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CinémaTECH - André Delvaux

Publié le 01/11/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

La fin de l'année sera dominée par la stature du cinéaste André Delvaux. Outre la sortie de Rendez-vous à Bray, dans une version restaurée image par image, dans un coffret de trois disques, une édition sur laquelle nous reviendrons, une série de manifestations vont démarrer à partir du 20 novembre : Expositions, journées consacrées à l'auteur de l'Homme au crâne rasé et au cinéma belge actuel, concerts, concours dont les heureux lauréats pourront gagner une caméra DV.

CinémaTECH - André Delvaux

Le parcours de ces événements est balisée autour d'une gigantesque exposition qui se tiendra Place Flagey qui, se servant comme fil rouge, du cinéma d'André Delvaux, explorera les relations entre le domaine artistique et scientifique. Le cinéma est certes le regard d'un homme sur le monde par le biais d'une fiction mais le septième art se sert aussi de caméras et donc des dernières découvertes dans le domaine de l'optique, passe du support de la pellicule argentique au numérique, enregistre le son via un micro. Là aussi on vit une époque de transition entre analogique et numérique. Sans parler des effets spéciaux qui se multiplient. Par ailleurs, les films vont de plus en plus être téléchargeables via internet. Comment le grand public perçoit-il ces bouleversements ? Pour répondre à une foule de questions que vous vous posez (nous aussi) nous avons réuni quelques organisateurs de cette manifestation organisée par les archives de l'ULB et le DISC : François Frédéric (Disc), Didier Devriese, Fabien Gérard et Aline Duvivier. Table ronde au carré !

 

Cinergie : Avant d'aborder le menu principal, pourriez-vous me dire ce que représente Disc ?
François Frédéric : DISC signifie Centre d'excellence sur la société de la connaissance, ouvert par l'ULB et la VUB à Flagey et qui vise à rassembler en un endroit les activités que font ces universités vers l'extérieur, c'est-à-dire la société au sens large scindée en cinq axes de travail. Un axe orienté vers la communication grand public des sciences et des techniques. C'est le pôle qui va être l'organisateur des stations de l'exposition CinemaTECH à Flagey. Un deuxième axe sera un axe de formation continue vers les associations, les entreprises, voire les particuliers. Il s'agit de la recherche dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication au sens large, relativement pointues et faites en s'appuyant sur le corps enseignant et de chercheurs de l'ULB et de la VUB.
Le troisième axe de travail, c'est la recherche et le développement. La volonté à plus long terme étant de lancer les programmes de recherches multidisciplinaires qui associent les sciences humaines et les sciences exactes. C'est cela la volonté de Disc: explorer des nouvelles voies de recherches multidisciplinaires. Mais surtout qui associe les sciences humaines et les sciences exactes. Ainsi qu'explorer de nouvelles voies dans la recherche.

 

C. : Est-ce que vous faites des recherches, par exemple, sur l'optique, le son, le numérique ?
François Frédéric : Les axes du Disc sont le multimédia, la santé et le bien être et l'éducation. Comme le Disc est tout neuf nous avons surtout repris des programmes de recherches qui démarraient (ou qui ne démarraient pas) dans les universités pour les relancer et les faire aboutir ! Nous avons un projet de la recherche en technologie informatique dure (hard ware) pour tout ce qui est le domaine médical qui exige des calculs très lourds. Dans le domaine du multimédia nous n'avons pas de projets de recherches spécifiques pour le moment, si ce n'est dans un domaine connexe qui est l'information au sens le plus large et là nous avons un projet de recherche en collaboration avec les bibliothèques de deux Universités dans le domaine de la liaison de ressources documentaires entre elles. Actuellement, ce sont les deux projets de recherches qui ont déjà démarré. Le quatrième axe de travail du Disc est la valorisation de la recherche. Nous avons un projet en cours d'élaboration de numériser les archives, en collaboration avec les archives de l'ULB et de la VUB et du Centre Guerre et Société Contemporaine, qui sont rattachés aux archives nationales du Royaume, en développant un logiciel de gestion d'archives : nous passons du papier au multimédia. Ce produit existe et est opérationnel.

