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Alexandre à Cannes. L'Expérience de la Cinéfondation.

Publié le 12/07/2016 par Edith Mahieux / Catégorie: Entrevue

On a rencontré, à Cannes, Alexandre Gilmet dont le film a été sélectionné cette année à la Cinéfondation, la section du festival réservé aux meilleurs films d’école. La veille, son film Poubelle avait été présenté avec trois autres courts, dans le programme numéro 3, en salle Buñuel. C’est peu de temps avant la remise des prix que le jeune réalisateur, encore étudiant à l’INSAS, nous fait part de son expérience cannoise, au soleil, sur une belle grande terrasse du Palais des Festivals avec vue que la Croisette. Être sélectionné à Cannes est une étape importante dans la vie d’un jeune réalisateur.

 

CinéfondationCinergie : Comment s’est passé la souscription de ton film et quand as-tu appris que tu avais été sélectionné ?Alexandre Gilmet : J’ai soumis Poubelle en novembre dernier en remplissant un formulaire et en envoyant un screener du film. On doit choisir dans quelle section on veut le présenter [à la Cinéfondation, la Sélection Officielle, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique etc].
Un film peut être présenté dans plusieurs sections. Je l’ai présenté à la Cinéfondation, mais pas en Compétition Officielle car c’est 15 minutes maximum et le mien fait 19 minutes. Après la soumission, ils ont annoncé la sélection mi-avril mais j’ai su que j’étais sélectionné dès mi-janvier. Cela a été difficile de garder le silence ! D’autant plus que tous mes collègues continuaient à postuler dans de nombreux festivals.

C. : Comment la Cinéfondation a-t-elle pris contact avec toi ?
A.G. : En ce qui me concerne, j’ai reçu un appel de Dimitra Karya, la programmatrice, qui m’a dit en détails ce qu’elle aimait dans le film, et qu’elle voulait qu’il soit dans sa sélection. Elle l’a trouvé drôle et politiquement incorrect, ce qui lui plaisait beaucoup. De plus, elle trouvait rare de pouvoir allier ces deux éléments à une vraie mise en scène.

C. : Peut-être avait-elle une dent contre Intouchables, étant donné que le film traite de la rencontre improbable entre un éboueur et un riche bourgeois en fauteuil roulant. As-tu toi pensé à ce film en écrivant Poubelle ?
A.G. : (Rires) Non, moi je n’y ai jamais pensé.

C. : Raconte-nous un peu comment s’est déroulée ton arrivée à Cannes.
A.G. : À vrai dire, je me suis plutôt mal organisé. On était invité à partir du 17 mai, car la programmation commence le 18 [le Festival du film commençait le 11]. À partir de cette date, on a un hôtel réservé et payé, ainsi qu’un programme journalier organisé spécialement pour nous, pendant trois jours. On nous a demandé si l’on souhaitait venir un peu à l’avance à nos frais. Comme je pensais que cela ne se faisait pas trop, j’ai dit «non, je vais venir le 17» en pensant que tout le monde allait faire ça. Mais je me suis rendu compte que je suis le seul à être venu ce jour-là ! Tous les autres candidats sélectionnés sont venus 3-4-5 voire 6 jours avant. Ce qui était vraiment la bonne chose à faire. Cela a été une grosse erreur de ma part, car cela aurait été l’occasion d’aller vers les gens et de les inciter à venir voir le film lors de la projection.

C. : En présentant ton film hier, tu as incité le public à venir te faire des retours. Qui est venu à toi à la fin du programme ?
A.G. : Quelques personnes sont venues me parler, mais majoritairement je n’ai pas eu de discussion de plus de 1 à 2 minutes. C’était surtout pour me dire que c’était un bon film. Il est toujours délicat de savoir à quel point ils ont vraiment aimé ou pas parce que, lorsque les gens te voient sortir de la salle, j’imagine que même certains qui n’ont peut-être pas trop aimé, viennent te féliciter. Encore une fois, c’est une erreur de ma part. Je n’ai commencé qu’aujourd’hui la promotion du film, en laissant à des distributeurs et des acheteurs ma carte avec le screener, et si j’avais anticipé, en étant là deux-trois jours avant, ils seraient peut-être venus voir le film sur grand écran avec un public, ce qui n’est vraiment pas la même chose.

