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Charles Habib-Drouot, coordinateur de la Belgian Fantastic Pitchbox Session, lors du 42ème BIFFF

Publié le 10/06/2024 par David Hainaut et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

"Le cinéma belge est à un moment-charnière"

96 projets de films de genre: c'est le nombre record d'ébauches reçues cette année par la Belgian Fantastic Pitchbox Session, dont les auteur.ices - des dix meilleurs projets - ont été conviés à monter sur scène, lors du Festival du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF), face à des jurys. La RTBF et la SABAM y récompensaient deux lauréats*.

Un événement qui en était à sa cinquième édition, coordonné par les Associations de réalisateurs (ARRF), d'auteurs (ASA), de producteurs (UPFF+) et Screen Brussels. Rencontre avec Charles Habib-Drouot, le cinéaste qui chapeautait cette organisation.

Cinergie: Tout d'abord, pouvez-nous expliquer le "pourquoi" de cet événement?

Charles Habib-Drouot: L'idée était de montrer tant au Festival du Film Fantastique qu'aux institutions - comme le Centre du Cinéma -, qu'il y une énorme envie, chez beaucoup, de faire des films de genre: du fantastique à de l'horreur, en passant par des comédies noires. Ce sont des projets souvent difficiles à financer donc, on voulait les mettre en avant, en conviant des professionnels. Et le marché du festival (le BIF Market) était un cadre qui permettait de donner un coup de pouce à l'initiative.

 

C: Et comment vous êtes-vous retrouvé à la barre de ce projet?

C. H-D.: Ça fait plusieurs années que je développe un premier film d'auteur et de genre. Puis, j'étais moi-même candidat de cette Belgian Pitchbox Session lors de la troisième édition, ce qui m'a permis de voir qu'il y avait encore beaucoup à faire. Comme j'ai récemment rejoint le Conseil d'Administration de l'Association des Réalisateurs (l'ARRF), mon collègue Sébastien Petit m'a confié ce «bébé», que je suis heureux de voir grandir. Il y a chaque année plus de projets déposés – c'était même le double, cette fois! -, de plus en plus intéressants, forts et portés par des femmes. Là où celles-ci devaient représenter 20% des projets, il n'y a pas si longtemps, dans un registre qu'on croit dédié aux hommes, elles sont près de la moitié maintenant! Et parmi les dix finalistes, une majorité de projets étaient (co) écrits par des femmes.

 

C: De quoi vous combler.

C.H-D.: Oui! C'est gai de voir que le cinéma belge est en pleine évolution et qu'il y a un nouveau public qui s'empare de thématiques souvent drôles – on a beaucoup de satires noires - , avec un vrai sous-texte social. Alors qu'on pense être dans un pays pas du tout porté sur ces choses-là. Or, même un pur film d'horreur peut proposer un discours sur le monde, le genre servant souvent de métaphore sociétale.

 

C: Pour en revenir à vous: quel est votre parcours?

C.H-D.: Je suis scénariste et réalisateur français, passé par le documentaire, mais qui a envie de revenir à la fiction pour raconter des histoires, pas forcément réalistes. Je suis arrivé il y a neuf ans à Bruxelles, une ville dont je suis tombé amoureux et que je veux filmer. Je me suis rapproché de l'Association des Réalisateurs, avec la volonté de faire bouger les choses pour ma corporation, en imaginant des événements rassembleurs. Car ces métiers, et c'est encore plus valable pour les réalisateurs que pour les auteurs, sont très solitaires. On essaie donc de sortir de cette solitude en créant des synergies, pour que les gens se rencontrent. En somme, de créer des liens pour s'entraider, pour que le cinéma évolue plus vite et plus fort.

 

C: Et visiblement, ça se passe bien.

C.H-D.: Très bien, même! Alors certes, quand on réalise, on reste seul pendant très longtemps, et puis d'un coup, on se retrouve entouré par cinquante personnes. On passe souvent par des difficultés avec les diffuseurs, les producteurs, etc. Mais on a plusieurs combats. Je suis aussi expert à la Commission du Travail des Arts où là, on se bat pour exister socialement, afin que le statut de travailleur des arts puisse être appliqué. Histoire aussi, de se souvenir pourquoi on fait ce métier et pourquoi on raconte des choses.

 

C: Qu'est-ce qu'il y aurait encore à faire, pour ce cinéma belge, selon vous?

