Cinergie.be

Cathy Mlakar, scripte

Publié le 01/11/1996 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Métiers du cinéma

Raccord, mon beau souci

Tout le monde a entendu parler des scriptes sans savoir de quoi il s'agit. Avec ce premier volet d'une série d'entretiens sur les métiers du cinéma, cinergie lève le voile sur une profession essentielle pour la continuité et la cohérence d'un film. Scripte, Cathy Mlakar, a co-réalisé plusieurs films dont, en 1995, Si Bondié vlé et Quelque chose, une expérience qui lui permet de comprendre mieux encore le rôle de chacun dans la confection d'un film.

Cathy Mlakar, scripte

Cinergie : En quoi consiste le métier de scripte?
Cathy Mlakar
: La scripte a la responsabilité de la continuité des séquences. Elle surveille les raccords afin d'éviter qu'un élément injustifié n'intervienne entre deux plans qui n'ont pas été tournés en même temps mais qui seront reliés l'un à l'autre au montage. Par exemple un imper qu'on enlève dans une scène alors que l'acteur l'a déjà enlevé dans la scène précédente! La scripte pense toujours au plan d'avant ou d'après alors que tout le reste de l'équipe ne pense qu'au plan qu'on tourne.
Les mauvais raccords sautent toujours aux yeux dans un film monté. Il en va autrement dans la réalité du tournage, quand le tournage d'un plan est séparé du plan suivant de deux semaines voire plus. On est toujours à la merci d'un mauvais raccord, c'est pourquoi il faut se protéger au maximum, prendre des notes, des polaroïds, ne pas être paresseuse et se dire que c'est un détail ou que l'on s'en souviendra au moment de tourner le plan suivant.

 


C. : Sur un tournage, pendant les prises de vues, on voit, près de la caméra, un directeur photo, un cadreur, un assistant. Et puis il y a une scripte qui est littéralement scotchée à la caméra, pourquoi?

C. M. : C'est vrai qu'elle n'est jamais très loin de la caméra mais aussi du réalisateur.
Un film est découpé en séquences, qui sont elles-mêmes découpées en plans. Sur le tournage d'un long métrage, rares sont les réalisateurs qui savent à l'avance les plans qu'ils vont tourner. C'est sur le plateau qu'ils décident avec l'aide du cadreur et de la scripte des plans nécessaires à chaque scène. La scripte est là pour l'aider à trouver le bon raccord entre chaque plan. Tel plan ne sera pas montable avec le plan qui précède.  Parfois, un geste ou un regard ou une parole auquel le réalisateur n'avait pas pensé permettra un raccord plus fluide d'un plan à l'autre. On est là aussi pour lui proposer de faire un plan de coupe si l'acteur n'est pas au meilleur de son jeu : tourner par exemple un plan rapproché lorsque deux acteurs ont une longue tirade à dire d'une traite et qu'ils " savonnent " ; plutôt que d'avoir un plan dont on est pas sûr qu'il tient la route du début à la fin, mieux vaut le doubler avec un gros plan où l'un des deux pourra à un certain moment être hors champ. C'est une solution de plus pour le montage.

 

C : Quelle est l'importance des raccords ?
C. M.
: Outre les " détails qui tuent " (exemple bien connu de la montre qui apparaît au poignet de Jules César dans un film antique), la scripte doit vérifier plusieurs types de raccords. Le plus élémentaire est le raccord de continuité : le foulard du personnage doit rester rouge et identiquement noué à son cou d'un plan à l'autre. Une règle d'usage veut que l'entrée d'un comédien ou d'un objet dans le cadre se fasse du côté opposé à sa sortie dans le plan précédent. Un acteur qui sort par la droite du cadre devra dans le plan suivant entrer par la gauche, sinon il donnera l'impression de rebrousser chemin. On peut appeler cela l'axe de déplacement. Au cours d'un dialogue, deux personnes croisent leur regard. La scripte doit s'assurer que le personnage de gauche regarde en direction de celui de droite et réciproquement. Quand on les isolera en gros plan il faudra toujours respecter cette direction des regards sinon on aura l'impression qu'ils se sont déplacés ou que le regard s'est déplacé vers autre chose. Dans le jargon, nous appelons cela l'axe de regard.

