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Zeno Graton, Le Paradis

Publié le 17/05/2023 par Marine Bernard et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Zeno Graton, jeune réalisateur qui signe son premier long-métrage, dont la sortie en Belgique est prévue le 17 mai 2023. Découvert à la Berlinale et au Love International Film Festival de Mons, Le Paradis est une histoire d’amour fulgurante entre deux garçons placés dans un centre de détention pour mineurs. C’est un film sur la révolution d’une génération qui s’affirme.
Zeno Graton nous livre ses inspirations, les thématiques qu’il défend et revient sur sa passion pour le travail de l’image.

Cinergie : Quelle est la genèse de votre film ? Qu’est-ce qui a déclenché votre envie d’écriture ?

Zeno Graton : Dans un premier temps, je voulais parler d’amour. Je voulais raconter une histoire d’amour dans une arène telle que l’I.P.P.J. (Institution Publique de Protection de la Jeunesse). C’est un milieu que je connais bien. Mon cousin a été placé à plusieurs reprises en institution quand j’étais adolescent, et j’y ai vu tous les mécanismes injustes par rapport à la réinsertion, à la manière dont les jeunes étaient judiciarisés. C’est la répétition de tels systèmes qui m’a donné envie de porter un regard critique à travers un film, mais de manière non manichéenne. Au tout début de l’écriture, j’ai eu la chance, par l’intermédiaire du ministère de l’Aide à la jeunesse, de rester deux périodes d’un mois dans ces lieux. J’avais envie d’être au plus près de ce que les jeunes vivaient. J’ai recueilli leurs paroles, mais aussi celles des éducateurs. J’ai très vite compris à quel point cette problématique était très riche. Par ailleurs, la littérature de Jean Genet sur l’homoérotisme en prison m’a beaucoup construit en tant qu’homme désirant. Le Paradis, c’est donc un mélange entre une part intime et l’aspect politique qui entoure ce type d’institution. 

 

C. : Pouvez-vous mettre en lien le titre « Le Paradis » avec le propos que vous défendez ?

Z.G. : Cela vient vraiment de l’envie de créer un titre paradoxal par rapport à « l’enfer » qu’ils vivent, mais à l’intérieur duquel ils vont créer leur propre paradis grâce à l’amour. L’amour et le désir permettent à Joe et William de se libérer. J’avais également envie que ce soit une histoire d’amour qui puisse rayonner sur le groupe. En effet, il était important pour moi de pouvoir faire un film de groupe afin de questionner les éléments de masculinité, de donner à voir des garçons qui vivent leur masculinité autrement. Ils l’expriment dans la tendresse, dans la solidarité, dans le lien et dans le soutien les uns envers les autres. Et, en cela, donner à voir la façon dont ils vont créer un paradis collectif.

 

C. : Pourquoi la liberté pour Joe est-elle une notion paradoxale ?

Z.G. : L’idée était de représenter un personnage qui, au début du film, a tout pour sortir et pour être libre, mais qui n’arrive pas à désirer cette liberté, car il n’a personne à aimer. Je voulais essayer d’orienter ce concept de liberté vers la question du lien et de l’amour, car, sans cela, nous ne sommes pas libres. Il y a beaucoup de choses formidables que met en place l’I.P.P.J. pour permettre aux jeunes de se réinsérer, mais qui, d’une certaine façon, les coupe aussi complètement de la société, de leurs parents, de leurs amis et de leurs passions. Finalement, le système les emprisonne dans un cadre assez sombre et étriqué. La rencontre de Joe avec William va lui ouvrir une porte sur le désir et, du coup, sur la liberté.

 

C. : Joe et William vivent leur amour comme une révolution. Pouvez-vous développer ?

Z.G. : C’était important pour moi de raconter une histoire d’amour entre deux garçons sans parler de conflit du dépassement de la honte, souvent collé aux personnages LGBT. J’avais vraiment envie de faire un pas de côté par rapport au récit des films LGBT. Je voulais proposer des personnages beaucoup plus en lien avec la jeunesse actuelle pour qui cette question n’en est plus une. C’est une jeunesse qui s’affirme, qui est plus fluide et plus libre. Mon récit filmique est sans doute un peu utopique, mais j’avais besoin d’affirmer ce parti pris pour amener le spectateur à se projeter dans quelque chose de désirable, c’est-à-dire dans la suite de la mise en marche d’une société qui évolue. Ma co-scénariste et moi, nous nous sommes donc attelés à placer ce conflit au cœur de la passion amoureuse. Le début de la passion, la trahison, l’abandon, le retour en arrière, l’hésitation comme autant de conflits énormes rencontrés dans n’importe quelle histoire d’amour. Nous voulions accéder à un endroit universel de l’amour vécu par deux garçons. C’est un choix politique que j’assume totalement, cela permet une identification plus large du public.

 

C. : Le travail de l’image semble important pour vous.

Z.G. : Dès le début, Olivier Boonjing, le chef opérateur, et moi avons pris beaucoup de plaisir à photographier le film. Nous avions vraiment envie de créer un film romanesque et d’utiliser des éléments formels qui soient propres à l’histoire d’amour plus que ceux du film social. Notamment, nous avions envie d’aération en utilisant le format cinémascope qui fait référence à l’âge d’or hollywoodien. Par l’usage de nombreux travellings, nous voulions appuyer une idée de mouvement, de rythme. De même, mon découpage est lyrique et romanesque. Au niveau des couleurs, nous nous sommes beaucoup inspirés du cinéma romantique de Wong Kar-Wai (In the Mood for Love) qui, par sa forme, élève et donne de la force au sentiment amoureux.

 

C. : Les deux protagonistes parlent peu, mais s’expriment de différentes façons.

Z.G. : Ayant étudié l’image à l’INSAS, ma porte d’entrée dans le cinéma est davantage l’image, les corps, les regards, la mise en scène que la parole et les dialogues. À travers ce film, j’ai voulu faire exister, un peu instinctivement, les personnages par leurs corps, « docilisés », disciplinés par un cadre, une institution, mais aussi comment ces mêmes corps vont s’en défaire à travers l’amour, vont sortir de cette prison grâce à cela. Par ailleurs, j’avais envie de montrer que ces jeunes, souvent caractérisés uniquement comme des délinquants, pouvaient aussi être des jeunes très talentueux qui s’expriment à travers la danse, la poésie, le rap, le dessin… Des jeunes qui ont des facettes extrêmement riches et multiples.

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