 

C. : Pourquoi le choix du cinéma comme thématique de cette exposition ? Comment ce labyrinthe se construit-il? 
Aline Duvivier : Ce sont peut-être les questions différentes : pourquoi Delvaux et pourquoi le cinéma ? Le cinéma parce qu'il est un sujet fort, qui plaît - on essaye de toucher un public jeune et de créer des vocations scientifiques. Et le cinéma est un monde autour duquel il existe tout un monde de technologie et de métiers artistiques. C'est l'implication de ces deux mondes qui nous intéresse.
Fabien Gérard : On dit que le cinéma est fort mais c'est parce qu'il est autour de nous en permanence. Le cinéma ce n'est pas uniquement des films qu'on voit dans les salles, c'est toute une nouvelle technologie justement qui permet d'accéder au patrimoine audiovisuel. C'est grâce à cette technologie que désormais les films d'André Delvaux seront accessibles à tous, comme un roman de Simenon dans une bibliothèque. C'est pourquoi il s'agit du cinéma en tant qu'environnement culturel qui se fonde sur une maîtrise technique en constante évolution. A partir du moment où on parvient à savoir ce qu'on va voir, les repères existent. - et c'est là que la culture cinématographique est importante. Toute une génération peut avoir accès à des images et à des sons qui sont plus intéressants que d'autres. Au départ le cinéma, c'est Hollywood, tout est une série de références de masse. Au-delà de cela, à partir du moment où on s'intéresse au medium en tant que tel, on accède à tout une part de la culture qui, si on la laisse dans le mainstream, reste du domaine de la consommation. Il est plus intéressant de voir un film en salles et ensuite, de le revoir plusieurs fois, parce qu'on approfondit davantage les choses. Je pense que le cinéma d'André Delvaux se prête tout à fait à ce genre d'approche. C'est un cinéma qui demande à être revu, qui demande à aiguiser la sensibilité. Rendez-vous à Bray, le DVD qui sort bientôt a été conçu dans cet esprit là. Les nouvelles technologies aident la création.

 

C. : Le DVD permet donc au public d'être plus créatif et de mieux comprendre la grammaire de l'image? 
Fabrice Gérard :
Les nouvelles technologies aident la création. Mais il faut pouvoir opérer des choix. Comme dit Wenders, trop d'images rend aveugle.
Didier Devriese : Quand on fait la critique d'un medium, quel qu'il soit, quand on apprend à nos étudiants à analyser un article de presse ou une chronique médiévale ou un catalogue de bibliothèque, on leur apprend à décoder non seulement ce que ce langage produit comme résultat, mais aussi la manière dont il a été constitué. À l'aide de ces instruments-là on peut voir quelles sont les pédagogies que l'on peut mettre en place pour un meilleur décodage d'un médium comme l'image. Quand Aline Duvivier évoquait, que l'on apprend à construire un scénario, on apprend aussi à le décoder quand on regarde un film. Il y a un passage de compréhension de la fabrication à l'analyse, qui nous semble très important. Notre vocation en tant qu'institution universitaire, est aussi d'apprendre au citoyen à apprendre...

 

C. : En somme, vous mettez à la portée du public le travail de l'université sur l'image?
Didier Devriese : J'aime bien le mot éducation : une éducation critique du citoyen au langage audiovisuel et au cinéma. L'occasion fait le larron. On a un magnifique fonds documentaire qui est celui des archives d'André Delvaux dans lequel se retrouve à la fois le fonds documentaire, iconographique et toutes les archives permettant, je pense, a priori, de bien comprendre.
François Frédéric - Un des pôles d'activités du Disc est effectivement la communication grand public : l'ouverture du public aux sciences, le rapport des sciences vers le public et le regard du public sur les sciences. On voudrait que les gens puissent parler des sujets qui les intéressent, sur lesquels ils voudraient être mieux informés. On veut des échanges entre les sociétés et les universités. Pour nous, l'exposition est un moyen de montrer ce que pourra être le Disc à l'avenir. Le Disc n'a qu'un an. CinemaTECH André Delvaux est le moment où Disc va effectivement se faire connaître du grand public. Le cinéma était un magnifique prétexte pour redescendre dans ce qu'il y a derrière l'écran, ce qui est caché derrière, mais qui est pourtant indispensable. Même si Delvaux n'avait pas grand chose à voir avec les images digitales, il utilisait quand même une caméra qui fonctionnait selon des principes physiques qui sont propres à toutes les caméras. C'est cela qu'on veut montrer aux gens.

