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L’enfant d’en haut d’Ursula Meier

Publié le 15/05/2012 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Hors piste

Depuis ses premiers films, Ursula Meier met la famille au cœur de son cinéma. Elle filme des personnages bouleversants et bouleversés, au bord de folies que seules les très grandes proximités affectives permettent de cerner. Ses films, à la fois réalistes et épurés, s’en vont avec leurs personnages frôler les failles qu’ils tentent de mettre à jour. Il y a du Cassavetes dans ce cinéma-là, toujours en mouvement, en chairs et en fissures, en désirs et en débordements. Mais L’enfant d’en haut va un peu plus loin, réussissant le pari d’une étonnante hybridation, quand, s’épurant encore, il se baigne parfois de la lumière radieuse et spirituelle d’un Bresson. Un film scintillant, éprouvant, bouleversant.

L’enfant d’en haut d’Ursula Meier

De part et d’autre d’une barrière d’autoroute, Home mettait en scène la frontalité d’un face-à-face dans l’horizontalité d’un territoire. Avec L’enfant d’en haut, Ursula Meier met à nouveau en scène un duel qui se déplace cette fois dans la verticalité des montagnes suisses. Ici encore, deux réalités s’affrontent. Mais son premier long métrage se construisait à partir d’un personnage inscrit dans la marge du monde et qui tentait, avec sa famille, de préserver son univers. À travers Simon, petit gamin de 12 ans qui n’a pas la langue ni les mains dans ses poches, ce n’est plus l’espace d’un écart qui se dévoile dans L’enfant dans haut, mais toute une friche industrielle qui, lointainement, en bas, perdue, percluse, fait office d’envers misérable au monde policé, artificiel et bourgeois des stations de ski. Et si franchir la limite entre ces deux mondes peut rapporter gros, cela peut aussi coûter cher. Derrière lui, dans ses pas, ses courses, ses échappées, Meier ne lâche pas son « pickpocket », et va et vient avec Simon entre la Suisse d’en haut, ses chalets cossus, ses hôtels de luxe, ses pistes de ski pour touristes argentés, et cette Suisse d’en bas, où Simon vit, survit et où il revend tous les larcins qui lui permettent de vivre et de faire vivre sa sœur aînée. Mais Simon n’est pas tout à fait un enfant, et sa sœur n’est pas vraiment sa sœur.

Procédant d’une narration qui fonctionne par boucles et va peu à peu brassant des symboles et des événements qui viennent épaissir l’enjeu du film, L’enfant d’en haut prend le parti d’un certain minimalisme narratif et réaliste pour tisser en quelque sorte deux récits. Entre les aventures légères mais dangereuses de petit Robin des Bois de Simon ou sa relation riche et trouble à Louise, L’enfant d’en haut questionne sans cesse la place que Simon occupe dans le monde, et dont il déborde constamment, n’étant jamais l’enfant qu’il se devrait d’être. 
Ces limites, les cadrages du film s’ingénient à les repousser ou au contraire à les remodeler, qu’il s’agisse des faux-semblants de Simon, des rapports de pouvoir qu’institue l’argent jusqu’au sein de cet étrange couple – et Meier va loin dans une séance tout à fait crédible et éprouvante d’amour maternel tarifée –, de la limite charnelle autour de laquelle Simon et Louise jouent sans cesse, le cadre les saisissant à demi-nus dans une aube spirituelle, luttant ailleurs dans un corps à corps proche du meurtre, ou encore la fin les séparant à jamais sur les deux voies parallèles d’une solitude tragique et existentielle. Sans cesse, le film vient questionner, par tous les angles de son récit, l’espace physique, social ou affectif, dans lequel Simon évolue, qui déborde toujours, sans jamais l’interroger, de la place qu’il lui est assigné dans ce monde. Et c’est là que Meier retrouve Bresson. La solitude de Simon est totale, son innocence aussi, le monde et ses ordres bien trop petits pour lui.

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