Cinergie.be

Vincent Geens

Publié le 01/03/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

 

M.G.M. presents : Bula Matari. The adventures of Livingstone. A fabulous story. Directed by John Ford. Based on a story by Henri Storck.
Un canular ? Non, un rêve. Et un rêve qui a été par deux fois sur le point de se réaliser. Dans notre webzine n°47, rubrique E-Moi, Alain de Halleux nous expliquait que les films non aboutis sont aussi intéressants, sinon plus, que les films qui ont vu le jour. Voyez Orson Welles, Michelangelo Antonioni ou Henri Storck. Si, si, imaginez Henri Storck, cinéaste du réel, rêvant sa vie durant d'être un cinéaste de fiction et ayant déployé une énergie considérable, pendant plus de quinze ans, pour y parvenir. C'est cette aventure hollywoodienne (en partie) que nous conte avec brio Vincent Geens dans un ouvrage passionnant qu'il vient de publier. C'est un homme grippé que nous recevons avec l'habituelle tasse de café noir, la potion magique de Cinergie.be, dans notre antre pour illuminés du web. Ping pong, d'une toile à l'autre. "Ma passion du cinéma ne vient pas vraiment de l'enfance ", nous confie Vincent Geens, grand, blond, l'air futé, arborant un catogan et une moustache mousquetaire blond cendré. Il choisit ses mots avec soin, affiche un sourire : " Johnny Got His Gun (Dalton Trumbo) est l'un des films qui ont marqué mon adolescence ".
Vincent Greens fréquente le ciné-club de Wavre. Déclic. Pendant ses vacances scolaires, il rejoint le carré de cinéphiles qui occupent les premiers rangs de la salle de projection du Musée du Cinéma. A la rentrée scolaire, il entreprend des études universitaires en histoire qu'il commence aux Facultés de Namur et termine à la K.U.L. Si du passé l'on ne peut faire table rase, évoquons-le. " Mon mémoire a été consacré à l'histoire de la Cinémathèque et à Jacques Ledoux qui, pendant la guerre 1940-45, s'est caché dans divers endroits mais écrivait à son amie - j'ai eu accès à leur correspondance - pour lui faire part de son désir de devenir conservateur de la Cinémathèque. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Henri Storck puisqu'il a été avec André Thirifays l'un des fondateurs de la Cinémathèque Royale de Belgique. " Ce mémoire lui permet d'avoir de nombreux entretiens avec Henri Storck dont il envisage d'écrire la biographie. Lors des nombreuses conversations avec le réalisateur d'Images d'Ostende, il prend conscience du grand regret de celui-ci de n'avoir pu réaliser plus de films de fiction. " Ce besoin est né avec Une idylle à la plage, une fiction de 35' sortie en salles en 1931. Un film sifflé par le public et qui l'endetta sans le décourager de poursuivre d'autres projets de fiction. Celui de Bula Matari. est le plus abouti. Il s'agit du scénario d'un long métrage d'aventures retraçant la création de l'État indépendant du Congo, fruit des explorations de Stanley et de la volonté de Léopold II. En 1934, il fonde avec René-Ghislain Le Vaux, revenu fortuné du Congo, et d'autres partenaires, une société : la CEP (Cinéma-Edition-Production) avec la ferme intention de mettre sur pied une industrie du cinéma belge capable de réaliser des longs métrages de fiction, capables d'emballer le public international. Le projet de Bula Matari naît au moment de la vague des biographic pictures, un genre qui rencontre un grand succès international (Queen Christana, Young Mr Lincoln ou The Private life of Henry VIII). Co-écrit avec Camille Goemans, le scénario s'inspire inconsciemment de l'idée du western. Storck rêve d'Hollywood. En 1939, Le Vaux part en mission à Hollywood mais la drôle de guerre éclate en Europe le 1er septembre 1939 ". Panique à Hollywood. Les Majors appréhendent la perte des marchés européens. Quatre mois plus tard, la situation se stabilisant (les protagonistes restant sur leurs positions avant d'en découdre) et malgré l'impossibilité de tourner au Congo et à Bruxelles, Le Vaux contacte la MGM qui passe le scénario à la Fox. "John Ford y a un poids considérable comme producteur et réalisateur et, ayant participé à la Première Guerre mondiale, connaît la Belgique dont les figures du roi Albert 1er, du cardinal Mercier et d'Adolphe Max font figure de héros pour leur résistance à l'occupant allemand. Il désire réaliser un film, King and Cardinal, évoquant le roi et le cardinal, proposition qu'il confirme par courrier à Le Vaux qui transmet à Storck " Puis la guerre éclate. Le Vaux, fin 1941, envisage de faire venir Storck à Hollywood. Ford projette de tourner Bula Matari avec Henri Storck comme assistant. Hélas, les choses se délitent le rêve hollywoodien s'effondre malgré de timides tentatives dans les années d'après-guerre mais rebondit avec Alexander Korda, le producteur anglais de The Third Man. Storck rencontre Korda qui s'emballe pour le projet. Pat Jackson est pressenti pour réaliser un film dont Storck retravaille le scénario. Le tournage prévu fin octobre 1949 est reporté. A la fin de 1950, une nouvelle mouture du scénario est prête, plus rien ne s'oppose à un tournage qui ne se fera jamais. " L'avion de David Cunyghame, homme d'affaires et de confiance de Korda disparaît dans la Manche avec les contrats ! Korda ne veut plus entendre parler d'un film frappé de malédiction que Storck enterre, lassé et dépité. En 1951, il réalise le Banquet des fraudeurs, premier long métrage de fiction tourné en Belgique après la guerre, première coproduction internationale ". Toute sa vie, Storck aura oeuvré envers et contre tout (et parfois tous hélas) pour créer une industrie cinématographique en Belgique qui produise aussi bien de la fiction que du documentaire. Il aura la joie d'assister, durant les golden nineties du cinéma belge, à l'attribution de la Palme d'Or aux frères Dardenne pour Rosetta.
Nous ne pouvons que recommander la lecture de ce petit livre iconoclaste qui donne un aperçu peu connu de la vie et des aspirations d'Henri Storck et espérer que son auteur puisse mener à bien une biographie consacrée à Stork.
Bula Matari, un rêve d'Henri Storck par Vincent Geens, Cahiers Henri Storck n°1, Éd. Fonds Henri Storck/Yellow Now.

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