 

C. : Si on ne fait pas cela, que se passe-t-il?
C. M.
: On induit un effet différent. Le personnage regarde dans le vide et bien sûr cela peut répondre à une intention délibérée : il est ailleurs, on l'isole de son interlocuteur, c'est peut-être l'amorce d'un plan subjectif, d'un flash-back. Ces sautes d'axes, quand elles ont un sens, passent très bien, sinon elles sont ressenties comme une faute qui gênera le confort du spectateur : le changement de plan n'apparaîtra plus " naturel " et il décrochera du récit. Par contre une " bonne " saute d'axe peut provoquer un effet de choc, changer le point de vue, donner un nouveau sens à une scène.
Afin d'éviter de figer l'action dans un axe ou un coin du décor, il existe des trucs pour "sauter les axes" sans problème : un travelling par exemple ou un plan de coupe. Dans une scène à trois personnages, on peut jouer avec les points de vue, passer d'un point de vue objectif à un point de vue subjectif en épousant le regard d'un des protagonistes sur les deux autres, l'objectif de la caméra devenant l'oeil du " regardeur ".

 

C. : Et le raccord de rythme ?
C. M.
: Au cinéma, on ne tourne pratiquement jamais des plans dans la continuité d'une histoire pour différentes raisons : les décors ne sont pas disponibles, les comédiens sont rarement présents pendant les trois mois que dure le tournage et puis on gagne du temps en tournant à la suite tous les plans d'un même axe parce qu'il est déjà éclairé. Par exemple, on tourne le plan d'une personne courant à un certain rythme dans un couloir et entrant dans une pièce. Et le plan suivant, où on le voit pénétrer dans la pièce vue de l'intérieur, sera tourné dans un autre décor deux semaines plus tard. Il ne suffit pas de dire au réalisateur que l'acteur courait, il faut retrouver le rythme exact de sa course, la différence de rythme serait difficilement récupérable au montage. Quand ce cas se présente, j'essaie de mémoriser le rythme de la course en la refaisant moi-même et j'y colle une musique, parfois ça marche! Cela dit, les réalisateurs savent très bien jongler avec tous ces interdits.

 

C.. : Qu'est-ce qui est le plus important dans le métier de scripte ?
C.M
. : En fait, la scripte a des responsabilités vis-à-vis de tout le monde ! Vis-à-vis de l'équipe technique : je dois savoir qu'on a fait tel plan au 50 mm, qu'on avait employé tel filtre, etc. C'est important, mais pas la partie la plus passionnante du métier. Pour moi une bonne scripte n'est pas seulement celle qui peut rappeler à tout moment la hauteur caméra du plan au cadreur mais plutôt celle qui peut l'aider à trouver une solution à un problème de cadrage. La scripte travaille également en étroite collaboration avec le cadreur pendant la mise en place du plan, c'est-à-dire l'emplacement de la caméra. Le réalisateur choisit un angle de prise de vue pour filmer la scène. Parfois il sait exactement ce qu'il veut, parfois il faut chercher avec le cadreur. C'est la partie de mon travail que je préfère. On peut suggérer de faire un tel mouvement de caméra plutôt qu'un plan fixe, etc. Par principe, je n'interviens que si j'ai mieux à proposer, mais ça ne m'empêche pas de chercher toujours! Le métier, c'est aussi voir si le jeu des comédiens est juste et s'inscrit dans les intentions du scénario et du réalisateur, si on croit au personnage. La scripte a encore des responsabilités vis-à-vis du réalisateur, auquel elle sert fréquemment d'aide-mémoire. Enfin, vis-à-vis du directeur de production, pour qui il faut faire un compte rendu quotidien du tournage, ainsi qu'un rapport horaire détaillant tout ce qui a été fait pendant la journée de tournage. Combien de pellicule utilisée aujourd'hui? A combien de minutes du film somme-nous? Aurons-nous assez de pellicule d'une telle sensibilité ? Tous ces détails ont leur importance : en cas de sinistre, le directeur de production fera valoir le rapport de la scripte auprès des assurances.

