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Théo Degen. Les fantômes, les croyances, les contes, la réalité, les « vrais gens »

Publié le 27/07/2021 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Il y a quelques jours, un jeune cinéaste diplômé de l’INSAS (Bruxelles) était primé par le Jury de la Cinéfondation, la section dédiée aux films d’écoles du Festival de Cannes. Théo Degen a ainsi obtenu le premier prix pour un film d'étudiant, l'Enfant salamandre, à la fois mystique et audacieux, à mi-chemin entre récit personnel et imaginaire fantastique.
Dans cet entretien, il aborde le choix de l’école, la famille de cinéma qu’il s’est trouvée en cours de route, son goût du travail avec les comédiens non professionnels, son affection pour l’enfance et la magie et son apprentissage par le court.

Théo Degen. Les fantômes, les croyances, les contes, la réalité, les « vrais gens »

Cinergie : Il est difficile d'entrer dans une école surtout en réalisation. Avec quelles armes es-tu arrivé à l’INSAS, à part le désir de faire des films ?

Théo Degen : J’ai grandi dans un village, dans un lotissement avec des mômes qui glandent. Tout le monde se fait un peu chier, joue au foot, traine dans la rue... À l’âge de 16 ans, j’ai commencé à avoir envie de faire des films, je suis allé parler aux enfants plus jeunes que moi pour leur proposer de jouer mes premiers films. C’était mes premiers pas, la prise de contact avec le médium. J’ai rencontré Florian [Villez], un ado de mon village, qui a 17 ans maintenant. J’ai commencé à travailler avec lui en 2015 sur mon premier film. Il n’est jamais sorti nulle part mais c’est le projet que j’ai présenté à l’INSAS. Ce film-là était un prétexte, une rencontre. En travaillant avec Florian, qui n’était pas du tout un acteur professionnel, j’ai eu envie de poursuivre avec lui. Pendant tout mon cursus, j’ai d’ailleurs continué à faire des films avec lui. Il joue l’enfant salamandre dans mon dernier film.

C. : Qu’est-ce qui t’intéresse chez lui ?

T. D : À l’époque, quand on a tourné notre premier film, il avait 10 ans. C’était le môme mal aimé du quartier, il était un peu agressif. Je lui ai proposé un rôle parce que je voulais voir différentes personnes à l’image. Et je n’aimais pas le traitement qui lui était infligé par les enfants de son âge ou de mon âge. Il passait sa vie à trainer, il ne partait jamais en vacances. Là, j’ai vraiment appris à le connaitre. Il déborde d’énergie ; je m’en suis rendu compte en travaillant avec lui. Je cherchais une personnalité différente. Florian ne joue pas, il est lui-même et il a une présence folle. Il dégage quelque chose de vrai.

C. L’Enfant salamandre se passe chez toi et avec des acteurs non professionnels mais il y a aussi une part très fictionnelle. Tu partais d’une situation réelle et tu as voulu l’agrémenter d’un travail de mise en scène ?

T. D : Tout à fait. Mon parcours à l’INSAS m’a permis d’expérimenter la frontière entre réel et fiction. Mon film est très fictionnel, très poussé, c’est presque du genre. J’ai découvert à l’INSAS le plaisir de prendre les éléments de la réalité, Florian, le village, les autres comédiens, et de cadrer ça avec des choses très écrites, fantastiques, magiques. J’avais surtout envie de confronter l’univers du conte et de la magie avec la réalité. Je trouvais ça plus intéressant de ne pas mettre des comédiens dans cette situation mais justement des acteurs non professionnels, des "vrais" gens.

C : L’enfant-salamandre est ton film de fin d’étude. Quel est ton ressenti sur l’école, sur ce que tu as appris là-bas ?

T. D : L’étape « école » m’a permis d’affirmer cette envie de travailler avec des comédiens non professionnels. Les exercices où on devait diriger des comédiens dont c’était le métier m’ont le plus rebuté. C’était des exercices plus classiques. Quand on m’a imposé à l’INSAS de travailler avec des acteurs, je n’y trouvais pas mon compte. L’INSAS m’a permis de découvrir la fabrication des films. Ça m'a surtout appris une rigueur de travail et une façon de travailler en équipe. Ce que ça m’a apporté de plus important, c’est le groupe de famille de cinéma que j’ai rencontré là-bas. Je vais être amené à refaire des films avec eux, on le sait parce qu’on s’entend bien. L’école m’a donné beaucoup tout en me laissant venir avec les choses dont j’avais envie et qui dépassaient un peu du cadre classique.

C. : Ce cadre classique, tu l’as ressenti là-bas ?

T. D : J’ai pu le ressentir parce que c’est la base de ce qu’on apprend, mais à l’INSAS on est libre de s’en affranchir. C’est parfois un peu douloureux en fonction des professeurs. Je me suis rarement senti bridé, un peu, évidemment, mais j’ai l’impression que ça fait partie de mon parcours et que finalement, c’était une aide. La base de l’enseignement est forcément un peu classique, mais j’ai eu la possibilité de pouvoir tracer mon chemin personnel sans problème.

