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Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel

Publié le 01/05/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Mobutu est un film étonnant et détonnant conçu en quatre actes, structuré comme un drame shakespearien et raconté par un Thierry Michel en pleine forme. Composé d'une mosaïque de documents, tous plus vrais les uns que les autres, il raconte l'histoire d'un self made man africain qui parti de rien arrive à tout. Le film est une méditation sur le pouvoir, cette drogue faite de séduction et de cruauté. Sauf que cette fiction est inscrite dans les annales de l'Histoire, celle du règne de Mobutu Sese Seko au Congo, ex-Zaïre.

Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel

Story

Comment, en un quart de siècle, un jeune sergent de l'armée coloniale est devenu l'un des hommes les plus riches du monde, régnant dans un pays ravagé par la corruption, c'est ce que tente de nous expliquer Thierry Michel en condensant 950 heures d'images d'archives visionnées un peu partout dans le monde. Mobutu, roi du Zaïre dresse un portrait sans équivoque de Mobutu -- tyran sanguinaire -- tout en laissant au personnage de Joseph Désiré son opacité, son mystère, l'aura du félin qui était son emblème : le léopard (toute sa vie il a réagi comme les félins, n'attaquant jamais ses adversaires de face, les éliminant en les agressant par surprise).
Dés le début de sa carrière, Mobutu est repéré par la CIA, alors qu'il n'est que secrétaire de Patrice Lumumba et qu'il évolue dans les couloirs de la Conférence Nationale. C'est ce que nous révèle Larry Devlin, chef d'antenne à la CIA pour l'Afrique dans les années 60, que Thierry Michel a retrouvé et fait parler. Sitôt nommé colonel par Patrice Lumumba Mobutu l'arrête, concourt à son assassinat et cinq ans plus tard s'en sert comme emblème des valeurs africaines. Lumumba mort sert Mobutu vivant. Les relations de Mobutu avec la Belgique, ex-puissance coloniale, se jouent sur une partition où le rejet se mélange à l'attraction. La prestance du roi Baudouin a fasciné Mobutu qui en a fait son modèle iconique. Plan emblématique que ce travelling où le roi Baudouin 1er et Mobutu défilent, debout, côte à côte, sanglés dans leurs uniformes de gala, à l'arrière d'une voiture décapotable, saluant de la main droite une foule qui les acclame. Le roi blanc et son double : le roi nègre. L'un étant le modèle symbolique de l'autre.

Séduction

Il y a eu, quoiqu'on en pense, un état de grâce entre Mobutu et son peuple. "Mobutu n'était pas seulement un tyran sanguinaire, il a fait danser le Zaïre", précise Thierry Michel. Déjà à la fin de la Renaissance, Etienne de La Boétie, dans son Discours sur la servitude volontaire, constatait que les peuples se jettent dans les bras des tyrans et, avant de les rejeter, leur donnent le pouvoir de les asservir. Pourquoi ? Mystère. En tout cas le mécanisme de la séduction marche toujours, d'Alcibiade à Mobutu en passant par Mao Zedong et quelques autres. C'est cela que Thierry Michel nous montre lorsqu'on voit tout un peuple chanter, danser, s'enivrer de Mobutu jusqu'à plus soif.
Deux séquences nous expliquent le déclin de Mobutu, sa folie des grandeurs et son goût des dépenses somptuaires. La première nous montre l'envoi d'une fusée spatiale (symbole phallique) qui sitôt après son décollage s'écrase aux pieds du président surpris et dépité. L'autre nous montre le Général-Président, lors de l'anniversaire de sa seconde épouse (la soeur jumelle de celle-ci étant sa maîtresse), sur la Riviera française. On y croise, sans trop de surprise, Raymond Barre, Jean-Christophe Mitterand, Herman de Croo, etc. Les tables sont pleines de victuailles, de champagne, de gâteaux à la crème. C'est tellement too much qu'on s'attend à une scène de slaptick mais non, on a droit à un orchestre à cordes qui savonne une mélodie d'inspiration tzigane ! Et là on se dit en le voyant rayonner de bonheur que Mobutu aurait pu être le personnage -- c'est un acteur surdoué -- d'une comédie musicale (un mélange de cinéma hollywoodien et de cinéma de République Populaire de Chine). L'intrigue sur la comédie du pouvoir serait entrecoupé, de choeurs de Zaïroises en boubous vert, dansant et chantant : "Mobutu sois notre guide".

Caligula

D'après son ex-Ministre de l'information, un ancien pasteur, Mobutu ne dédaignait pas humilier ses ministres en couchant avec leurs épouses, vieille pratique romaine que l'empereur Caligula avait inauguré au début de l'ère chrétienne. Le même personnage au talent de conteur hors pair nous explique comment il a conçu le générique de la télévision zaïroise : le visage impérial de Mobutu en surimpression sur des nuages qui avancent avec majesté, et il ajoute, les yeux écarquillés, que Mobutu croyait en la magie, aux gris-gris et buvait des verres de sang humain !
On pourrait déchiffrer le destin de Mobutu en lisant les expressions de son visage tout au long du film. Au début son visage rayonne, exprime la joie, il n'arrête pas de sourire et de rire. C'est ça le pouvoir : combler son désir d'être aimé (par son peuple), d'être le centre du monde. Lorsque dans le dernier acte de la tragédie (dont il est, ne l'oublions pas, l'un des co-scénaristes), le monde le rejette, qu'il fait l'apprentissage du désamour et du rejet du peuple, son visage exprime la souffrance, puis la résignation. Séquence étonnante que celle où partant de son palais en Equateur, il parcourt la brousse en voiture, distribuant des liasses de billets de banque à des partisans qui le supplient de reprendre les rênes du pouvoir.

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