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Rencontre avec William Henne pour la série BRUT

Publié le 26/08/2019 par Adèle Cohen et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Créé en 1994, Zorobabel produit des courts-métrages d'auteur et organise des ateliers de cinéma d'animation à Bruxelles.
Le projet BRUT, initié il y a un an et demi, compte désormais 18 épisodes de plus ou moins deux minutes et donne la parole, le crayon, les ciseaux et le banc titre à des artistes hors du commun. Plusieurs de ces films seront diffusés lors d’une séance tout public au BAFF – Brussels Art Film Festival (14-17 novembre).

Rencontre sous l’arbre du petit jardin arrière où le vent ne se montre pas.

Cinergie : Pouvez-nous parler un peu de cet atelier bruxellois où nous nous trouvons aujourd’hui, Zorobabel.
William Henne : C’est un atelier que j’ai fondé il y a 25 ans avec Delphine Renard. Depuis, nous avons créé des dizaines de courts-métrages d’animation. Il y a une partie production de courts-métrages (souvent des premiers films), une résidence et des ateliers avec des publics très divers.

 

C. : Et depuis un an, vous et Anton Henne travaillez à deux sur une série intitulée Brut ?
W.H : En effet. La série Brut est le résultat d’un partenariat entre Zorobabel et le Créahm à Bruxelles (créativité et handicap mental). Le Créahm est une association qui travaille avec des artistes handicapés mentaux avec ce statut particulier qui fait qu’on est à la fois dans une logique d’atelier et à la fois dans une véritable production artistique puisque ces œuvres sont diffusées, montrées. Il permet donc de donner un véritable statut d’artiste aux personnes en situation de handicap.

 

C. : Qu’est ce qui vous a conduit à pousser leur porte ?
W.H : Anton et moi nous nous intéressons depuis très longtemps à l’art qu’on appelle « art brut ». Même si cette appellation ennuie tout le monde ! Moi, je fréquente depuis longtemps le musée Art et Marges à Bruxelles et j'ai souvent visité le musée d’art brut de Lausanne. Peut-être que ce qui m’a donné envie de faire ces films, c’est le travail de Denis de Wind, qui a réalisé des films d’animation extraordinaires avec des artistes handicapés – et notamment Les Mains nues qui aborde la sexualité et le handicap, un sujet totalement tabou.
Il faut quand même préciser que l'art brut, cela ne concerne pas uniquement les handicapés mentaux, cela concerne aussi les fous, les enfants, bref, tout ce qui échappe à la formation académique et permet du coup une totale liberté, un art totalement décomplexé et souvent inédit.

 

C. : Comment ce projet s'est-il mis en place concrètement ?
W.H : Lorsque nous sommes arrivés là-bas, nous ne savions pas quelle forme notre travail allait prendre. Il fallait avant tout savoir si quelque chose était possible... Il fallait un peu improviser car nous n’avions aucune expérience en la matière. On a eu toute une phase d’observation et de communication avec les artistes. Ensuite, nous avons décidé de consacrer une capsule de 1 à 3 minutes à un seul artiste. Le but était de trouver, en animation, une technique qui correspondait à l’univers de chacun d'eux. Bien entendu, tout cela  dépendait aussi de leur habileté puisqu’il y a des pathologies très diverses et différents degrés de handicap. En fonction du degré d’habileté, mais également en fonction du niveau de communication qu’il est possible d’établir (parfois le dialogue est quasi impossible), l’intervention est très très différente. Certains étaient quasi autonomes, et ils prenaient en main la création du film. Shéhérazade, par exemple, travaille en papier découpé et c'est une artiste très soigneuse. Elle a tout de suite compris le principe des marionnettes et elle a pu les créer et les animer elle-même sans problème. Pour d’autres, c’était à nous d’imaginer un dispositif qui allait permettre de montrer le travail et mettre en scène leur univers. C’est parfois un défi car certains artistes ne disent qu’un ou deux mots, parfois pas très compréhensible et l’animation, on le sait, est en plus un médium assez laborieux.  Mais ce qui nous guidait toujours, c’était le respect de l’univers de chacun de ces artistes. Nous voulions que chaque capsule soit le reflet de leur style, de leur pratique, de leur créativité.

Une fois que nous avons décidé de la façon de procéder, on a pu travailler en parallèle avec plusieurs artistes à la fois. 

 

C. : Comment avez-vous choisi les artistes participants ? 
W.H : On regarde. Chaque artiste possède un casier où il met sa production. Le but est d'évaluer le potentiel que possède l'œuvre en animation, car tout ne peut pas fonctionner et cela n'a parfois rien avoir avec la qualité du travail réalisé. Dans un second temps, on discute avec eux. Pour le moment, on n'a jamais essuyé de refus de leur part. Parfois, ils ne comprennent pas très bien où on va mais dès que l’on commence à prendre des images, tout s’éclaire ! Il faut dire que le numérique permet de se rendre compte immédiatement de ce que l’on fait. Je me souviens que lorsqu’on tournait en pellicule il y a 25 ans, les participants aux ateliers ne voyaient le résultat qu’un mois plus tard ! Pour cette raison le numérique est un outil très puissant. 

 

C. : Et tout se fait sur place ? 
W. H : Oui, tout. Le Créahm a déménagé il y a deux ans. Il se trouve aujourd’hui près de Flagey dans les anciens locaux de la police communale d’Ixelles. L’équipe a mis à notre disposition une cellule qui servait à enfermer les gens pour pouvoir nous isoler et tourner avec notre banc titre. Une fois que tout est installé, c’est la grosse improvisation car ni Anton ni moi n’avons une spécificité : nous maitrisons tous les deux toute la chaîne de réalisation donc on est tout à fait interchangeables.

C. : Combien y a t-il d’épisodes pour le moment ?
W.H : Nous en sommes à 18 et dans un an, et nous pensons réaliser encore 10 épisodes. Nous passons beaucoup de temps avec eux. Bien sûr, certains projets ont pris plus de temps que d’autres. Dans le cas de Willy qui est un des rares artistes à faire de la peinture abstraite, les choses se sont faites rapidement car nous avons imaginé un timelapse qui rendait bien le motif récurent et obsessionnel que Willy déploie dans son œuvre : des carrés colorés.

 

C. : Y a t-il un épisode qui vous touche plus particulièrement ?
W.H : Non ... C’est beaucoup trop difficile de répondre à ça ! En fait, il y a un épisode que j’aime énormément, que je trouve réussi et très drôle et qui est une sorte de parodie de la bande annonce des Dents de la mer mais cet épisode pose un problème. C’est le seul de la série que nous ne pouvons pas diffuser pour le moment car il y a un problème juridique. L’artiste qui l’a réalisé est un artiste connu et il se trouve qu’il a un agent qui ne nous autorise pas la diffusion. C’est assez ridicule car il n’y a aucun aspect financier dans cette aventure ! Nous espérons donc trouver une solution à l'amiable très prochainement. 

 

C. : Et justement, que prévoyez-vous au niveau de la diffusion ?
W.H : On envoie les films en festival pour le moment. Notre responsable passe la moitié de son temps à ce travail. Il y a des festivals qui traitent particulièrement du handicap mental, puis des festivals d’animation et des festivals généraux, notamment de courts-métrages. Il y a eu une diffusion lors du festival La fête du cinéma au Palace, un festival qui montre des films d’atelier. Nous ne les avons pas mis en accès libre sur Internet pour l’instant.
Ce serait bien entendu formidable que les films soient diffusés au musée Art et Marges…
À bon entendeur ! (rires)

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