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Christian Mesnil à propos des Chemins de Barbara

Publié le 01/09/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Cet été la deux/RTBF, a diffusé L'Amoureuse de Christian Mesnil , dans une copie restaurée image par image par son réalisateur et Michel Baudour, son chef op (grâce au soutien du CGRI.) Le film qui indique d'entrée de jeu : Bruxelles 1969... n'est pourtant pas scotché à l'époque des sixties qu'il transcende facilement. Sans doute à cause de la fascination du réalisateur pour Adriana Bogdan, superbe et mystérieuse, qui interprète le personnage d'Anne Blanc, que la caméra caresse, dont elle capte le regard brûlant et trouble. Anne, solitaire, frustrée sexuellement, au bord de la folie ne cesse de fantasmer une relation amoureuse avec un médecin. Elle croit que sa soeur a une liaison avec ce dernier. En arrivera-t-elle à l'occire pour le posséder? La fin reste ouverte. Malgré le côté bunuellien du film (petit clin d'oeil au maître : la boîte à musique) la mise en scène très plastique de Mesnil l'autorise à ne pas s'en tenir qu'aux plans larges et aux plans américains mais à couper ses plans-scènes de très gros plans.

 

Sans doute est-ce dû en grande partie à la fascination du réalisateur pour sa comédienne qui donne chair à un personnage complexe, prend un plaisir évident à lui donner vie en s'y investissant totalement. Bref, un film qui, comme son thème, n'a pas vieilli : la solitude et l'incommunicabilité dans une société où tout invite à une convivialité de façade. Pour ceux qui auraient raté la diffusion de l'Amoureuse signalons, qu'en fin d'année, avec la collaboration du studio l'équipe, le film sortira en DVD accompagné de nombreux suppléments.
Le dernier film de Christian Mesnil s'appelle Les Chemins de Barbara, un documentaire que vous pourrez découvrir bientôt sur la RTBF et qui s'inscrit dans la série, Brel, un cri et La Saga de la chanson française. Il s'agit du parcours belge de Barbara qui, avant son succès à l'Ecluse, un cabaret parisien de la rive gauche, a vécu ses années de galère entre Charleroi et Bruxelles. Mieux, elle s'est mariée avec Claude Sluys, un Bruxellois et a vécu une vie de bohême dans une ville qui n'était pas encore la capitale de l'Europe. Entretien avec le réalisateur de La Question royale.

Bruxelles-Charleroi-Ixelles

 

Christian Mesnil copyright JMV

Cinergie : Le film évoque une période bien précise des chansons de Barbara ?
Christian Mesnil :  Il y a dix ans que je travaille sur ce projet qui forme une sorte de point d'orgue par rapport à La Saga de la chanson française. Je devais faire le film avec Barbara. Elle voulait le co-réaliser. Elle m'avait dit attendons la fin de ma dernière tournée, puis elle m'a demandé d'attendre la fin de la rédaction de sa biographie. Ensuite elle est morte. Grâce à son frère, j'ai pu prendre connaissance de ses dernières volontés dans lesquelles elle espérait que le film sera achevé. Ce qui m'a frappé, et est très curieux dans les Mémoires interrompus (1) qui ont été publiés, c'est de constater qu'elle parle de la Belgique sur une vingtaine de pages. Alors qu'elle n'en parlait jamais. Sauf dans une interview que j'ai retrouvée, à la télévision suisse romande. Elle ne pouvait pas se dérober puisque la journaliste lui dit qu'elle l'a rencontrée, une quinzaine d'années auparavant à Bruxelles, dans un bar de nuit. Dés lors elle avoue que, pour sa vie professionnelle, tout a commencé à Bruxelles. Je ne sais pas pourquoi elle a voulu cacher cette partie de sa vie. Mon hypothèse est que la famille de son mari faisant partie de la grande bourgeoisie bruxelloise qui était attachée aux convenances. Or Barbara se promenait pieds nus avec des boucles d'oreilles, des robes de gitanes. Ils ont dû se demander quelle était la fille que leur fils avait épousée. Elle a été rejetée par ce milieu. Pour elle cela a été très dur. Elle est repartie à Paris avec son mari. qui a beaucoup fait pour elle, y comprit transporté des caisses aux Halles, pour gagner leur vie. Mais au bout de quelques mois ils se sont séparés à propos de la mise au point du répertoire. Elle lui a dit : « si on n'est pas d'accord sur le répertoire on n'est d'accord sur rien. » Elle voulait chanter Ferré, Brassens, Brel, avec qui elle a tourné plus tard, et lui voulait continuer dans la veine 1900, celle des chansons d'Aristide Bruant. Ce qu'elle faisait à ses débuts avec un ton très sarcastique. D'ailleurs il suffit d'écouter la première chanson qu'elle ait écrite : J'ai troqué mes chaussettes blanches. C'est une description de l'hypocrisie de la bourgeoisie.

 

Les Chemins de Barbara, un film de Christian Mesnil

 

Le film évoque les débuts de Barbara, sa période belge quasi-inconnue.

Mais ce qui m'a toujours fasciné - parce qu'il y a dix ans que j'ai visionné les archives la concernant - c'est l'expressivité étonnante de son visage. Il y des chansons entières comme Gõttingen ou Nantes qui sont filmées en un plan dans un superbe noir & blanc de l'époque. Son visage est un spectacle.

