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Jean-Paul De Zaeytijd, directeur de la photographie

Publié le 06/02/2009 par Antoine Lanckmans et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Métiers du cinéma

Directeur photo de films de fiction, mais aussi réalisateur de documentaires (Si Bondié VléEnfants de vaudou), Jean-Paul De Zaeytijd a un parcours intéressant, au moment où le jeune cinéma belge se développe, dans le monde entier, avec Eldorado (Bouli Lanners) ou Voleurs de chevaux (Micha Wald) dont il fut le chef op’, mais aussi au moment où le cinéma documentaire, grâce au numérique, revit ou vit une autre vie.

Entretien.



1. Usage de la pellicule

Cinergie : La recherche d’une lumière juste par rapport au choix du réalisateur, que ce soit en studio ou à l’extérieur, est-ce cela le principal travail du chef opérateur ?
Jean-Paul De Zaeytijd: Le travail du directeur photo est de s’occuper de l’image. Au départ, il y a une connaissance technique au niveau de la lumière. Il faut savoir évaluer la quantité de lumière suffisante pour impressionner la sensibilité d’une pellicule particulière ou d’après une caméra pellicule, voire une caméra numérique. Le travail du directeur photo est de comprendre ces phénomènes-là.

C.: Que préfères-tu, la lumière du studio que tu crées ou t’adapter à une lumière extérieure qui impose davantage ses règles ?
J-P.D.Z 
: J’ai tendance à dire que la lumière naturelle est souvent ce qu’il y a de plus beau. Mais la grosse difficulté dans le cinéma, ce qui est délicat, c’est que, lorsqu’on doit travailler sur une seule scène pendant deux jours, la lumière naturelle va inévitablement varier. En cours de route, d’un plan à l’autre, il va y avoir de grosses différences. Il peut pleuvoir le matin et le même ciel peut nous offrir du soleil l’après-midi. C’est donc compliqué. Par contre, en intérieur, en studio, à l’abri des éléments variables de la lumière du jour, nous disposons de lumières électriques ; ce qui permet de travailler dans la direction qu’a choisie le réalisateur et de maintenir la même lumière tout au long de la scène.
Ce n’est pas moi qui choisis, je dois m’adapter aux souhaits du réalisateur par rapport à l’histoire qu’il veut raconter. Je suis très ouvert lors de ma lecture du scénario. Au départ, il faut penser le moins possible à la technique. Il s’agit de comprendre les intentions du réalisateur, ce qu’il veut exactement. Il s’agit d’utiliser les moyens dont on dispose parce que même en extérieur, lorsqu’on est confronté aux difficultés, on peut postposer le plan, attendre que l’averse se termine ou encore passer aux plans d’intérieur en se disant qu’on tournera la scène plus tard.

C. : Comment as-tu procédé pour Eldoradode Bouli Lanners. Le film se déroule en majeure partie à l’extérieur, avec des plans très picturaux. On imagine que tu as beaucoup discuté avec lui avant le tournage ?
J-P.D.Z. : Oui, on a beaucoup discuté. On a vu beaucoup de décors ensemble et, peu à peu, le projet s’est affiné : le type de cadre, le format scope, le fait de magnifier les paysages, de travailler sur des couleurs chaudes pour le ciel et les nuages. Bouli a étudié la peinture à l'Académie des Beaux-Arts, ce qui lui donne ce regard pictural lorsqu'il réalise un film. Il aime que ses personnages soient dans un décor, il a plus de mal à les filmer en gros plan. Par ailleurs, il ne voulait pas tomber dans le réalisme social belge. Il était donc intéressé par l'idée d'obtenir un visuel plus américain. Il s’est inspiré, notamment, des peintures d'Edward Hooper.

C. : Quel est ton travail pour obtenir cette image qui se détache de la réalité, du réalisme social ?
J-P.D.Z :
J'ai essayé de traduire ses intentions techniquement. Nous avons fait le choix d’une pellicule plus saturée, aux couleurs plus chaudes, plus intenses que la couleur normale. Puis, j'ai filtré à la prise de vue, à la caméra. Toutes les images sont filtrées dans une teinte chocolat qui réchauffe l'ensemble des images, leur donne une teinte globale. Ensuite, j'ai essayé de filtrer les nuages, de polariser l'image lorsque c’était possible. Je suis allé assez loin pour obtenir une image qui casse le côté grisâtre que l'on a généralement en Belgique. Enfin, il y a eu le travail en post-production : le travail en laboratoire avec l'étalonneur pour chercher une couleur générale au film en faisant des variations suivant les scènes.

