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Chance de Effi et Amir

Publié le 11/06/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Filmé entièrement dans la remorque d’un camion, ce docu-fiction signé par les réalisateurs Effi et Amir (Sous la douche, le ciel) raconte l’énième tentative nocturne de quatre jeunes Soudanais, demandeurs d’asile, pour rejoindre l’Angleterre depuis la Belgique. Le temps d’une nuit, entre les murs d'un rectangle en mouvement, ils rejouent leur réalité quotidienne, trop souvent invisible, à l’intérieur de cette boîte noire.

Chance de Effi et Amir

Mais n'est-ce vraiment qu'une nuit ? Avec Chance, le duo de cinéastes nous plonge avec ces quatre protagonistes dans une attente interminable, où le temps s'étire à mesure que l'espace semble se rapetisser et que les corps se recroquevillent ou s'agglutinent. Si eux semblent avoir une certaine maîtrise du temps, il n'en est rien pour le spectateur. La temporalité du film devient de plus en plus floue au fur et à mesure que s’allongent les minutes, et c’est lorsque la question toute simple du "quelle heure est-il?" est habilement évitée que l’on ressent enfin pleinement le vrai poids du temps qui pèse sur les épaules des quatre compagnons, personnifications des centaines d'autres migrants qui vivent quotidiennement ces traumatismes.

Ce que représente brillamment le film, en mêlant les codes de la fiction avec les mises en scène de ces témoignages, c'est en fait l'envers des colonnes de quotidiens, ou des reportages de JT. Une histoire cachée, impossible à capter lorsqu'elle se déroule, mais reconstituée avec une mise en scène saisissante d'humanité autant qu'avec une réalité effrayante. En empruntant aux codes du thriller paranoïaque comme à ceux du film de braquage, les réalisateurs caractérisent aisément et rapidement les quatre jeunes qui seront les moteurs du récit, et des réflexions parcourant le film. Chacun avec leur parcours, leurs raisons, leurs rêves et leurs ambitions, ils vivent cette Chance de manière radicalement différente les uns des autres. Entre longs silences et conversations pour tuer le temps, entre rires et moments de réelle détresse, nous découvrons à travers eux toutes les expériences de ces migrants, entre fuyards et voyageurs.

Et quelles sont leurs véritables motivations ? "Les gens pensent qu'on est là pour les gratte-ciel, la nourriture et les boissons", déclare l'un des Soudanais. Mais la seule chose dont ils semblent rêver vraiment, c'est d'un pays de droits, où la justice n'est pas liée à une liasse de papiers, à une langue ou à un faciès en particulier. Et si certains sujets divisent ces quatre protagonistes, gagner leur autonomie et le respect de leur humanité est le réel but commun de ces personnages fictionnels, inspirés de réels braqueurs de liberté.

Un objectif pour lequel ils sont prêts à faire face à la mort, à endurer les privations, et à tenir bon contre un système les traitant de parasites, quand celui-ci ne les traque pas comme des animaux pour les éjecter d'un État à l'autre. Un sentiment rendu palpable par la mise en scène habile des réalisateurs, la tension insufflée par un travail sur le son remarquable, et enfin le puissant jeu de ces comédiens amateurs, très justes dans leur improvisation.

Une histoire de gens qui nous sont par trop semblables, espérant simplement une vie meilleure et contraints à vivre un enfer pour l'obtenir, parfois jusqu'au bord du désespoir. Une réalité que le film nous renvoie de manière saisissante, transcendée par la force de la fiction.

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