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Autour de Pinget d'Ursula Meier

Publié le 01/02/2001 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Disparition - Apparition

D'abord des images noires et blanches, usées et floues, des souvenirs d'enfance dans des paysages campagnards balayés, hachurés comme les lignes d'un livre et où viennent s'inscrire les caractères heurtés d'une machine à écrire qui forment des mots, des phrases, déjà l'indice d'un texte.
Puis une voix d'homme vieillie et ironique qui parcourt et caresse ces bribes de récit, fragments d'un journal intime, monologue existentiel qui cherche à établir, derrière la banalité des mots et l'objectivité douteuse des documents, l'éventualité d'une présence, l'évidence de quelqu'un.
Enfin, un lieu d'interrogatoire, sorte d'inquisitoire composé d'une table et d'une chaise et où, sous le halo jaune d'une lampe, des hommes et des femmes témoignent à tour de rôle d'une disparition, celle d'un écrivain dont le souvenir s'apparente à l'émergence d'un fantôme.

Autour de Pinget d'Ursula Meier

De ces témoignages contradictoires, de ces hésitations de la mémoire, seule la silhouette brouillée de Robert Pinget apparaît. Homme solitaire, romancier hanté par le secret et les pièges de la vérité, ayant vécu loin des hommes, Robert Pinget semble à l'image de ses personnages, insaisissable à la définition. Aujourd'hui caché, enfoui sous le bourdonnement acide de ses livres, l'homme Pinget se confond avec sa démarche littéraire, une façon de vivre devenue un souci d'écriture, une écriture devenue une nécessité de vivre et qui est avant tout un style, une volonté d'appréhender un contour, une forme dont le fond s'efface, se dilue, échappe.Et si l'on s'arrête aux lieux de ses romans, si l'on prend le risque de visiter la ferme où il a vécu, si l'on regarde derrière ces portes entrebâillées, au-delà de ces fenêtres entrouvertes, on découvre alors une absence, un effet de disparition qui est au centre de son oeuvre.

C'est ce phénomène particulier qu'Ursula Meier réussit à nous faire ressentir dans son dernier film, Autour de Pinget. Et il est rare de trouver une telle adéquation entre une expérience romanesque, l'engagement qui la sous-tend et l'écriture cinématographique qui veut en rendre compte. Véritable hommage à l'art de Pinget, le film d'Ursula Meier trouve dès le premier plan une esthétique qui est comme l'écho du style de l'écrivain. Pour ce faire, elle parle directement à l'imaginaire du spectateur et joue de ce que les images suggèrent et dévoilent. En recréant et en traitant par le flou documents, archives, extraits de films, elle trouve l'équivalent visuel et sonore de ce que les mots de l'écrivain appellent. En s'inspirant des structures narratives de son oeuvre, elle fait surgir la vie de l'homme, cernant ainsi au plus près l'intangible de sa réalité. Et ce faisant, elle échappe à la pesanteur des interviews, à cet attendu du commentaire biographique et nous fait pénétrer l'univers de Pinget en construisant son film complice de ses romans. D'un bout à l'autre passionnante, sans jamais jouer d'une quelconque complaisance pour la singularité de l'homme, Ursula Meier invente un véritable essai cinématographique qui, plus que le portrait d'un écrivain ou le parcours d'une vie, devient une réflexion philosophique autant qu'une émotion partagée sur notre saisie de la réalité et la difficulté de l'assumer.

En final, si Ursula Meyer nous donne l'envie de nous plonger dans les livres de Pinget pour y retrouver l'ambiance de son film, elle nous rappelle aussi ce plaisir de la magie du cinéma tant sa maîtrise cinématographique a quelque chose de ludique et de jubilatoire.

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