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State of Dogs de Peter Brosens

Publié le 01/07/1998 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Les métamorphoses du chien

En 1994, Peter Brosens coréalisait avec Odo Halflants, City of the Steppes, un étonnant film poème, entre documentaire et rêve éveillé, où il tentait à partir de ses déambulations dans la ville d'Oulan Bator, en Mongolie, de rendre sensible le changement, ce lent travail d'érosion du temps et de l'histoire.

State of Dogs de Peter Brosens

Un même soucis de saisir ce qui préside aux transformations humaines se retrouve dans son dernier film, State of Dogs, réalisé en compagnie de Dorjkhandyn Turmunkh, à nouveau en Mongolie mais cette fois avec une portée plus universelle.

Dès le premier plan, Peter Brosens pose l'enjeu de son film à la frontière entre la mort et la vie, dans cet espace de transition et de passage où les questions prennent toute leur importance de par l'insécurité qu'elles véhiculent.

Il nous raconte la fin d'un monde; son écroulement et sa disparition et cherche sous les décombres, les signes, les premières contractions d'une future naissance qu'il devine plus qu'il ne voit dans ce chaos où les traditions agonisent, où les valeurs de la révolution communiste prennent l'eau de toute part et sombrent irrémédiablement, où le modèle occidental de la marchandise à tout prix se déchaîne et se soumet des pans entiers de la vie quotidienne. Peter Brosens cherche les manifestations d'une lutte pour la vie qui nous concerne tous.

Loin du constat

Film parabole, jouant de cette zone d'ombre où se confondent fiction et documentaire, State of Dogs nous raconte une histoire, celle d'un chien errant, Baasar, celle de sa mort et de son éventuelle réincarnation. Car en Mongolie la croyance veut que les chiens se réincarnent en hommes après leur mort. Or c'est un homme qui abat Baasar au début du film. Et Baasar n'a plus confiance et cherche à comprendre. Il se souvient de sa vie de chien de berger dans les steppes et de son abandon, de son combat pour survivre dans la ville et de sa misère, des hommes et des femmes qu'il a connus et de leur indifférence. Derrière les images fantômes de sa mémoire, il découvre qu'aujourd'hui sa réincarnation dépend de la capacité des hommes à vaincre Rah, le dragon mythique qui menace d'avaler le soleil.

Le film est construit à partir du point de vue subjectif de Baasar, entendre tous les chiens errants de la terre et Peter Brosens contre balance la simplicité de sa parabole et les redondances de ses commentaires, en mettant en scène ses images de Mongolie comme celles de l'humanité tout entière.

Il nous montre notre monde, l'effroi qu'il suscite jusqu'à l'odieuse résignation que bien souvent il impose.
Et s'il nous est impossible de souscrire au destin de Baasar, à l'acceptation de sa dépendance et de sa servitude, les trouvailles cinématographiques dont fourmille le film, ces instants rares de cinéma alliés à une invention du récit qui innove et surprend, nous poussent à chercher au-delà de l'humaine nature, la beauté libre de l'animal comme un écho d'une naissance qui autrement ne serait qu'une image de plus de notre mort quotidienne.

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