The Barefoot Emperor de Peter Brosens et Jessica Woodworth

Lorsqu’on l’avait quitté il y a 4 ans, le roi Nicolas III (Peter van den Begin, ineffable) était en dérive dans les Balkans, en pleine crise existentielle, pendant que la Belgique se séparait en son absence. C’est à Sarajevo qu’on le retrouve dans The Barefoot Emperor, toujours en quête de sa nation, et plus perdu que jamais. Alors qu’il assiste un peu par hasard à une reconstitution de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, il est lui-même victime d’un tir de balle — le premier clin d’œil historique d’un film qui en regorge. À son réveil, sur un lit dans une chambre blanche, le haut-parleur réclame un certain Brejnev, puis un dénommé Castro. Est-il au paradis des chefs d’État ? Pas vraiment. En convalescence après avoir été blessé à l’oreille, l’ancien souverain a été transporté sur l’île croate de Brijuni qui, après avoir été la villégiature d’été du dictateur yougoslave Tito, est devenu un sanatorium. Originalité du lieu : chaque patient se voit attribuer le nom d’un de ses anciens résidents – une trouvaille amusante qui crée quelques situations cocasses (y a-t-il quelque chose de pire pour un fier capitaliste que d’être surnommé du nom d’un communiste ?)

Mais au-delà de ces références, la dictature semble bel et bien être le mot d’ordre dans ce lieu de villégiature. Sous l’impulsion du directeur de l’institution (Udo Kier, comme toujours magnifiquement menaçant et flamboyant), le projet d’une Europe unie et autoritaire se met en place : Nova Europa, qui entend faire renaître le vieux continent de ses cendres. Loin de les inquiéter, le programme semble susciter l’adhésion des patients, tout de blancs vêtus, qui participent volontiers aux absurdes manœuvres mises en place sur l’île. À l’inverse, pour le roi, son entourage et quelques autres personnes (dont “Elizabeth Taylor”, incarnée facétieusement par Géraldine Chaplin), le désarroi s’accroît, et ne fait que s’accentuer lorsque Nicolas III, en sa qualité d’ex-souverain docile et peu bavard, se voit proposer de devenir l’Empereur de cette nouvelle Europe.

Le réalisme est, on peut s’en douter, loin des objectifs des cinéastes, qui préfèrent jouer sur le terrain de l’onirisme et de la dérision. À vrai dire, The Barefoot Emperor entretient une ambiguïté constante quant à sa nature. L’Empire qui se crée est-il véritablement à même de conquérir l’Europe, ou s’agit-il du fantasme de quelques fanatiques égarés sur une île  ? Le film dans son entièreté est-il le produit de l’imagination de son protagoniste, ou seulement quelques-unes de ses scènes ? Une chose est certaine en tout cas  : le film cherche à dénoncer la montée des extrémismes en Europe et le nationalisme grimpant, et entend le faire par le biais de l’humour.

Le film tourne par exemple en ridicule la dictature émergente grâce à quelques musiques classiques bien connues (Carmen, Le Boléro ou encore Le Beau Danube bleu), donnant à de multiples situations une grandiloquence dérisoire. La symétrie, présente dans de nombreux plans, renforce cet effet, soulignant le grotesque de ces chorégraphies et de ces mouvements coordonnés à l’extrême (le nom de Jacques Tati viendra probablement à l’esprit). Plusieurs choix de mise en scène évoqueront également le cinéaste suédois Roy Andersson, avec lequel Woodworth et Brosens partagent un goût pour le malaise. Pince-sans-rire, ils tirent comme lui les plans et les scènes en longueur pour mieux en souligner les absurdités. Force est cependant de reconnaître que leur cinéma ne peut simplement être considéré comme un réseau de références cinématographiques. Leur approche de la direction d’acteur, leur esthétique et leurs obsessions sont trop originales pour cela.