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Camping du Lac de Eléonore Saintagnan - FESTIVAL EN VILLE!

Publié le 30/01/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

À l’arrivée des premiers jours de l’été, Eléonore prend la direction de l’Ouest pour aller rendre visite à la mer. Un incident technique sur sa voiture la contraint à séjourner dans un camping de la Bretagne rurale et isolée, auprès d’un lac qui abrite récits bibliques et histoires légendaires. Elle y découvre une communauté d’âmes solitaires elles aussi chargées d’histoires et en quête de tranquillité ; tout comme Eléonore qui s’arrange finalement pour prolonger son séjour.

Camping du Lac de Eléonore Saintagnan - FESTIVAL EN VILLE!

"Il y a quelque chose de bizarre, mais quoi ?", cette citation d’Eléonore Saintagnan semble très appropriée pour décrire son dernier long-métrage, Camping du Lac. C’est bien l’impression que véhicule le récit, qui commence in médias res par le départ d’Eléonore, héroïne solitaire qui semble coincée entre réalité et fiction. Puis cette impression se prolonge par son arrivée dans un camping calme et étrange, où le temps s’arrête, comme un village du Far West. Ses occupants y vivent en paix, proches des éléments naturels, des animaux qu’ils élèvent, des arts et des divertissements. Ils ont de commun qu’ils sont tous venus à l’origine pour un séjour et ont fini par s’y installer définitivement. De plus, une douce mélancolie semble les relier entre eux.                          

Eléonore, au fil de ses rencontres et errances, est piquée de mille curiosités et se découvre de nouveaux centres d’intérêt, liés notamment à la nature environnante. Un idéal de vie qui n’est pourtant pas celui de l’épicurisme ou de l’hédonisme puisqu’on nous rappelle que les particules de l’univers ne sont pas éternelles et que la mort est à craindre. 

Ce camping se situe aux abords d’un lac sombre et silencieux, au fond duquel s’épanouit un gigantesque poisson qui, pour cette raison même ainsi que pour ses origines légendaires, est appelé “monstre”. Il serait le fruit d’un miracle à l’initiative de Saint Corentin de Quimper au Ve siècle avant J.-C. : privé chaque jour d’une petite partie de son corps que s’offre Corentin comme repas, le poisson aurait la faculté de se régénérer par lui-même.

De nos jours, l’existence de ce célèbre poisson nourrit l’imaginaire collectif (croiser son regard porterait chance), si bien que touristes, pécheurs et même militaires accourent pour capturer le monstre qui, selon la rumeur, aurait décuplé de taille. Toujours plus nombreux à puiser l’eau du lac, c’est quelque chose de bien plus grand qu’ils annihilent, et qui ne se régénère pas. Dès lors, le poisson devient le véritable symbole des modes de consommation humains, irréfléchis et outranciers. Il cristallise également l’obsession qui motive la pensée et les actions des êtres humains vers une absurde insouciance. Car c’est bien du côté d’une vanité destructrice que la réalisatrice déplace le curseur. 

Eléonore Saintagnan, qui auparavant se consacrait plus volontiers au film documentaire, propose ici un traitement narratif où s’entremêlent réalité, fiction et récits légendaires. Tout en plongeant le spectateur au cœur du microcosme autonome que représente le camping, la réalisatrice opère une mise à distance des personnages qui crée cette étrangeté ambiante : tout ce que l’on sait des personnages nous est révélé par l’héroïne qui assure la narration en voix off, tandis qu’aucun détail n’est donné sur son histoire personnelle. Elle représente plutôt une journaliste en plein reportage, capturant des moments de vie et recueillant des témoignages. De plus, une majorité de plans moyens et larges (notamment au début du film) participent visuellement de cette mise à distance entre spectateurs et personnages. 

On a donc plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation, que suggère une esthétique audacieuse et soignée, étroitement liée à l’histoire au présent de cette femme qui se retrouve accidentellement face à elle-même, mais décide de regarder autour, au cœur de cet inconnu exaltant.

Récompensé par le Prix spécial du Jury Ciné+ au festival de Locarno, Camping du Lac est une œuvre savoureuse par sa discrétion et la pertinence de son propos.

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