2. Kubrick et Malik

C. : John Alcott, au tout début de Barry Lyndon, joue avec une lumière qui change, à cause des nuages, dans le même plan - une lumière proche de la peinture flamande et hollandaise du XVème siècle. Cela te paraît-il toujours possible ?
J-P.D.Z : Dans Eldorado, il y a quelques plans où l'on joue avec des variations de lumière. Avec Bouli, on adore ça. Si on se rend compte, au démarrage d'un plan, qu'il y a de petits nuages moutonneux permettant une variation, on va essayer d'intégrer cette variation dans le plan. Mais pour en revenir à Barry Lyndon, l'époque est différente. John Alcott, dans cette production de Stanley Kubrick, pouvait envisager ses plans sur plusieurs jours, en attendant la bonne lumière. Tout était préparé : les comédiens mettaient leurs costumes et ils attendaient toute la journée, que « la lumière soit ». C'est évidemment passionnant ! Terence Malik, dans un film comme Les Moissons du ciel, travaille de la même façon. On ne travaille donc qu'aux heures magiques de la journée. Je n'ai pas encore découvert ça en Belgique.

C. : L'équipe image, sur un plateau, c'est souvent quatre personnes : le Chef opérateur (directeur photo), le cadreur, le pointeur et l'assistant image. Comment cela se passe-t-il entre vous ?
J-P.D.Z
: C'est le directeur photo qui gère l'équipe, mais chacun doit collaborer. On travaille ensemble. L'idéal, c’est donc de choisir son équipe, y compris le chef électro et le chef machino. Il est très important d’avoir confiance dans les personnes avec lesquelles on travaille. Cela signifie, si on tourne ailleurs, que je peux lancer une préparation d'éclairage sans être sur place.

3. Caméra, mon beau souci

C. : Sur un film, est-ce que tu préfères être chef op’ ou cadreur ? Il arrive aussi qu'on soit les deux ?
JPDZ
: Dans les documentaires, je préfère être à la caméra. L'équipe est petite, on est en lumière naturelle. Par contre, en fiction, j'ai une préférence pour la lumière, et j'aime travailler avec un cadreur. Cela permet d'avoir du recul sur l'ensemble de l'image.

C. : Sur le dernier film de Micha Wald, je t'ai vu plusieurs fois avec la caméra à l'épaule. Tu étais donc cadreur. Il t'arrive donc parfois d'être les deux ?
J-P.D.Z : Oui, oui ! Pour Simon Konianski, je suis effectivement à la caméra. Je fais les deux. C'est intéressant pour certaines scènes. Dans certaines circonstances, c'est trop de travail de devoir s'occuper à la fois de la caméra et de la lumière. C'est une question de goût. Certains directeurs photos préfèrent les deux, parce que cela leur permet d'avoir une maîtrise complète au niveau du cadre, mais personnellement être à deux ne me dérange pas… pour autant que la collaboration soit efficace.

C. : En ce qui concerne les choix d'optiques, tu les proposes ou elles te sont imposées suivant l'intérêt du réalisateur pour les plans larges ou, au contraire, pour les plans rapprochés ?
J-P.D.Z
: Pour le choix des objectifs et de la focale que l'on va utiliser, cela dépend du réalisateur. Il y a des réalisateurs qui savent qu'avec une optique de 40mm, ils ont la focale idéale pour beaucoup de plans. Mais pour certains réalisateurs, cela reste vague, surtout, lorsqu'il s'agit d'un premier long métrage. Dans ce cas, je fais des propositions en mettant la caméra à une certaine distance et en demandant au réalisateur de venir voir si cela lui convient. S’il veut un plan plus large, je cherche autre chose. C'est une discussion permanente tout au long du tournage. Dans le cas de Simon Konianski, Micha et moi avons fait un découpage que l'on a storyboardé. Je laisse Micha choisir la focale et la position de la caméra en fonction de ce qu’il veut.