C. : À partir du 17, la Cinéfondation vous a organisé un véritable journalier, donc. Comment se déroulent tes journées ?
A.G. : Déjà, on est tenu d’assister à tous les programmes de la sélection, même quand ce n’est pas le programme où notre film est présenté. Ensuite, on a beaucoup d’activités. Le premier jour, par exemple, on a été invité à un cocktail très chic, organisé sur la Terrasse de la Cinéfondation. Cela nous a permis de faire connaissance les uns avec les autres. Le 18 mai, on a eu la chance d’assister à la projection du film des Frères Dardenne [La Fille Inconnue, présenté en Compétition Officielle] et on a pu faire la montée des marches. Je ne sais pas si vous savez comment cela se passe, mais le public entre en premier, et on garde les grands noms pour la fin. En tant que jeunes réalisateurs sélectionnés à la Cinéfondation, on a été dans les derniers à monter les marches. On a été annoncé, il y a même eu des photos sur le tapis rouge. Puis, lors de la projection dans le Grand Théâtre Lumière, on était très bien placés : j’étais deux rangées derrière les Frères Dardenne ! Mais il faut faire attention à ce genre de chose car beaucoup de gens ne sont là que pour le paraître. Certaines stars ont été annoncées autour de moi et je me disais : « Pourquoi ? Ils sont cinéphiles ceux-là ? ». On peut très vite prendre la grosse tête. Même à notre tout petit niveau de Cinéfondation, parce que tu es sur le tapis rouge et qu’à côté de toi, il y a Lewis Hamilton, Mads Mikkelsen, et tu te dis : « Je suis avec eux » !

C. : En ce qui concerne les autres films de la Cinéfondation, as-tu eu des coups de cœur en les découvrant lors des programmes auxquels tu as assisté ?
A.G. : Je ne les ai pas tous vus malheureusement ! J’ai raté un programme car je suis arrivé en retard. Mais je trouve 75% des films très forts. Je suis très impressionné par le niveau. Il y a eu particulièrement The Alan Dimension qui est un film d’animation à la fois très émouvant et très drôle, et Las Razones del mundo (Les Raisons du monde), qui a déjà toute la puissance cinématographique d’un long-métrage. Par contre, il n’y a aucun film où je me dis, on est dans le même style, on va faire des films similaires. J’ai été assez étonné d’avoir été sélectionné en voyant les autres films. Beaucoup m'ont dit : « Le tien est très différent »

C. : Et toi, as-tu eu des retours des autres candidats sur ton film ?
A.G. : C’est assez dur honnêtement, car on se félicite un peu tous après une projection. Alors, j’imagine les choses comme ça : s’ils ne m’ont rien dit, c’est qu’ils n’ont vraiment pas aimé, s’ils m’ont juste dit « Félicitations, c’était bien », ils ont été moyennement touchés, et s’ils sont allés plus dans le détail, ils ont vraiment aimé. Je déteste qu’il y ait un consensus sur un film. Parmi ceux qui ont déjà vu le film, il y en a quelques-uns qui n’ont vraiment pas aimé et qui me l’ont fait savoir, et je suis bien plus content quand cela arrive plutôt que de s'entendre dire : « Oui, c’est pas mal » !

Alexandre gilmetC. : Trouves-tu qu’il y a, à Cannes, des films qui correspondent à ta manière de faire du cinéma ?
A.G. : Parmi les courts-métrages, aucun ne correspond à mon cinéma. Sinon, cette année, je n’ai eu le temps de voir aucun film. Mais je peux en citer des années précédentes : Relatos Salvajes [Contes Sauvages] de Damian Szifron, ainsi que tous les films de Nicolas Winding Refn dont je ne pourrai malheureusement pas voir The Neon Demon cette année, présenté à nouveau en Sélection Officielle. C’est ce que j’aime dans ce festival. Même s’il y a un style « Cannes » qui peut se dégager dans la majorité des films choisis, il y a en quelques-uns qui sont vraiment différents. Et ils ont quand même donné la Palme d’Or à Pulp Fiction ! Bien sûr, c’était il y a plus de 20 ans, mais quand même ! J’aurais aimé être né plus tôt pour pouvoir y assister. Et n’oublions pas qu’en 2011, Drive de Refn a reçu le Prix de la mise en scène. Pour un film de veine hollywoodienne, c’est quelque chose ! Je pense que, quoiqu’il arrive, il y a toujours un combat dans un film entre intrigue et cinéma. Plus tu mets d’intrigues, plus tu bourres l’histoire, plus tu enlèves la possibilité de faire du vrai cinéma. Il faut trouver le juste milieu entre avoir assez d’intrigues pour intéresser un spectateur « lambda » et en même temps, avoir assez de mise en scène pour faire du cinéma. Drive, c’est ce mélange des deux : c’est une histoire classique hollywoodienne un peu pathos, mais il [Nicolas Winding Refn] arrive à développer une mise en scène très intéressante.

