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"Image" - Rencontre avec les réalisateurs Bilall Fallah & Adil El Arbi

Publié le 15/11/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Premier long métrage de fiction, on a découvert Image au Festival du Film Francophone, dans le Focus consacré au cinéma flamand. Et il nous a laissé sonnés, un peu scotchés au siège, entre ahurissement et admiration. C'est qu'Adil El Arbi et Billal Fallah n'y vont pas par quatre chemins. Tous les deux ont des choses à dire, les assument et nous assomment. Mais ça pète, ça pepse, ça crie et tambourine, c'est vivant et ça dépote. À découvrir de toutes urgences, donc, même avec 36 bémols, sur les écrans début novembre.

Adil El Arbi : Image raconte l'histoire d'Eva, une jeune journaliste à qui on confie la réalisation d'un reportage dans les quartiers de Bruxelles. Elle y rencontre Lahbib, un jeune caïd avec qui elle sympathise. Ce dernier lui ouvre les portes de son monde, lui sert de guide. Entre-temps, la chaîne de télévision qui emploie la jeune femme manifeste son impatience, estimant qu'elle s'attarde trop longtemps sur ce reportage.

Cinergie : Pourquoi ce titre ?
Billal Fallah : Le titre renvoie à l'image que les médias donne des quartiers, mais aussi à la manière dont chacun construit sa propre image. L'ensemble du film, chaque scène, tourne autour de cette notion.
A.E.A. : L'image des personnes d'origine marocaine est souvent négative en Belgique, principalement en Flandre. Avec ce film, on voulait aborder la vision des gens comme celle des médias, c'est pourquoi le terme « Image » prenait tout son sens.

C. : Ce n'est pas uniquement l'appréhension du monde immigré dont il est question, c'est aussi un regard critique sur les rouages du monde médiatique. Vous n'hésitez pas à mettre en avant la pression à laquelle Eva est soumise.
B.F. : On voulait montrer l'envers du décor, parler de ceux qui font les nouvelles, et la manière dont il les propulsent à l'affiche de tout un pays. Ils ont le choix de ce qui fera la Une, ce qui leur assure une grande influence sur le regard des gens.

 Adil El Arbi et Bilall Fallah, réalisateursA.E.A. : On a suivi ces gens qui font les infos et tous ne sont pas aussi professionnels qu'on pourrait le croire. Certains sont loin de maîtriser les sujets dont ils parlent, leurs discours reposent sur des stéréotypes, ce qui laisse place à un grand nombre d'aberrations. Pourtant, tout ce qu'ils disent est pris comme vérité. Les médias ont assez déversé sur les jeunes Marocains, maintenant c'est à notre tour. (rires)
B.F. : Il y a, dans ce film, une opposition entre deux figures du journaliste : Herman, dont le programme s'essouffle, prêt à tout pour regonfler l'audience, et Eva, qui tente simplement de réaliser un bon reportage.

C. : Image semble être un contre-pied au documentaire de Sofie Peeters, Femme de la rue, qui traite des agressions verbales à caractère sexiste, au sein d'un quartier bruxellois.
A.E.A. : Le film était déjà écrit depuis plus d'un an lorsque Femme de la rue est sorti. Beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'une réaction, puisque les films sont sortis consécutivement, mais il n'en est rien. On trouvait intéressant de montrer qu'il est possible pour une jeune femme d'aller filmer dans les quartiers sans être automatiquement harcelée. On voulait offrir une vision du quartier plus nuancée, sans pour autant négliger sa part sombre, plus dure. Comme Lahbib et Eva qui sont à la fois durs et doux.

C. : Comment est né le projet ?
B.F. : On travaillait à Télé Bruxelles pour le programme Arabesque. Nous devions réaliser une série de reportages visant à donner une bonne image de certains Marocains habitant Bruxelles. Mais le trait était trop forcé, ce qui ne nous convenait pas. Toutefois, l'idée est venue de ce projet.
A.E.A. : On a aussi constaté que le paysage audiovisuel flamand n'était pas du tout représentatif de la diversité de la population. Par exemple, il n'y a pas de présentateur d'origine marocaine en Flandre. En Wallonie, en France, et même au Pays-Bas, la situation a évolué, mais ici on stagne, même sur le plan politique ou culturel. Finalement, la seule image qu'on propose des Marocains est véhiculée par les médias. Ce sont tous ces éléments qui ont contribué à la naissance d'Image. Au-delà de ça, on avait aussi très envie de réaliser un film qui nous plaisent, d'un point de vue purement cinématographique. Ce n'est pas un documentaire ou un pamphlet, Image reste un film à la facture classique, même si, en toile de fond, des thématiques sociales persistent.

C. : Ce film s'adresse aussi aux Flamands qui ne connaissent pas forcément bien Bruxelles.
 Adil El Arbi et Bilall Fallah, réalisateursA.E.A. : Le public flamand qui ne connaît pas Bruxelles l'imagine assez sauvage. Avec ce film, il pourra se faire une idée plus juste de la réalité. C'est aussi une démarche envers les jeunes Marocains, qui pourront se reconnaître à travers ce film. Si on peut réunir ces deux mondes, c'est parfait. On a aussi tenu à ce que le projet comporte les deux langues, le néerlandais et le français, de manière équitable. On veut que chaque Belge puisse se sentir concerné.

