Sur le tournage de Série noire de Pascal Adant
À Soignies, dans sa propre maison, Chemin des Théodosiens, Pascal Adant tourne les premières scènes de Série Noire, un moyen métrage autofinancé avec une équipe en participation et un casting prestigieux : Roger Van Hool, Danièle Denie, Circé Lethem et Sandrine Blancke. Pas moins ! Le réalisateur et le film ont déjà une longue histoire (plus qu'un pitch !) derrière eux, avant d'avoir mené à bien le premier et fatidique : Moteur ! Action ! Jugez-en ! Passionné dès son jeune âge par le cinéma, Pascal Adant rêve de réaliser des films. Sa chance et sa malchance c'est d'être extrêmement doué pour le dessin. Dès lors, il débute dans le métier avec des dessins animés qui ont fait le tour des festivals : Dérapages (1998), et Boum (Cannes en 2000). Obstiné, il réalise Destination Londres, une fiction avec des effets spéciaux et des moyens de fortune, et Fate qui mélange fiction et animation dans lequel joue Lydia Cherton. C'est parti, croit-il. Il écrit Série noire, un scénario pas piqué des chrysanthèmes, présenté par Artémis à la commission de sélection qui - patatras - le refuse à l'unanimité. Peut-être parce qu'il est plein d'un humour noir...anthracite comme un costume Armani ! Tout autre aurait abandonné. Pas Pascal Adant. Qu'importe l'adversité, il obtient le matériel, la pellicule gratuitement et vogue la galère !
Série noire conte l'histoire d'Alice tombant amoureuse d'un inconnu à l'enterrement de son père, mort dans un accident d'avion (un thème récurrent dans les films du réalisateur). Elle tente de revoir l'objet de son désir. Mais voilà, ne disposant pas de lapin comme l'Alice de Lewis Carroll, elle n'arrive pas à l'identifier. Dès lors elle passe son temps à harceler sa mère et sa soeur pour savoir qui il est, empêchant celles-ci de faire leur deuil. Sa mère n'a gardé aucun souvenir des gens qui étaient présents aux funérailles. Sa soeur non plus, qui d'ailleurs s'offusque qu'on puisse tomber amoureuse en ce jour de deuil. Alice en arrive à souhaiter la mort de sa mère et de sa soeur en se disant que c'est la seule façon de revoir l'inconnu. Passera-t-elle à l'acte ?
Le plan de tournage auquel nous assistons comprend Frank, le père, Lucille, la mère ainsi qu'Alice et Sylvie, leurs enfants qui sont réunis autour d'une table pour célébrer l'anniversaire d'Alice. Derrière l'oeilleton de la caméra S16, le réalisateur cadre le plan. On vaporise de la fumée, dans la pièce, pour diffuser la lumière.
Série noire
Grand, en t-shirt et jeans, l'oeil vif et le cheveux court, Pascal Adant, profitant de la pause du déjeuner nous précise : « C'est un film qui aborde plusieurs thèmes comme l'éclatement de la cellule familiale, le manque de communication entre des êtres proches ou les ravages de la passion amoureuse. J'ai toujours pensé à Circé Lethem pour le rôle d'Alice mais pendant la préparation j'ai été vers des comédiens avec lesquels j'avais l'habitude de travailler. Finalement, j'ai recommencé le casting il y a quatre semaines. J'ai envoyé le scénario à Circé et Sandrine qui ont très vite répondu favorablement.
Au niveau des dialogues je voulais faire quelque chose qui soit naturel mais pas réaliste. C'est pour les mêmes raisons que l'image est travaillée. On essaye d'obtenir une diffusion qui ne soit pas au niveau de l'objectif( ? il manque quelque chose dans ces 2 phrases) crée une atmosphère vaporeuse. Afin d'obtenir une image qui n'est pas tout à fait nette et cristalline. On est dans un film qui est tellement décalé, à certains moments, qu'il faut que cela ait l'air d'un rêve troublant. D'où le fait de tourner des séquences avec des objectifs Cooke et les scènes d'enterrements, dans la Collégiale de Soignies, avec des Zeiss Prime, d'autant plus que l'on tournera en 35mm alors que ce matin on enregistrait en S16mm. Au cinéma il me paraît important de travailler l'image parce que cela permet d'augmenter l'émotion. On va jouer avec la musique ( le cinquième acteur du film), la lumière, la fumée et le jeu de Circé qui est parfait.
C'est devenu un moyen métrage. En autoproduction c'est assez dur. Ces contraintes ont l'avantage que je n'ai de comptes à rendre à personne, je peux aller beaucoup plus vite tout en étant obligé de faire tout moi-même : la régie, la production, la production exécutive, l'assistanat réal., le réalisateur, la totale ! J'avoue que je ne dors pas beaucoup mais je contrôle tout et c'est précieux pour un film comme Série Noire. De plus, comme je cadre tout moi-même, je peux réagir au quart de tour au jeu des comédiens. En fonction de ce qu'ils donnent, je peux choisir le cadrage, la focale et tout cela joue énormément dans le rendu d'une scène. Heureusement car je n'ai pas le temps de leur donner beaucoup d'indications. Dans la scène auquel tu as assisté, je me couvre au maximum. J'ai six axes différents pour être certain d'avoir une séquence dynamique au montage et d'avoir des répliques suffisamment bonnes pour que la scène soit juste. Comme nous sommes autour d'une table il faut essayer de créer la dynamique au niveau des changements de focale et au niveau du découpage ! Il faut aller chercher les regards.