C.H.-D.: Quand on a lancé cette Pitchbox il y a cinq ans, c'était un moment où le Centre du Cinéma ne donnait jamais - voire très peu - d'aides aux films de genre. Les réalisateurs et scénaristes râlaient, car l'organe nous disait qu'il n'y avait pas assez de bons projets de genre chez nous. Or si, il y en a, si on demande aux gens ce qu'ils ont sous le pied et si on ne les laisse pas s'autocensurer. Mais aujourd'hui, la croissance du genre est telle dans le monde, que les choses changent ici aussi. La Belgique a longtemps été marquée par un cinéma naturaliste ou de réalisme social, qui a produit des films magnifiques. Mais à présent, on a envie que le cinéma nous fasse rêver, pour qu'on sorte de la réalité pas toujours joyeuse qu'on a sous les yeux, dans notre quotidien. Et c'est un atout pour le cinéma de genre. Car il peut vous divertir, tout en parlant de vous et du monde dans lequel on vit.

 

C: Notre cinéma se trouverait donc à la croisée des chemins?

C.H.-D.: On sent en tout cas qu'on est à un moment-charnière. Le public est là, mais on doit toujours trouver comment l'amener vers nos films. L'idée n'est même pas de réconcilier les gens avec leur cinéma, mais de leur rappeler qu'il y a des films chez nous qui peuvent les passionner. C'est ça qui est fou: on a des œuvres incroyables et passionnantes, mais les gens ne savent même pas qu'elles existent! Les grands succès viennent presque toujours des USA. Pendant que beaucoup de films d'auteur ou de genre se plantent, simplement parce que les distributeurs ne savent pas comment les vendre, les diffuseurs, comment les montrer.

 

C: Pour conclure sur cet événement: en vue de sélectionner les 10 rescapés des 96 projets, les candidats ont été «anonymisés». C'est-à-dire?

C.H.-D: En fait, nous avions deux jurys. Un premier pour la présélection, et un deuxième - avec une réalisatrice, une productrice et un scénariste -, qui ont lu les résumés de cette quasi-centaine de pitchs où là, les noms ont été retirés. Donc, les gens ne savaient pas s'ils lisaient des projets d'hommes ou de femmes, de gens confirmés ou non. Pourtant, les trois jurés sont tombés d'accord sur les dix finalistes, sans hésitation. Alors que dans les autres, il y avait plusieurs noms bien connus du cinéma belge. On avait la volonté, vu ce petit milieu, d'éviter le copinage. Enfin, je n'aime pas ce mot, mais disons, un certain entre-soi. L'anonymisation des projets, c'est aussi quelque chose qu'on veut défendre, dans l'absolu.

 

C: Qu'est-ce qui vous attend, dans les semaines ou mois à venir?

C.H.-D.: Poursuivre ces événements! On vient de faire un atelier jeu et formation face caméra au Festival du Court de Bruxelles (BSFF), et on va faire un speed dating entre scénaristes et réalisateurs au Festival du Long de Bruxelles (BRIFF). Je suis aussi en casting sur mon long-métrage, qui s'appelle "La Sirène et le crocodile". C'est un film fantastique complètement enraciné dans Bruxelles, qui parle des prostituées en vitrine, du parc Maximilien avec des migrants en déshérence. J'ai envie de raconter une fable contemporaine, avec des gens n'ayant plus rien qui commencent à avoir des pouvoirs. J'espère avoir une aide à la production en septembre, en vue de tourner fin d'année prochaine. C'est un premier long avec une dimension d'auteur donc, je ne peux pas me passer du Centre du Cinéma. J'ai envie d'être accompagné par ce guichet, car il débloque tous les autres (Fonds régionaux, coproductions étrangères, etc.). Notez, j'ai déjà eu plusieurs financements par ce biais.

 

C: Preuve que c'est possible, donc!

C.H.-D: Oui! C'est beaucoup de travail de persuasion, car il faut parfois faire sortir des jurés d'un certain âge d'une logique de ce que devrait être le cinéma belge. Avec, pour le genre, des codes qu'ils ne maîtrisent pas toujours. Or, on peut effectivement leur montrer que le cinéma est plus large que ce qu'ils ont peut-être l'habitude de lire!


 

*Lauréats de la 5ème PitchBox Session

PRIX RTBF (17.500 euros): «Gospel», co-écrit par Michael Abay, Nina Bouchard Cheval, Maïa Descamps, Mathieu Mégemont, Toni Isabella Valenzi

PRIX SABAM FOR CULTURE (1000 euros): « Les monstres seront tous anéantis, écrit par Clotilde Colson.

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