C. : Au final, on constate que le caractère machiste de l'homme transparaîtprincipalement parmi les collègues d'Eva, plutôt que dans les quartiers.
A.E.A. : Exactement. On a basé nos scènes sur ce qu'on a pu voir dans ces rédactions. On a toutefois tenté de modérer cet aspect dans le film, car on avait peur de rentrer dans les clichés. Ce qu'on voit dans Image est une version édulcorée de la réalité. C'est un monde d'homme, assez machiste, c'est ce qui nous a frappé. Au final, c'est une jungle, là où on ne l'attend pas forcément.

C. : Comment s'est passé le tournage ? Tourner un film d'action avec un budget très mince, c'est un vrai défi.
A.E.A. :Nous avions très peu de moyens, quasi rien en fait, mais nous sommes une équipe de jeunes, très motivés. On a tourné ces scènes d'action avec la ferme volonté d'obtenir un rendu digne du genre.

C. : Comment s'est déroulé le casting ? 

B.F. : Pour le rôle de Lahbib, on a directement pensé à Nabil Mallat qui jouait déjà dans notre court métrage, Frères.
A.E.A. : Nabil n'avait pas d'expérience, mise à part notre court, mais il a une énergie et le sens du jeu, il bouffe l'écran. Pour contre-balancer avec ce personnage rude, il fallait son contraire, et Laura Verlinden avec sa douceur, sa fragilité, convenait parfaitement. Les autres acteurs sont plus connus dans le milieu, on voulait que le spectateur flamand puissent reconnaître quelques visages comme Gène Bervoets, ou Geert Van Rampelberg.

C. : Comment s'est présenté la préparation avec les acteurs ?
A.E.A. : On a fait quelques répétitions, mais on avait très peu de temps de préparation. Certains acteurs sont même venus s'ajouter en cours de tournage. On a fait un peu tout sur le tas, sans temps morts, le projet a donc constamment évolué, parfois même sur le lieu de tournage. On n'avait pas le luxe du temps mais, au final, c'est un plus en terme de créativité. Roskam nous avait mis en garde plusieurs fois durant la production. C'est un réalisateur qui préfère prendre le temps, laisser mûrir le projet. Ce n'est pas notre cas, nous étions plus guidés par l'impatience. Quand Roskam a vu le film, il était soulagé ! Pour nos prochains films, on essayera tout de même de limiter l'urgence de tournage.

C. : On a l'impression que les acteurs plus mûrs vous ont beaucoup soutenus, qu'ils ont un peu porté ce film.
A.E.A. : Oui, sans eux le film n'aurait pas eu cette stature, cette dimension professionnelle. Ils ont cru en nous et ont prêté leur talent et leur nom.

C. : Black, est en cours de réalisation
A.E.A. : Exact. C'est la suite non officielle d'Image en fait, car plusieurs personnages de ce film reviendront dans Black. C'est dans le même monde; Image c'est l'hiver, et Black,c'est l'été.

Nabil Mallat

C. : Comment es-tu arrivé dans le cinéma ?
Nabil Mallat, comédien Nabil Mallat : À la base, je suis manager d'un magasin de vêtements à Anvers, loin du cinéma. J'ai rencontré Adil et Billal sur le casting d'une série. J'ai décroché un rôle pour la série, et ils m'ont proposé d'être l'acteur principal de leur court métrage, la seule condition était de me couper les cheveux, ce que j'ai fait. (rires) À aucun moment auparavant, je ne m'étais imaginé à l'écran, je n'ai même jamais suivi le Conservatoire. Depuis, je le sais, c'est ce que je veux, me faire une place dans le cinéma. On m'a demandé si j'étais prêt à devenir le nouveau visage de ma communauté. Je ne suis pas d'accord avec ça, je ne veux pas qu'on m'étiquette comme le comédien marocain, mais comme un comédien parmi les comédiens flamands.

C. : Adil et Billal évoque un tournage dans l'urgence, un temps très limité pour les répétitions. Comment as-tu appréhendé ton rôle ?
N. M. : J'ai beaucoup étudié, notamment le scénario, et je me suis simplement dit que j'allais faire de mon mieux.

C. : Les conditions de tournage devaient être complexes.

N. M. : Assez oui. Quand on tourne dans les quartiers, les gens sont toujours un peu méfiants, ils ont peur qu'on donne une image néfaste du lieu. Après quelques jours, ils discutent avec nous, comprennent le projet et baissent leur garde.

C. : Comment présenterais-tu ton personnage ?
Nabil Mallat, comédienN.M. : Je le décrirai comme étant un personnage tout simplement, puisqu'il a un passé, un présent et un futur, et c'est ce qui permet de l'aborder avec un peu plus de compréhension. C'est quelqu'un de dur, il a fait des mauvais trucs, mais ce que j'aime dans ce film, c'est qu'on essaie de comprendre pourquoi il agit ainsi. Je ne suis pas contre le fait de profiler un personnage marocain comme criminel. Ce que je demande c'est qu'on lui donne une vie, un parcours, et peut-être des raisons aussi.

C. : Avec Billal et Adil, vous avez fondé une agence de casting, Hakuna. C'est une petite révolution quelque part ?
N.M. : Il y a tellement de gens talentueux, de tout horizon, et beaucoup restent dans l'ombre. C'est ensemble qu'on pourra réussir. Pour notre groupe, c'est la même chose, il s'agrandit à chaque projet et s'améliore. Quand je vois les nouvelles mesures en terme de culture, cette diminution du budget, je trouve ça désolant. Pour beaucoup de jeunes, la culture est un espoir, une possibilité de sortir des rues. Si je peux rendre la pareille à certains d'entre eux, ce serait une belle victoire.

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