On a beaucoup joué sur la structure du scénario pour que tout le long du film les spectateurs aient les indications à leur portée mais ne voient rien du tout. Ce n'est qu'à la toute dernière réplique qu'on peut tout comprendre. C'est donc un film qu'il faut revoir pour comprendre le puzzle des répliques d'Alice.» (Rires)
Circé
« Le personnage d'Alice est intéressant parce qu'elle parcourt un trajet, nous explique Circé Lethem. Elle change au fur et à mesure que le récit déroule. Elle a un coup de foudre qui la perturbe et la mènera à certaines extrémités. Il lui arrive des choses à l'insu de son plein gré (rires). Elle fait des choses sans se rendre compte de leur portée dans le but de rencontrer l'homme dont elle est tombée amoureuse. C'est chouette parce qu'il faut jouer cette évolution subtilement. Elle adore sa famille mais comme elle n'a jamais rencontré l'homme de sa vie et qu'elle croit le découvrir, elle s'en détache petit à petit. C'est un personnage que je n'ai jamais incarné et cela me plaît énormément. Ce n'est pas la jeune fille un peu naïve qui découvre les gouffres de la passion, c'est un personnage ambigu. Dans Mamaman (le film de Iao Lethem), je jouais aussi un personnage qui contestait sa famille mais dans la révolte. Ici c'est différent Alice est gentille tandis que le personnage de Julie dans Mamaman était très violent. Dans les deux films les deux filles obtiennent ce qu'elles désirent par des chemins totalement différents. C'est la première fois que je travaille avec Sandrine Blancke alors qu'on se connaît depuis des années. Danièle c'est pareil et Roger Van Hool, c'est un comédien avec qui on a envie de jouer. Donc je me sens un peu portée ! »
Roger Van Hool
« La scène que vous avez vue est un anniversaire, nous confie Roger Van Hool, que nous n'allons pas avoir l'impertinence de vous présenter en ce trimestre d'hommage à André Delvaux. Ce n'est pas un enterrement. Vous dites qu'il m'arrive d'improviser, disons qu'il m'arrive de stimuler, en changeant un mot ou deux, les autres comédiennes pour que cela reste frais et inventif. C'est une fête. Normalement, je n'improvise pas. J'ai lu, attentivement, dans ma jeunesse, les deux livres de Stanislavski qui ont été la base de l'Actor's studio. Après cela, on essaie de pratiquer ce qui était indiqué par Stanislavki. Mais je n'ai jamais appliqué sérieusement les préceptes de Stanislavski que les adeptes "de la méthode de Elia Kazan et de Lee Strasberg". Je dois avouer que lorsque j'avais 20 ans je rêvais d'aller là-bas, à New-York -même avant, à 18 ans - mais mon père est mort et je n'ai pas pu partir. Je crois que certains accidents sont heureux. Et là vous avez pu le voir, je n'étais pas le seul à rebondir lorsque le verre de champagne est tombé et Danièle Denie a bien enchaîné. Il faut profiter des accidents comme ceux-là, c'est assez rare. On est déjà tellement guindé à l'écran ! Quand on a le trac on est bloqué ! Donc les imprévus ont le mérite de décontracter le jeu. C'est une situation dont il faut profiter. J'insiste sur ce mot. Car on peut sortir du calibre d'un film et alors cela devient faux. Tandis qu'ici, renverser un verre de champagne est une chose qui arrive dans une fête. D'ailleurs, le réalisateur qui avait l'œil à la caméra n'a pas coupé. C'est l'idéal.
Cela m'aide beaucoup car j'ai du mal à travailler pour une caméra, j'aime travailler pour le metteur en scène qui représente le public. Alors que de plus en plus de réalisateurs s'installent au fond du studio devant leur combo et regardent l'image de la scène qui se joue sur leur écran vidéo. C'est redoutable ! J'aime que les réalisateurs nous aiment. Et cela je le vois dans leur œil au début et à la fin de chaque prise. C'est peut-être idiot mais je pense que le fluide passe mieux. Je travaille plus au théâtre qu'au cinéma. Ce qui me permet d'expérimenter. On peut davantage improviser à partir du même canevas. Cela me permet de travailler rapidement au cinéma. De piger rapidement une scène et d'être vite concentré. Au cinéma on a rarement du temps à perdre. Quand on dit moteur il faut être dans la scène ! Mais, pour moi, théâtre et cinéma sont complémentaires. J'ajoute que je ne vais jamais voir le combo. Je ne veux pas me voir sinon, j'ai du mal à retrouver mon personnage. Je me juge moi-même en jouant et cela est très mauvais. »