C. : Il y a deux styles, l'école Orson Welles, plans très larges (objectif 3mm) ou au contraire des longues focales (objectif 600mm) de l'école Robert Altman. On a ce même genre d'opposition en Belgique, ou est-on dans les focales du milieu ? 
J-P.D.Z
: En ce qui concerne Bouli Lanners, comme il aime inscrire ses films dans des paysages, il aime utiliser un grand angle. Cela ne le gêne que lorsque le personnage est trop près parce que cela entraîne une déformation. On essaie alors de déterminer les distances. On finit par savoir qu'en utilisant une caméra Super-16mm, avec un objectif de 12mm, on ne va pas faire avancer le personnage plus qu'à une certaine distance. Micha avait un choix moins particulier, style grand angle avec une profondeur de champ. Je lui ai donc proposé des options. On avait beaucoup de plans à l'intérieur d'une voiture, deux personnages à l'avant et deux personnages à l'arrière. Il faisait assez sombre, et je ne pouvais pas trop éclairer l'intérieur de la voiture (si j'éclairais trop, on sentait, par rapport au paysage, que cela sonnait faux). Pour couronner le tout, Micha voulait que tous les personnages soient nets. Du coup, on a dû choisir, avec l'assistant caméra, une focale, un diaphragme et une position caméra qui soient les plus efficaces pour obtenir les quatre personnages nets sans trop les éclairer. C'était délicat, parce qu'avec une caméra 35mm, il y a moins de profondeur de champ. C'est parfois très complexe ! Soit je propose au réalisateur de faire un personnage de point sur celui qui parle à l'arrière, et puis sur celui à l’avant (on joue sur des passages de points), soit il faut oublier le plan avec les quatre personnages en même temps et ne les montrer que deux par deux. Il y a des moments où l'on est coincé, et je dois essayer d'adopter une pellicule plus sensible.

4. Erreurs et damnation

C. : Il est possible pour l'étalonnage d'avoir divers types de pellicules ?
J-P.D.Z
: Il y a moyen d'utiliser des pellicules différentes dans une même scène si l'écart n'est pas trop différent sinon, on sent vraiment les ruptures d'un plan à l'autre. Donc il faut trouver des astuces : passer d'un gros plan à un plan large. Cela aide, parce qu'on est distrait par d'autres éléments qui sont dans le cadre et on oublie la différence de grain.

C. : Dans certains films américains on constate (pas dans la même séquence, mais entre elles) des différences de grains, donc de pellicule. On peut, dans une Europe formatée par l'image de la télévision, se permettre ce genre de chose ?
JPDZ : J'ai l'impression que les différences de grain ou de structure, à l'intérieur d'un même film, sont plus courantes qu'avant. Je trouve que c’est intéressant, à partir du moment où cela correspond à des choix artistiques et que cela a un sens par rapport à l'histoire et au film. Cela me fait penser à Paranoïd Park de Gus Van Sant : au milieu du film, on semble être dans la tête du personnage, et tout à coup, on se retrouve dans des images qui sont du super 8, le reste étant en 35mm. Ces moments sont magnifiques. On entre dans l'âme du personnage, et le fait de changer de texture aide à cela. J'aime bien ça chez Van Sant, parce que c'est un vrai choix. 

C: Les repérages que tu effectues avec le réalisateur, tu les effectues avec une DV-cam ou un appareil photo ?C. : Le choix entre la pellicule Kodak ou Fuji s'opère de quelle façon ?
J-P.D.Z : C'est souvent un choix de production. L'une des deux est moins chère que l'autre. Mais personnellement, je démarre toujours à partir d'un choix artistique avec le réalisateur, que ce soit en DV, en HD ou en pellicule. Parfois, on manque de moyens pour réaliser ces choix artistiques. Micha aime le 35mm et le scope, cela a un coût. Il faut pouvoir justifier ses choix auprès du producteur, ce qui n'est pas toujours simple. 
La préparation est très variable. J'utilise les deux, mais il nous arrive de prendre une caméra Super-16mm ou 35mm, afin de faire un essai dans le décor qu'on investit. Cela dépend d'un film à l'autre et d'un décor à l'autre. Cela sert aussi pour le travail du chef électro et du chef machino, genre à quelle hauteur sont les plafonds dans la maison, où va-t-on pouvoir accrocher de la lumière… Avec Bouli, Micha et Stefan Liberski, on filme certaines scènes en petite caméra DV. Par exemple, avec Stefan, on a testé la scène de la fille qui tombe de la voiture. On a pu découper la scène.

C. : Il y a le moment de l'étalonnage voire, avant cela, des rushes ?
J-P.D.Z :
Pour ce qui est des rushes (les scènes qu'on peut voir le lendemain de leur tournage), c'est devenu compliqué. Auparavant, on faisait une projection sur grand écran qui nous permettait de repérer les défauts et les qualités de l'image. Maintenant, nous recevons des DVD, souvent compressés, et ce n'est pas facile d'avoir une idée précise de nos choix. Le contraste peut être totalement différent puisque, au télécinéma, on peut changer totalement le contraste. Le réalisateur peut être déçu en voyant des images différentes de celles qu'il avait imaginées. En tant que chef op’, je dois le rassurer. J'essaie de filmer une charte de couleurs dans chaque décor : cela donne une référence, pour le labo, de ce que je veux faire.

