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Image de Adil El Arbi et Bilall Falah

Publié le 15/11/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Premier long métrage de fiction, on a découvert Image au Festival du Film Francophone, dans le Focus consacré au cinéma flamand. Et il nous a laissé sonnés, un peu scotchés au siège, entre ahurissement et admiration. C'est qu'Adil El Arbi et Billal Fallah n'y vont pas par quatre chemins. Tous les deux ont des choses à dire, les assument et nous assomment. Mais ça pète, ça pepse, ça crie et tambourine, c'est vivant et ça dépote. À découvrir de toutes urgences, donc, même avec 36 bémols, sur les écrans début novembre.

Image de Adil El Arbi et Bilall FallahTout commence par un écran télé dans un salon très chic. Froid et bourgeois en gros, pour ce qu'on en devine, le champ est flou. Pas de profondeur donc aux images. La télé s'allume et un reportage commence. C'est l'émeute à Molenbeek, la peur plane, les loups sont entrés dans Bruxelles. Et la séquence du générique est longue, qui fait tourner les images issues de multiples journaux télés, les mêmes, à peu de choses près. Et ce sont aussi les mêmes commentaires, les mêmes clichés, les mêmes relents de racisme et de catégorie sociale fourre-tout, ad nauseam pointés du doigt par un montage sonore qui coupe dans les phrases et répète en boucle le message. Mais qui sont ces jeunes ? Que veulent-ils ? Ça, ce sont les questions qu'une jeune reporter super jolie et talentueuse se posent. Pas sa rédaction, non, une grosse émission flamande au présentateur ultra populaire mais sur le déclin. Mais elle, elle seule, qui va s'acharner, alors que tout l'encourage à cesser, à faire ce reportage, qui devient vite son « film ». Pourquoi tient-elle tant à son sujet, que cherche t-elle, la belle Eva Hendrickx (Laura Verlinden très forte dans son silence hypnotique, son personnage beau et fragile, à la fois fasciné et buté) ? Il faudra attendre la fin du film pour le saisir. Pour le moment, la voilà qui a trouvé son passeur en ce monde rock'n'roll des jeunes enfants d'immigrés en colère, dans la figure de Lahbib. Sorte de beau gosse ténébreux à la langue bien pendue et aux poings bien affermis, Lahbib cultive une certaine innocence, populaire, et généreux, avec juste ce qu'il faut d'inquiétant pour laisser deviner la violence qui l'habite. Il l'entraîne dans ces quartiers qu'il désenclave, lui ouvre des portes tantôt joyeuses, tantôt violentes, mais bien vivantes. Elle, de son côté, lutte pour faire son film, contre la figure tutélaire de ce présentateur vedette, à la fois père et ogre, dans une atmosphère chic et fric de bureaux froids, de champagne et de tenues de soirée, de compétitions cyniques à couteaux tirés. Dans les va-et-vient entre ces deux mondes étanches, le film tisse sa progression narrative, privilégiant toujours le point de vue de ses deux protagonistes qu'il quitte rarement. Par là même, il donne visages, corps, histoires et émotions à ceux qui font, des deux côtés de l'écran, ces images médiatiques. Et finalement, si ces deux planètes finissent par se rejoindre, ce n'est pas tant dans la romance que l'on croit deviner, mais dans l'explosion de violence qui arrive là où l'on ne l'attendait pas, violence très différente qui les écrase, d'un côté comme de l'autre, toujours la même finalement, celles des puissants de ce monde.

Image de Adil El Arbi et Bilall FallahCe qui est très revigorant dans Image, c'est qu'Adil El Arbi et Billal Fallah prennent le taureau par les cornes. Si la guerre se situe sur le terrain médiatique, pour lutter contre le poids des reportages télévisés, il faut le choc du cinoche. Alors, le cinéma, ils l'empoignent à fond la caisse. Se battre contre les clichés véhiculés par les medias, c'est aller construire des images plus fortes encore, pour donner vie à leurs personnages à travers toute une mythologie cinéphile qui a donné à ces caractères leurs lettres de noblesse. Des ralentis, des gros plans bleutés sur le visage de leur héros, des scènes d'errances urbaines et la ville jaune et noire façon travelling latéral, le film en regorge. Et on y est, pas très loin des figures d'anti-héros qui ont traversé tout le cinoche américain des années 70 aux années 90. Oui, et les ralentis, les gros plans, les images parfois ultra contrastées, les montages super découpés, tout respire l'esthétique Scorsese, les bons vieux De Palma, le grand cinéma américain qui a tant aimé ces figures de racailles au grand cœur, ces pères ou fils d'immigrés italiens, portoricains, irlandais, prêts à tout pour faire leur place dans ce nouveau monde. Et Sanaa Alaoui, avec sa gueule cassée et sa silhouette trapue tantôt roublarde tantôt émotive nous ramène dans le champ les gueules à la Pacino.Image de Adil El Arbi et Bilall FallahLe film se clôt de manière dramatique, retour sur la télé, les mêmes clichés, les mêmes images : la jeune reporter aspirée par la tourmente médiatique, et le jeune voyou à la case départ. L'histoire est sans fin, le cercle est vicieux. Entre-temps, le film aura tenté de tirer ses personnages ailleurs. En déjouant un peu les attentes du spectateur, en déplaçant légèrement les clichés qu'ils retravaillent (la scène emblématique où Lahbib s'amuse avec ses deux acolytes à effrayer un vieux monsieur belge dans le métro raconte magistralement ce jeu avec sa propre image), en reconstruisant un imaginaire cinématographique, Adil El Arbi et Bilall Fallah sont entrés sur le champ de bataille.

Alors oui, ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère, en font des caisses et manquent parfois de finesse, mais peu importe, au final. Leur premier long métrage est enragé, réjouissant, vivant. Et puisque la guerre est déclarée, autant sortir l'artillerie lourde, non ? 

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