 

C : Existe-t-il plusieurs conceptions du rôle de la scripte ?
C.M
. : Le métier de scripte est né à l'époque où les réalisateurs amenaient leur propre secrétaire sur le plateau. Elles notaient tout pendant les réunions, le découpage du scénario, etc. Ensuite, ils les voulaient sur le plateau. Elles ne s'occupaient que de ce qui était technique, pas vraiment de l'aspect artistique ni du jeu des acteurs. A l'époque, le métier était plus passif, je crois. La scripte devait chercher sa place au sein d'une équipe. Aujourd'hui elle est devenue la complice du cadreur et du réalisateur.
Quand j'étais étudiante, certains de mes profs nous disaient qu'on aurait à se battre avec un réalisateur en perpétuel désaccord avec nous, avec le cadreur qui veut déplacer un objet raccord sous prétexte qu'il prend trop de place dans le cadre, avec le perchman qui est toujours dans nos pieds, avec l'assistant-réalisateur qui trouve qu'il y a déjà assez de monde comme ça sur le plateau...
Finalement, il est rare que cela se produise. Je n'ai jamais eu à me battre pour connaître une information, pour faire respecter une certaine continuité. Il y a toujours moyen de s'arranger en évitant les débats longs et pénibles et souvent inutiles.

 

C. : Comment font les réalisateurs pour travailler sans scripte ?
C.M
. : Ils font des faux-raccords et cela se voit! Dans de très bons films, j'ai vu des comédiens qui n'avaient pas le même imper d'une scène à l'autre! Naturellement, un faux raccord n'a jamais fait rater un film.

 

C. : Ce n'est pas important, le cadre ?
C.M
. : Si, mais le cadre, c'est l'outil d'un point de vue : c'est comment tu vas raconter ton histoire. Un film, ce n'est pas seulement des images bien construites, c'est une histoire et des personnages pour les raconter. J'ai fait pas mal de films où je trouve qu'il y avait toujours un problème à la mise en place. Souvent les jeunes réalisateurs installent leur caméra et y placent les comédiens. C'est plutôt le chemin inverse qu'il faut faire, ne pas coincer des comédiens dans un cadre, ça se voit et c'est bien dommage. Le point de vue devient hybride. Je trouve que le cadre doit être plus fluide, plus souple.

 

C. : Est-ce que la technique ne prend pas trop de place pendant le tournage d'un film ou dans l'image tout court ?
C.M
. : Tout dépend du réalisateur et de ce qu'il veut avantager. Il y a des réalisateurs qui ne connaissent rien à la technique. Quand, à quarante ans, Pasolini tourna son premier film Accattone, il ignorait qu'il existait des objectifs différents ou ce qu'était au juste un panoramique. Mais son ignorance de la technique était contrebalancée par un sens aigu de la narration.

 

C. : Est-ce qu'une scripte peut se laisser aller à ses émotions sur un plateau de tournage ?
C.M
. : Le plus dur dans ce métier est de ne jamais se laisser prendre par le jeu des comédiens. Cela m'a joué quelques tours quand je faisais des émissions avec les " Snuls ". C'était très dur de rester concentrée! Je me suis également laissée piéger une fois sur un film. C'était inattendu. Le jeu des comédiens était splendide et émouvant. On s'est tous arrêtés de travailler, les comédiens nous offraient une scène superbe, mais avec tout ça j'ai oublié les gestes qu'ils faisaient, ce sont des choses qui arrivent. Une bonne scripte doit pouvoir gérer ça aussi pour avoir toujours un oeil sur les comédiens, un oeil sur le texte, un oeil sur les gestes, un oeil sur les mouvements de la caméra, si le travelling est parti au bon moment. Cela fait pas mal de choses à contrôler. C'est là que le métier de scripte prend tout son sens!

Tout à propos de: