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Thibault Van de Werve, programmateur au BIFFF 2023

Publié le 07/04/2023 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Actif pour Cinecast, un podcast hebdomadaire qui couvre l’actualité du cinéma, Thibault van de Werve a rejoint officiellement l’équipe du BIFFF en 2018. C’est lors de son stage au service presse en 2016 qu’il est tombé dans la marmite. Il est désormais responsable de la compétition courts-métrages et des invités. Cinergie.be est allé à sa rencontre pour aborder l’évolution du BIFFF et les productions belges sélectionnées, quelques jours avant le lancement de l’édition 2023. Le Brussels International Fantastic Film Festival se tient au Palais 10 du 11 au 23 avril 2023.

Cinergie : Combien de courts-métrages ont été retenus pour la compétition belge 2023 ? Comment avez-vous élaboré votre sélection

Thibault van de Werve : Nous avons neuf courts-métrages belges en compétition cette année. On reçoit une trentaine de films de genre belges en moyenne par année. C’est peu et beaucoup en même temps. Nous sommes un petit pays et il n’y a pas une production importante de films de genre. Les options restent limitées pour faire une sélection et organiser une compétition nationale. S’ils sont bons, on ne se prive donc pas de mettre à l’affiche des courts-métrages déjà diffusés dans d’autres festivals. Mais on se débrouille bien évidemment pour qu’il y ait également des exclusivités. La compétition belge comprend des films flamands et francophones ainsi qu’un mix de genre allant de l’horreur pure à la comédie noire en passant par le fantastique. On sent une tendance depuis quelques années à faire des films plus longs, de plus de vingt minutes. Notre limite au BIFFF, comme dans beaucoup de festivals, est de 25 minutes. La durée des séances n’étant pas extensible, il y a donc moins de projets retenus et diffusés que par le passé.

 

C. : En septembre dernier, Ophélie Nève a gagné le grand prix court-métrage du BIFFF 2022 pour Sangue Nero. Nous l’avions interviewée à cette occasion. Ce prix lui a permis d’accéder aux sélections d’autres festivals comme celui de Sitges en Espagne mais également d’intégrer le jury White Raven cette année. Est-ce un véritable tremplin de gagner un prix au BIFFF ?

T. V.D.W. : Depuis plusieurs années, on invite le gagnant du concours de courts-métrages dans un jury long-métrage l’année suivante. Sangue Nero d’Ophélie a eu ensuite un parcours honorable en festivals. Un prix dans un festival fondateur de la fédération Méliès, qui regroupe tous les grands festivals fantastiques européens, c’est un bon boost. En plus, le film gagnant de la compétition du BIFFF représente également la Belgique dans la compétition européenne et a l’opportunité de gagner un Méliès d’argent, et dans tel cas participer à la finale pour éventuellement remporter le Méliès d’or à Sitges. Sangue Nero n’a pas remporté ces prix, mais il s’agit tout de même d’une belle reconnaissance. Le circuit des festivals Méliès est porteur et le BIFFF fait quand même partie des cinq festivals de genre majeurs au monde. Ce n’est pas rien.

 

C. :  Faut-il absolument gagner des prix en festivals pour être reconnu et avoir une chance de réaliser un long-métrage dans le microcosme du cinéma belge ?

T. V.D.W. : Je pense que, d’une certaine manière, c’est le cas. Il y a bien entendu la possibilité de passer directement au long-métrage sans cette étape, mais c’est très compliqué d’avoir la confiance suffisante pour obtenir le financement sans avoir fait ses preuves. Le court-métrage reste donc un passage quasi obligé pour presque tous les cinéastes. Et quand je vois les noms des personnes ayant proposé des courts-métrages au BIFFF par le passé, ça tend à confirmer ce constat.

Sur les dernières années, on voit que plusieurs réalisateurs de courts-métrages d’il y a 3 ou 4 ans ont désormais passé un cap et voient leurs premiers longs-métrages distribués l’an dernier ou cette année. Par exemple, Parker Finn a vu son long-métrage Smile (2022) distribué par la Paramount alors que son court-métrage était censé être en compétition lors du BIFFF 2020, édition malheureusement annulée pour cause de pandémie. Le court-métrage n’est pas seulement une vitrine, mais une vraie porte d’accès pour se faire remarquer.

 

C. :  Pour en revenir à la sélection 2023, pouvez-vous nous parler des courts-métrages en lice pour la compétition belge ?

T. V.D.W. : Tous ces films de la sélection y sont parce qu’ils contiennent des éléments dignes d’intérêt. On ne les trouve pas tous absolument géniaux mais, en tant que programmateur, l’idée est de montrer une variété de films avec des choses intéressantes et diversifiées. Parfois, c’est remarquable, mais pas systématiquement. Et cette variété, cette richesse d’idées proposées par ces cinéastes sont importantes. En tant que programmateur, l’approche n’est pas la même qu’en tant que critique de films. L’objectif est de montrer la richesse et la diversité que l’on possède en Belgique et dans notre cinéma.

Pour aborder spécifiquement certains films de la sélection belge 2023, Amours Noires de Michel Collige consiste en une discussion assez longue entre deux protagonistes. L’un d’entre eux essaie de rester en vie en convaincant l’autre de ne pas le tuer. C’est très décalé et drôle à la fois. Il y a un petit côté qui peut faire penser à Quentin Tarantino dans l’écriture des dialogues, c’est précis. On propose également Drifter de Joost Jansen et L’homme qui touchait la boule de Sylvain Hua, tous les deux également sélectionnés par le festival Anima. Il s’agit de deux films d’animation complètement différents. On tient à mélanger les films d’animation avec les films live car ce n’est pas un genre différent et l’animation ne doit pas faire l’objet d’une sélection à part. La pote d’un pote de Julien Henry a fait le tour des festivals, mais il s’agit d’une chouette comédie noire avec des éléments de thriller qui intègre un peu tous les codes du cinéma de genre. Il avait complètement sa place dans la compétition. On peut également citer Souvenir de Jasper Vrancken qui a déjà diffusé des courts-métrages au BIFFF précédemment.

 

C. : Salomé Dewaels joue dans La Pote d’un pote. Elle est également membre du jury Emerging Raven du BIFFF cette année. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste ce prix inauguré en septembre dernier ?

T. V.D.W. : Salomé Dewaels sera effectivement présente au BIFFF en tant que membre du jury Emerging Raven. Il s’agit d’une nouvelle compétition qui récompense des premiers ou seconds longs-métrages. En tant qu’actrice belge montante, il semblait évident de lui demander de participer à ce jury. Au niveau des autres jurys, on essaie de varier. Dans le jury Black Raven pour le meilleur thriller du festival, on retrouve par exemple la juge d’instruction belge Anne Gruwez qu’on connaît bien de Ni juge, ni soumise (2017). On a également l’invité d’honneur Juan Antonia Bayona, le réalisateur de The Impossible (2012), L’orphelinat (2007) ou encore Jurassic World : Fallen Kingdom (2018). Son film Monster Calls (2016) sera d’ailleurs diffusé et suivi d’un Q&A. Les Espagnols Raúl Cerezo et Fernando González Gómez seront également de retour cette année avec The Elderly (2022) après avoir présenté The Passenger (2021) l’an dernier. Le réalisateur Jorge Dorado sera présent pour présenter son film Lost & Found (2022). Paul Urkijo sera également là pour présenter Irati (2022). Le focus du festival 2023 est espagnol.

 

C. : Qui compose le jury international en dehors de Karim Ouelhaj?

T. V.D.W. : Dans le jury international, le Mexicain Isaac Ezban, dont nous avons présenté pratiquement tous les films au BIFFF comme The Similars (2015), The Incident (2014), Mexico Barbaro (2014) (un segment du film), sera présent dans le jury aux côtés du Belge Karim Ouelhaj qui était venu présenter Megalomaniac (2022) l’an dernier. Ce dernier avait d’ailleurs gagné le grand prix au festival Fantasia l’an dernier, ce qui n’est pas rien. Le dernier long-métrage d’Isaac Ezban s’appelle Mal de Oj /Evil Eye (2023) et il sera diffusé durant le festival mais hors-compétition vu qu’Isaac est membre du jury international. L’actrice franco-américaine Roxane Mesquida, que nous avons vue dans pas mal de films et de séries par le passé, complète le jury.

 

C. : Le festival fait son ouverture avec Suzume (2022) de Makoto Shinkai. Ce n’est pas l’habitude au BIFFF de projeter un film d’animation japonais en ouverture du festival ? Vrai coup de poker ou pas autant qu’on l’imagine ?

T. V.D.W. : Coraline (2009) a déjà ouvert le festival par le passé. Makoto Shinkai est quand même le réalisateur de l’incroyable Your Name (2016). Il s’agit d’une avant-première mondiale vu que Suzume (2023) sort en salles le lendemain de l’ouverture du BIFFF. Le film était en compétition à Berlin et donc Anima n’a pas pu le diffuser en février. C’était un choix évident pour nous d’ouvrir le festival avec ce film d’animation japonais, même si l’on est conscient que tout le monde n’adhère pas au cinéma d’animation parmi nos fidèles. Le BIFFF est parfois catalogué uniquement horreur et films bourrins, mais on fait également la part belle au fantastique, au thriller et à d’autres sous-genre. En programmant Suzume, c’est également l’occasion de montrer que le festival est varié et qu’on n’est pas uniquement dans le cliché du film d’horreur classique. Il y a plein d’autres choses au BIFFF.