C. : Dans L’enfant-salamandre, il y a des partis pris fantastiques. À quoi est liée ton envie de partir dans la direction du cinéma de genre ?

T. D : C’est une envie depuis le début. En l’occurrence, L’enfant-salamandre traite du deuil et d’un jeune garçon. L’envie de partir dans le genre est liée à la manière dont j’ai vécu le deuil de mon père dans l’enfance. C’était ma manière à l’époque de le dépasser. Je me replongeais dans les croyances que lui-même m’avait inculquées par rapport à la mort. Pour moi, le cinéma est en lien avec les croyances. Il est un lieu où les croyances, souvent tirées dans l’enfance donc fantastiques, peuvent devenir réelles sur l’écran. C’était un moyen pour moi de faire advenir dans le réel quelque chose qui ne l’est pas dans la vie mais qui l’était pour moi enfant. Quand j’étais môme, je croyais aux fantômes. Au cinéma aussi, ils peuvent exister. C’est ça que j’aime bien et que j’ai envie de continuer à faire : rendre réel des choses au cinéma qui ne peuvent pas l’être dans la vie, donc, puiser dans le merveilleux et dans le genre.

Mon enfance a été bercée de contes et d’histoires que mes parents m’ont racontés, et surtout d’histoires magiques. Le personnage de Batman, qui apparait et disparait avec ses boules de fumée dans le film, veut absolument que la magie existe. Il s’en persuade comme on peut se persuader quand on est enfant. C’est le pouvoir de l’enfance que de croire aux choses, aux fantômes, à la magie. Le cinéma sert à ça pour moi.

C. : Tu tournes actuellement en Suisse ton premier projet en dehors de l’école…

T.D. : Après L’enfant salamandre, tourné en août l’année dernière, j’avais envie de tourner très vite quelque chose. C’est une inquiétude courante en sortant de l’école. Avec Charlotte Muller, ma camarade et complice, avec laquelle j’ai travaillé sur mon court précédent, on a cherché des fonds par-ci par-là et on a obtenu une bourse assez conséquente qui nous permet de réaliser un film artistique de façon très libre. C’est un film qui n’a pas de production. On a juste la bourse pour faire le film. L’idée, c’est de faire le film avec les copains, qui sont surtout nos collaborateurs dans le monde professionnel. On a monté avec d’autres de l’INSAS une ASBL, Phosphore Films, qui nous permet de postuler pour des bourses et de porter des petits projets de cette manière.

C. : La Cinéfondation est une belle opportunité pour ton film et ton parcours. Comment la perçois-tu ? Tu portes une certaine responsabilité par rapport à Florian et aux autres personnes que tu as filmées. Comment présentes-tu la section à ceux qui t’ont accompagné ?

T. D : Tout le monde connait le festival de Cannes, les comédiens aussi savaient de quoi il retournait. Pour Florian, c’est particulier parce qu’il s’en fiche. Ce qui lui plait, c’est le tournage, le fait d’être entouré d’une équipe de cinéma. Il est évidemment content parce qu’il adore les projections mais que ce soit Cannes ou ailleurs, c’est pareil pour lui. Par rapport à eux, je suis très content. Je repense à ce qu’on vivait quand on était adolescent. Florian travaillait avec moi et de nombreux mômes du village ne l’aimaient pas trop mais voulaient aussi faire le film quand même. C’est un peu comme une revanche. Je suis très heureux que Florian puisse vivre ça. Pour moi, c’est inespéré. Je ne m’y attendais pas et je suis complètement ravi et reconnaissant de cette sélection (et de ce prix). Je prends conscience que c’est un bon coup de pouce pour la suite, et c’est encourageant.

C. : Qu’est-ce qui t’intéresse dans le format du court-métrage que tu expérimentes pour le moment ?

T. D : À long terme évidemment, j’ai envie de faire des longs-métrages. Ce qui était très intéressant dans ma formation à l’INSAS, c’est que j’ai appris à construire une narration sur un format court. C’est la base pour pouvoir faire du long, même si je pense que ça peut être tout autant compliqué de faire tenir des histoires sur des formats courts que sur des formats longs. En ce moment, je suis ravi de refaire un court. Ça me permet d’expérimenter un peu des formes et des systèmes de narration et en même temps, ça force à une forme d’efficacité. Il faut condenser une histoire en 20-25 minutes maximum, c’est un gros exercice d’écriture. C’est ce qu’on fait avec Charlotte en ce moment. Le court-métrage devient un format génial quand on le comprend et qu’on peut en profiter pour créer des émotions en moins de temps.

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