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50/50 - Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel

Publié le 05/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Cinéaste, photographe et journaliste, des mines de charbon aux prisons, du Brésil et du Maghreb à l'Afrique noire, Thierry Michel dénonce les détresses et les révoltes du monde, mêlant parfois fiction et réalité. Né le 13 octobre 1952 à Charleroi en Belgique, dans une région industrielle surnommée “Le Pays Noir”, Thierry Michel engage à 16 ans des études à l'Institut des Arts de Diffusion, à Bruxelles. En 1976, il entre à la télévision belge où il réalise de nombreux reportages de par le monde. C'est ensuite le passage au cinéma. Il va alterner deux longs-métrages de fiction et de nombreux documentaires internationalement reconnus, primés et diffusés. Parmi ceux-ci Gosses de Rio, Zaïre, le cycle du serpent, Donka, radioscopie d’un hôpital africain, Mobutu, roi du Zaïre, Iran sous le voile des apparences, Congo River , Katanga Business , L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ? . Thierry Michel est aujourd’hui professeur et enseigne le « cinéma du réel » à l’Institut des Arts de Diffusion et à l’université de Liège. Il est l’auteur de deux livres de photos/texte sur l’Afrique et dirige également de nombreux séminaires sur l’écriture et la réalisation documentaire de par le monde.

50/50 - Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Quelle place Mobutu, roi du Zaïre tient-il dans votre longue filmographie ?

Thierry Michel: Ce film reste pour moi un film important, un « classique » pourrait-on dire, même s'il y a d'autres films qui ont également eu un grand impact de diffusion comme Congo River et, plus récemment, L'homme qui réparait les femmes. Le Congo a une place particulière dans mon oeuvre, car si je suis parti tourner d’autres films au Brésil, en Iran, en Afrique du Nord et dans d'autres pays africains, c’est en République Démocratique du Congo que j’ai réalisé 10 films. De 1990 à 2015, j'ai raconté, avec une caméra et un micro, plus d'un quart de siècle de l'histoire congolaise, et cela dans un pays où il y a eu très peu d'images produites durant les années 90. Mobutu, roi du Zaïre est un de mes films qui a eu la plus importante carrière internationale. En termes de diffusion télé, par exemple, ce film a été acheté par 37 chaînes dans le monde, ce qui est presque surréaliste.

 

A.F. et S.P. : Comment s'est déroulée la sortie du film ?

T.M. : Mobutu est sorti en 1999. La Première a eu lieu au Burkina Faso, lors du festival Fespaco dans un stade où étaient réunies des milliers de personnes. Le film a immédiatement eu un succès invraisemblable. Il a connu une carrière étonnante en salles. Il est sorti dans 11 pays africains, à l'époque où il y avait encore des salles... Au Burkina Faso, il a fait 94.000 entrées officielles et plus de 50.000 au Cameroun... Je me souviendrai toujours qu'à Libreville, au Gabon, la foule avait forcé les barrages pour voir le film et avait fait éclater les grilles du centre culturel. Le film a eu un impact international extraordinaire. En Europe, il est sorti dans de nombreux pays, en Suisse, en Allemagne, en France et en Belgique, où il a connu un grand succès, à la fois public et critique. C'est un film qui est encore très présent dans les esprits. Après plus de 15 ans de diffusion, il garde son impact et des jeunes Africains de 20 ans le découvrent aujourd'hui. Lorsque je prends un taxi avec un Africain, que ce soit à Paris, Montréal, ou New York, il est très rare que le chauffeur ne connaisse pas le film, et je trouve ça vraiment incroyable qu'un documentaire ait pu avoir une si grande portée.

 

A.F. et S.P. : Est-ce que ce film a marqué un tournant dans votre carrière ?

T.M. : Indéniablement. J'avais déjà réalisé plusieurs films qui avaient eu une portée internationale avec de nombreuses distinctions et diffusions télévisées comme Gosses de Rio, mais ce film en particulier m'a permis d'avoir une légitimité politique, au-delà de mon travail de cinéaste. Mobutu roi du Zaïre m'a donné certainement un poids qui fait que ma voix est entendue au-delà du monde du cinéma. Pour donner un exemple, j'ai publié hier un article concernant l'assassinat d'un gynécologue proche du Dr Mukwege et mon article a été partagé sur Facebook par plus de 850 personnes. Je fais aujourd'hui des conférences dans le monde entier, même sans présenter de films et j'ai été récemment invité à parler à la Tribune des Nations Unies à Genève. Le film Mobutu m'a donc donné une reconnaissance particulière, non seulement comme cinéaste mais comme analyste, comme intellectuel organique pourrait-on dire, en ce qui concerne l'Afrique.

 

A.F. et S.P. : Ce succès a-t-il facilité votre travail par la suite ?

T.M. : Ce film est l’une des plus grosses productions que j'ai connu en documentaire. Nous avions besoin de beaucoup d'argent parce que les archives représentaient un coût terrible à l'époque. Au niveau du public, ce succès m'a permis de réaliser plus facilement mes films suivant et de fidéliser un public. Je pense à Congo River, sorti en 2006, qui a fait 45 000 entrées en salles en Belgique, soit plus que toute la production de films de fiction en Belgique francophone la même année. En ce qui concerne les financements, les choses sont plus nuancées. La RTBF m'a toujours soutenu, ainsi que plusieurs télévisions européennes. Du côté de la Commission de Sélection des Films, je pense que ce n'est pas nécessairement le succès qui aide. Une commission rassemble des subjectivités, et il faut parvenir à convaincre tout le monde, ce qui n'est pas évident. C'est le système de commissions qui fonctionne de cette façon, et ce n'est pas idéal, mais je ne suis pas sûr non plus qu'il existe un meilleur système. 

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