 

C. :  A propos de la sélection longs-métrages, le focus du BIFFF 2022 était sur la Belgique avec notamment Vesper (2022) en ouverture mais également Mégalomaniac de Karim Ouelhaj que nous avons déjà mentionné. Il y a eu également quelques belles surprises avec Totem de Fred De Loof, L’employée du mois de Véronique Jadin qui est sorti en salle le 4 avril ou encore l’incroyable Freaks Out de Gabriele Mainetti. Cette année, le focus est espagnol mais il y a quand même quelques productions belges à l’affiche du festival, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

T. V.D.W. : Il y aura plusieurs films belges qui seront des coproductions, notamment Saturn Bowling de Patricia Mazuy. Elle sera d’ailleurs présente au festival lors de la projection. Il s’agit un thriller noir en compétition pour le Black Raven. On propose également King on screen de Daphné Baiwir, une réalisatrice belge. Son documentaire porte sur les adaptations de Stephen King au cinéma. En coproduction toujours, nous avons The Pod Generation de Sophie Barthes, une réalisatrice française qui avait déjà présenté un film au festival. Cette coproduction minoritaire belge a vu l’intervention de Wallimage et est passée par le festival Sundance. Le casting est composé d’Emilia Clarke de Games of Thrones et Chiwetel Ejiofor. Enfin, nous diffuserons également Farador d’Édouard Albernhe-Tremblay, une coproduction belgo-canadienne. C’est l’histoire de jeunes fans de Donjons & Dragons devenus adultes qui continuent le jeu depuis près de 18 ans. Une partie du film a été tournée au château de Bouillon et le reste au Canada.

 

C. :  Beaucoup d’habitué.e.s et d’articles publiés suite à la conférence de presse mentionnent la version allégée de ce BIFFF 2023. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette évolution du festival qui voit pratiquement toutes ses séances en journée supprimées, hormis le week-end et le mercredi ? Il reste néanmoins près d’une septantaine de longs-métrages en moins de 12 jours, mais qu’est ce qui explique cette décision ?

T. V.D.W. : Premièrement, ce choix est une conséquence du déménagement du Bozar au Palais 10. Ce n’est pas la même chose que le centre-ville en termes de mobilité et donc nous avons dû nous adapter. Les transports en commun nocturnes sont relativement moins nombreux et la séance de 22h30 était devenue problématique. Avec les retards éventuels, il était très compliqué de clôturer la séance à temps pour permettre de prendre le dernier métro. L’horaire de la grande salle a été modifié en fonction et le film du soir est désormais programmé à 21h30. Ensuite, le festival ne se déroule pas durant les congés scolaires cette année, comme c’était le cas auparavant. Enfin, le coût des films est également plus important que par le passé. Si certains films sont gratuits, d’autres sont de plus en plus chers. Le grand public ne connaît pas spécialement le fonctionnement des festivals et des distributeurs, mais les films attendus et distribués voient leurs prix en constante augmentation. Il en résulte que, même avec moins de films, le budget films du festival reste identique aux éditions précédentes, et ce malgré la trentaine de films en moins au programme cette année. Le but n’est pas de faire du profit, mais d’éviter les pertes en programmant des films qui coûtent de l’argent dans des créneaux où le public ne sera pas disponible.

 

C. : Comment renouveler le public du festival et attirer les jeunes en salles de cinéma avec l’avènement du streaming et l’évolution de la consommation audiovisuelle à l’heure de l’hyperconnectivité ?

T. V.D.W. : Le 12 avril, tous les films sont gratuits pour les jeunes de 16 à 25 ans. C’est important car il faut faire revenir les gens en salles de cinéma. Il y a plein de films diffusés au BIFFF qu’on ne retrouvera pas ensuite au cinéma ou sur les plateformes de streaming. Ils risquent de se perdre si on ne les diffuse pas en festivals. Ce sont parfois des petits films, mais c’est justement dans un festival de cinéma que l’on peut découvrir plein de choses différentes et la richesse cinématographique mondiale. On est conscient que la place de cinéma coûte cher par rapport à un abonnement à une plateforme de streaming, où l’on peut binge watcher pendant des jours. Mais l’expérience du cinéma n’est pas la même dans le contexte d’un festival. Donc là, avec une journée gratuite, il n’y a pas d’excuses, les jeunes peuvent venir voir ce qu’il se fait de bon et c’est entièrement gratuit pour eux. On aurait bien aimé avoir ça de notre temps.

 

C. : Pour conclure, comment se porte le cinéma de genre de manière globale ?

T. V.D.W. : Le cinéma de genre se porte bien et on voit pas mal de films catalogués comme « de genre » dans les festivals généralistes majeurs comme Cannes, Berlin ou Venise. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. On remarque néanmoins un certain snobisme avec l’apparition de catégories nouvelles comme « Elevated Horror », mais la réalité c’est que le cinéma de genre a toujours été là. Il est peut-être un peu plus populaire auprès du grand public sous l’impulsion de nouveaux cinéastes comme Alex Garland, Robert Eggers ou Ari Haster, mais il est clair que tous les grands festivals de films de genre restent importants car c'est dans ce type de festivals que vont émerger les cinéastes de demain. Comme nous l’avons abordé, il y a le passage de court à long-métrage dans une carrière. Mais ensuite, il y a également le passage de premier film à long-métrage distribué mondialement avec des moyens. Et dans ce parcours, la reconnaissance en festival reste un moyen de passer cet échelon.

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