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Autre Chose de Cathy Mlakar et Jean-Paul De Zaeytijd

Publié le 01/01/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Si l'homme est respectable c'est d'abord comme être vivant plutôt que comme seigneur et maître de la création: première reconnaissance qui l'eût contraint à faire preuve de respect envers tous les êtres vivants. Claude Lévi-Strauss.

Autre Chose  de Cathy Mlakar et Jean-Paul De Zaeytijd

Quelque chose, le premier court métrage de fiction réalisé par Cathy Mlakar et Jean-Paul De Zaeytijd, nous parlait de nos rapports avec les animaux (Philémon et son rapport ambivalent avec les mouches, passant de l'affection à la destruction).

Autre chose nous parle de notre propre animalité. De la chair animale à la chair humaine. On y retrouve Philémon, l'homme-enfant, et sa soeur Claudia autour d'une table, face à face, devant des assiettes quasi vides de nourriture. Claudia est-elle autre chose qu'une mouche pour Philémon? ( beau plan où la caméra épouse le point de vue d'une mouche en vol). Ou simplement un cafard? Va-t-elle subir le même sort que l'insecte qu'elle écrase sous le nez de Philémon? Va-t-elle être mangée par Philémon, innocent, pas très civilisé (c'est ce qui fait son charme) et qui a une faim de loup ? Nous n'arrêtons pas de nous censurer, de nous méfier de notre animalité, cette part irrationnelle qui est en nous et que nous n'arrivons pas à gérer (les Bororos, Nambikwara, Kwakiute et autres tribus primitives y arrivent grâce à des rituels adéquats). De l'avantage du bricolage (la pensée sauvage ou mythique) sur le concept (la pensée rationnelle ou scientifique). La sexualité est sans doute la part d'animalité que nous laissons le mieux s'exprimer dans les limites du rituel du corps à corps amoureux.

 

Autre chose ne nous emmène pas seulement dans la relation d'amour/haine que se vouent un frère et une soeur et qui ressemble davantage à un rapport mère/fils (métaphore des relations ambivalentes qui se jouent entre hommes et femmes); il ne nous montre pas seulement à quel point ces pulsions contradictoires sont proches l'une de l'autre, complémentaires, mais nous conduit plus loin encore : dans la tentation du cannibalisme. C'est quoi le cannibalisme? La fusion ultime? Digérer l'amour dans la haine? L'absolu de la pulsion létale : je t'aime, je te tue? L'inverse de la sexualité (au lieu de créer la vie on produit la mort et en la digérant on en efface toutes les traces)? 

Et l'on revient immanquablement à Quelque chose, le précédent film, qui interrogerait notre attitude de maître ("On disait que je serais Bon Dieu et que mes créatures se rebellaient. On disait que je serais un monstre"), de prédateur vis-à-vis du genre animal, et pour la plupart d'entre nous, de cuisinier ordinaire de la chair animale. (On peut toujours se consoler en observant avec Claude Lévi-Strauss que le cuit est une transformation culturelle du cru tandis que le pourri en est une transformation naturelle, certes !).

Philémon est une machine désirante et digérante. Il a la perversion polymorphe des enfants, l'innocence des commencements ou des recommencements (on ne sait trop si dans les deux films on est dans une après-catastrophe nucléaire ou sur une île déserte). L'un des charmes du cinéma de Mlakar/De Zaeytijd est qu'on ne vous explique rien, que le non-dit a plus de valeur que le dialogue, qu'on filme le langage des corps, ses borborygmes et ses renvois. C'est un cinéma qui joue sur notre animalité refoulée et en fait surgir de curieuses figures, de curieux entrechats, et puis, comme dans toutes les fables, il y a une morale à découvrir.

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