C. : Et au moment de l'étalonnage, une erreur, et tes cheveux se dressent ?
J-P.D.Z :
À l'étalonnage, on peut se rendre compte qu'on a fait une erreur, ou que la lumière n’est finalement pas appropriée, mais il y a moyen d'adoucir l'erreur. Bien sûr, cela ne sera jamais total, on ne fait qu'arrondir les angles. Depuis qu'on travaille en numérique, il y a plus de possibilités d’améliorer qu’avec le système argentique.
L'idéal est de ne pas faire d'erreur lors du tournage. Si on démarre avec une image douce et qu'on termine avec des contrastes, on va avoir de sérieux problèmes. Les nuances de couleurs ne seront plus aussi riches.

C. : D'où le choix des optiques. On ne travaille pas avec des Cooke comme avec Zeiss…
J-P.D.Z :
Absolument. Il faut opérer un choix d'optiques à deux. Je pourrais me dire : j'aime les optiques Cooke, je n'en parle pas au réalisateur, tant pis pour lui, je fais mon image pour moi.
Si j'ai envie, pour obtenir une certaine douceur d'image, de travailler avec des Cooke, j'essaie de faire un essai complet avec des objectifs Cooke et d'expliquer au réalisateur la filière-laboratoire qu'on aura, et ensuite d'aller voir l'essai dans une salle grand public. Suivant le laboratoire, l'image peut aussi être différente.

5. Stars mode d'emploi

C. : Y a-t-il encore une relation avec les acteurs comme au temps des stars ? 
J-P.D.Z : Autrefois, il y avait une starification de l'acteur et l'image y participait beaucoup. On faisait de beau contre-jour, on filtrait, etc. Aujourd'hui, le public est habitué à voir d'autres images, à la télé, avec une petite DV-cam… Le monde a changé, mais cela existe encore pour certains comédiens, plus exactement pour les comédiennes qui imposent leur directeur photo. Elles veulent qu'on éclaire leur bon profil. Personnellement, je n'ai jamais vécu ça. Bouli ne me dit pas quel est son bon profil ! Pour Eldorado, le problème de la maquilleuse s'est posé car lorsque tu découvres ta tête en gros plan sur un écran, tout rouge, en train de transpirer, c'est un choc... Il est évident que les comédiens veulent pouvoir avoir confiance dans leur directeur photo. Ils aiment se trouver beaux à l'écran, c'est normal.

C. : Que penses-tu de la caméra à l'épaule ?
J-P.D.Z :
Je viens du documentaire, donc cela m'est familier. On peut réagir plus vite par rapport à quelqu'un qui se déplace ou qui se lève. Je peux me mettre à la bonne place en étant à l'épaule. Je pense que les réalisateurs sont venus me chercher pour ce côté-là aussi. Bouli ou Stefan Liberski adorent le travail caméra à l'épaule. Ce sont des volontés de réalisation de se dire qu'on veut des plans plus mobiles, une image plus organique, moins stable.

6. Fiction et documentaire

C. : Tu réalises des documentaires. Quel genre d’équipe as-tu par rapport à une équipe de fiction ?
J-P.D.Z : C'est un travail radicalement différent. Le dernier documentaire que j'ai réalisé, on l'a fait à deux, avec une personne qui nous aidait pour nous conduire dans les différents lieux du territoire.
Et surtout, on est confronté à la réalité. Ce n'est plus du tout le jeu du Chef opérateur comme maître de son équipe pour tout créer à partir de rien. On n'est plus dans le milieu clos qui est le monde du cinéma. Quand on fait du documentaire, on peut découvrir un mineur, un scientifique... et ce sont des gens vrais, ils font leur métier et ne savent pas faire autre chose. C'est un tout autre rapport vis-à-vis de l'image filmée.

C. : Tu as un pied dans les deux systèmes ?
J-P.D.Z :
J'aime faire les deux pour rester frais. J'adore la fiction pour le travail artistique et de création qui est passionnant, mais j'aime avoir un contact avec la réalité. Etre seul avec une caméra que je peux déclencher quand je veux, c'est une grande liberté et, c’est très enrichissant, à titre personnel. On est plus dans un rapport à l'autre. Rien n'a été préparé et écrit à l'avance.

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