C. : Cannes est assez fidèle avec ses réalisateurs. Qu’en est-il de la Cinéfondation ? Y a-t-il un suivi post-festival ?
A.G. : À la Cinéfondation, la Sélection, la Résidence et l’Atelier font partie d’un tout, même si tu peux ne faire que l’un ou l’autre. L’idée reste d’accompagner les jeunes réalisateurs et de se dire quand ils présenteront leurs longs-métrages en Sélection Officielle, « tiens, ils sont là, on les a accompagnés dès le départ ». Moi, c’est surtout la Résidence qui m’intéresserait, car je suis en train de développer un projet de long-métrage. Quand tu présentes un dossier, ce n’est pas parce que tu as fait partie de la Sélection qu’ils vont te prendre toi et pas un autre, mais tu as plus de poids car ils te connaissent déjà. Alors, ils lisent ton projet de manière plus attentive. C’est toujours comme ça que ça se passe. C’est la même chose en Sélection Officielle avec un film des Frères Dardenne par exemple. Cela ne veut pas dire qu’ils le prennent automatiquement, mais ils vont bien le regarder, et si les programmateurs ne l’aiment pas, ils vont quand même se dire, « et si je le faisais relire/revoir quand même par untel et untel ? C’est peut-être moi qui ai manqué quelque chose ».
Il est tellement difficile de vivre en faisant des films en Europe et encore plus en Belgique, surtout quand tu commences, que qui ne rêverait pas de faire partie de la Résidence ? Une fois lancé, tu peux avoir des aides à l’écriture, et tu peux avoir des revenus si ton film est déjà passé à la télé par exemple. Mais quand tu démarres, tu es à zéro. La Résidence, c’est intéressant pour plusieurs raisons. C’est tout frais payés, tu as le droit à un vrai suivi de 4 mois et demi, ce qui très rare car souvent, les résidences peuvent s’étendre sur de très courtes périodes comme sur une période de deux semaines uniquement. Ensuite, si tu as fait le film et qu’il est issu de la Résidence, encore une fois, ton film va être regardé différemment par rapport au film d’un inconnu. Il aura plus de chance de se faire voir et d’être sélectionné. Après, je répète, il faut que le film leur plaise quand même.

C. : Quant aux autres réalisateurs de la Cinéfondation, penses-tu les revoir ?
A.G. : Je ne sais pas, parce qu’à part les Français, on ne vient pas de pays frontaliers. Et ce qui est compliqué, c’est qu’on est 18. Il y a eu le cocktail de départ où on a appris à se connaître un peu tous, mais toutes les équipes de chaque personne sont là, donc les gens ont plus tendance à rester avec leur clan. On ne connaît pas les 18 vraiment. Je ne crois pas que tout le monde connaisse le nom de tout le monde.

C. : Et toi, es-tu venu avec ton équipe ?
A.G. : Au début, j’avais le droit à 5 accréditations et il y avait 8 personnes qui voulaient venir. J’ai établi une liste des personnes prioritaires et je me suis dis : « Ca y est, je vais prendre ceux-là » mais j’étais déjà très en retard par rapport à tout le monde. Quelques jours après, deux se sont désistés, donc j’en ai rappelé d’autres qui avaient finalement organisé autre chose donc bref, je n’ai plus eu personne. Je n’ai qu’un membre de mon équipe. Véridique !
C’est un très bon ami à moi, Léo Chilli, celui qui a un peu été la « bonne fée» du film qui est venu. Il a aidé sur tout : à l’assistanat, à la réalisation, à la régie, à l’image aussi à certains moments. Heureusement qu’il est là, et finalement, s’il y en a bien un qui doit être là, c’est lui, même s’il n’a pas de titre honorifique au générique.
Et j’ai invité mes parents. Mon père a travaillé sur le film car il était chauffeur du camion-poubelle, il peut prétendre à être ici. Il a le droit !

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