 

C.: Elle passe d'abord par Charleroi ?
C.M. :
Oui, à Charleroi elle fait la connaissance d'Yvan Delporte qui lui en donne l'occasion dans « La Mansarde », un cabaret qui va devenir pendant quelques temps son point d'attache et où elle va pouvoir se perfectionner et parfaire ses premiers récitals, dans un cercle restreint. Revenue à Bruxelles elle y rencontre Claude Sluys qui va devenir son mari. Celui-ci crée dans l'arrière-salle d'une friterie, chaussée d'Ixelles, le « Cheval Blanc. » Elle y chante Bruant, Edith Piaf qu'elle admire et Léo Ferré. L'aventure se poursuit quelques mois. Comme l'explique Claude Sluys : « Je ne sais pas compter, il a fallu fermer. » Son mariage qu'elle a qualifié elle-même de fellinien a eu lieu à la Maison Communale d'Ixelles, qui est l'ancien hôtel de La Malibran. Il y avait peu de monde, hormis les témoins et, comme ils étaient fauchés, il n'y avait même pas un photographe qui ait pu immortaliser l'évènement.

 

La chanson française et la télévision

 

 

Les Chemins de Barbara, un film de Christian Mesnil

 

 

C. : On parle des Chemins de Barbara depuis l'année passée. As-tu rencontré des difficultés à finaliser le film? Le sujet est pourtant original par rapport à tout ce qu'on connaît de Barbara ?
C.M. : Depuis le plan Magellan, la Une/RTBF se prend pour une télé privée. Ils veulent des paillettes. Lorsque j'ai signé le contrat ce n'était pas comme ça. Cela a duré six mois. C'est lourd à porter. Je suis très inquiet sur l'avenir de la télévision publique. J'ai pu terminer le film grâce à de nombreux soutiens, notamment celui du CBA. Et j'en suis heureux car lorsque j'ai organisé des visions on m'a dit que c'était un film très émouvant.

C. : Tout de même on reste stupéfait du peu d'enthousiasme suscité par un projet aussi neuf.
C.M. : On touche aux limites de la télévision, en général. Que voit-on sur le bureau des programmateurs (aussi bien publics que privés) ? Des répertoires avec plein de téléfilms ou de séries américaines. Lorsqu'on vient leur proposer un sujet, ils te répondent : « Oui. Pas mal, mais Barbara ce n'est pas très actuel. » La période belge de Barbara, il est vrai que c'est curieux que je sois le premier a y avoir pensé. Mais je connais ce milieu et la plupart des gens que j'interviewe dans ce film sont des gens de ma génération. Mais que personne ni à la RTBF ni sur une autre chaîne n'y ait pensé prouve un encroûtement et une américanisation qu'on peut voir dans le look et les programmes. Or la chanson française est un phénomène unique (de Trenet à Gainsbourg) et d'ailleurs cette Saga de la chanson française passe dans le monde entier. Le Japon c'est connu mais même au Mexique cela intéresse les gens.

C. : Le film s'achève au moment où démarre la carrière de Barbara en France ?
C.M. :
Oui. En 1965, le public la découvre lors de son premier récital à Bobino et la sortie du LP 33 tours, Barbara chante Barbara. En 1972, avec l'Aigle noir se sera le triomphe.  Au niveau de l'expressivité du regard, de l'être, Barbara représente, un sommet avec Jacques Brel, dans la chanson française. Il y a d'autres voix, comme celle de Brassens mais qui jouent sur un autre registre.

 

Les chemins de Barbara

C. : Pour réaliser Les Chemins de Barbara, tu as mélangé les images d'archives - d'autant plus précieuses qu'elles sont rares sur cette époque de sa vie - et les prises de vues réelles sur les lieux qu'elle a fréquentés et en interrogeant les témoins ?
C.M. :
J'ai suivi la logique de La Saga de la chanson française. Lorsque je cherche les racines, ce sont les lieux. Ici, je ne cherche pas à reconstituer ses origines parisiennes. Je la prends au moment de son arrivée à Bruxelles. Lorsque son père a quitté le domicile conjugal, elle a pété les plombs. Elle avait vingt ans et elle est venue à Bruxelles. Elle s'y est retrouvée seule et quasi dans la misère. Elle se nourrissait de pistolets et de frites qu'elle partageait avec ses copines. J'ai essayé de restituer cette ambiance, j'ai retrouvé des documents notamment une émission belgo-allemande tournée au début des années soixante qui nous montre la place de Brouckère comme elle n'existe plus aujourd'hui. Cette Place a dû les fasciner parce que c'est très bien filmé.

 

Ils ont filmé Barbara dans Quand reviendras-tu, à l'Ancienne Belgique d'une manière exceptionnelle. J'ai complété en tournant dans des rues, notamment dans le quartier des Marolles, qui n'ont pas bougé. Cela n'a pas été simple. Mais Michel Baudour et moi avons pu trouver des solutions. J'ai même trouvé dans les Marolles un café des années cinquante. C'est un gros travail mais je suis content d'avoir pu retrouver l'esprit et l'ambiance de l'époque. Notamment grâce à un film de Luc de Heusch : Les Gestes du repas. Et enfin, j'ai filmé, parce que Barbara en parle au présent, l'Hôtel de ville d'Ixelles où elle s'est mariée. L'ex-Hôtel Malibran n'a pas changé. Comme certains endroits de la porte de Namur, la rue de la Pépinière qui était un endroit chaud dans les années cinquante.

 

Barbara a même passé une nuit en prison. A l'époque on avait besoin d'un permis de travail. Elle a été prise en flagrant délit de travail, et sans papiers, par des flics ixellois. Elle vivait dans un petit hôtel avec son futur mari. Ce dernier avait pris par mégarde ses papiers. Heureusement comme celui-ci était avocat il est allé trouver le commissaire de police en lui disant : « mais c'est ma fiancée que vous avez emprisonnée ! » Le commissaire lui a rétorqué que dans ce cas ils allaient se marier et leur a donné un mois pour publier les bans. Ils se sont mariés rapidement. Elle est donc devenue Belge tout en restant Française !


(1) Barbara, Il était un piano noir, mémoires interrompus, ed. Fayard

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