormais pour vous une belle carte de visite...
O.B. : C'est évident. La visibilité de la série a changé énormément de choses. Je pourrais être heureux en consacrant ma vie entière à des projets de petite échelle, mais j'ai vite compris l'énorme attention que cela avait suscité. Le simple fait de mentionner la série dans une conversation évoque quelque chose, au-delà de mon cercle. Cela dit, outre l'envie de garder ma liberté, mon fil conducteur reste toujours de trouver une complicité avec le réalisateur. Puis, quand un budget de film augmente, je préfère qu'il aille dans le scénario, la décoration ou même le maquillage, plutôt que dans l'image, car il faut être honnête, cela a au final plus d'impact sur le projet lui-même. Je pars aussi du principe qu'on vit une époque où l'on se doit d'être pragmatique et savoir cumuler plusieurs casquettes : personnellement, je fais aussi de l'étalonnage, de la consultance en post-production et je gagne ma vie en investissant dans du matériel, que je loue à des amis. Cette diversité n'est pas seulement propre à notre secteur, mais bien à notre époque, dans ce monde et cette économie qui évoluent. Et on doit toujours garder à l'esprit que, malgré nos responsabilités, certes parfois lourdes, nous avons un privilège énorme d'exercer ce métier...

 

C. : En marge de votre expérience, c'est un peu toute la fabrication d'une série et d'un film, qui évolue. Qu'est-ce qui change à ce niveau et surtout, aujourd'hui ?
O.B. : C'est sûr, pas mal de choses bougent, en ce moment. On peut franchement parler de mini-révolution, car à partir du moment où les moyens techniques deviennent beaucoup plus légers, on peut facilement projeter dans une salle un film sans que le public ne se doute une seconde de sa fabrication ! La différence, en fait, c'est qu'on manie en 2016 une caméra comme on jouerait d'un instrument de musique. On peut l'avoir sous la main et l'utiliser avec des amis pour faire un film, comme on formerait un groupe de musique. Ce vieux prétexte du manque de moyens pour justifier l'échec d'un film ne vaut donc quasiment plus ! Mais j'observe que pour les jeunes techniciens arrivant sur le marché, ce n'est pas forcément simple, car il y a encore une marge entre ce qu'on leur enseigne et les moyens qu'on peut, à présent, utiliser sur le terrain. Mais cet écart, à terme, devrait se résorber. C'est en tout cas important de faire comprendre à la nouvelle génération qu'il y a en ce moment quelque chose à réinventer. Comme une sorte de nouvelle vague belge, en fait...

 

C. : En 2009, vous étiez vous-même passé derrière la caméra, en auto-produisant et en réalisant Somewhere Between Here and Now, un long-métrage diffusé alors au Brussels Film Festival. Il pourrait y en avoir un deuxième ?
O.B. : Oui. Ce film de 74 minutes, n'avait alors coûté que ...7500 euros. C'était le premier joué par Lucie Debay (Mélody), qui a fait un joli chemin depuis. Dommage qu'on l'ait tourné en 2007, car c'était pile avant la mode du financement participatif. Sans quoi, il aurait pu, je crois, avoir plus d'impact. Mais je viens justement de le mettre en ligne sur mon site. Cela dit depuis, j'ai pu voir à travers quelques amis réalisateurs, comme Valéry Rosier, toute la difficulté de financer un film. Mais la révolution actuelle passe, aussi dans ces films auto-produits ou presque, comme Nous quatre ou Even Lovers Get The Blues, qui ont une vraie force et qui sont reconnus, dans les médias y compris. C'est une réalité, ces films-là, en plus des séries, des web-séries et même du court-métrage modifient le paysage, en termes de variétés de genres et d'audace. On assiste à un passage de flambeau : même les réalisateurs confirmés savent qu'ils doivent se réinventer. Mais attention, tout peut se compléter, comme l'exemple flamand du formidable Black, fruit d'une collaboration entre jeunes producteurs et d'autres, plus expérimentés. Ce phénomène est en train se prolonger de notre côté aussi, avec une remise en question qui peut être positive pour tout le monde. Quant à moi, même si j'ai conscience de la difficulté de l'entreprise (sourire), j'écris bien un autre film, que j'aimerais tourner en Asie, et en français.

 

C. : Et dans l'immédiat, quelles sont vos prochaines aventures ?
O.B. : Récemment, j'ai participé au film Fauves, un long-métrage belgo-luxembourgo-suisse avec Jonathan Zaccaï, qui est le premier film de Robin Erard. J'ai aussi collaboré à deux clips de Frédérique de Montblanc, une nouvelle rencontre issue des arts plastiques. Et ce mois-ci, je serai sur un premier court, lui aussi auto-produit, de Rodrigue Dehults, l'assistant-réalisateur de Valéry Rosier. Peut-être accepterais-je l'un ou l'autre projet avant de reprendre La Trêve, vers avril. Enfin, avec plusieurs techniciens de ma génération, étant donné qu'on se connaît tous et la volonté commune de se rassembler, on songe à mettre en place une association de professionnels de l'image. Face aux mouvements actuels, c'est quelque chose dont on parle, en tout cas...

http://www.olivierboonjing.com/

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