 

C. : Qu'est-ce que les spectateurs vont pouvoir (re)découvrir d'André Delvaux, l'un de nos cinéastes majeur ?
Aline Duvivier : André Delvaux nous permet de montrer de nombreux sujets. L'exposition retrace la fabrication d'un film depuis la naissance de l'idée et de l'écriture du scénario, jusqu'à sa diffusion. Puis tout au long de l'expo il est présent par des petits flashs, dont on va garder le mystère pour que les gens puissent le découvrir. Et puis il y a toute une zone dans l'exposition qui lui est consacrée : on retrace le parcours de ses films, les images de ses tournages, des projections inédites. C'est le fil conducteur.

 

C. : Est-ce que vous envisagez le passé
(caméra blimpées dans des caissons) ainsi que l'avenir : la révolution de la technologie numérique, tant dans l'enregistrement que dans la diffusion ?

Aline Duvivier : On n'aura pas toutes les étapes du passé et de l'avenir. Mais les principales évolutions tant pour l'image que pour le son.

 

C. : Est-ce que vous liez ces techniques aux révolutions artistiques (Nouvelle vague = matériel léger, équipe réduite) ?
Fabien Gérard : L'histoire du cinéma est faite d'avancées techniques. Mais je pense que ce qui se passe maintenant est plus important que ce qui s'est passé dans les années 60. On entre dans un monde tout à fait nouveau. Quand on explique aux étudiants que Nanni Moretti a commencé à réaliser avec l'emploi du Super 8, ils ne savent même pas ce qu'est le Super 8. Depuis 4 ans, le cinéma tel qu'on l'a connu pendant un siècle est en train de basculer dans un autre univers dont les frontières sont encore inconnues.
Frédéric François : La question de l'impact du numérique dans la production cinématographique sera aussi abordée non pas dans l'exposition, mais dans une journée appelée «L'impact de la digitalisation sur la production cinématographique et sur la production audiovisuelle» et tout ce que ça va amener dans le changement dans la façon d'aller au cinéma et de regarder la télévision. Il y a le problème du téléchargement qui aura un impact sur la diffusion de la production cinématographique parce que on pourra avoir des salles de cinéma quasi individuelles où on pourrait télécharger des films que l'on souhaite à la demande et la même chose pour la télévision.
Didier Devriese : Il y a deux autres journées d'études. On organise aussi un colloque qui porte le titre de « deux places s'il vous plaît pour le cinéma com » qui envisage la question de la menace ou de l'opportunité qu'Internet présente pour le cinéma et qui se pose la question du téléchargement, des applications peer to peer, des droits d'auteurs, etc. C'est envisagé plutôt du point de vue de la production/consommation et c'est vrai que ça vient rejoindre la question de la numérisation.

 

C. : Le public est envahit de DVD qui servent de produit d'appel pour vendre tout autre chose. N'y a-t-il pas un problème de choix et de contenu ?
Fabien Gérard : Le DVD est en soi formidable. Mais ce qui fait la richesse des films de demain c'est leur contenu. C'est pour cela qu'il faut étudier les films afin de ne pas livrer un produit qui est perçu comme équivalent. Il est important d'indiquer qu'il y a de meilleurs films que d'autres que certains peuvent être revus avec plaisir d'autres non.
Un autre avantage du DVD, outre le chapitrage, ce sont les sous-titres. On peut regarder un film dans la langue qu'on veut. C'est une façon extraordinaire d'apprendre. De même qu'on peut entrer facilement dans la culture d'un pays. C'est vrai pour l'anglais, l'espagnol, l'allemand.
Il y a énormément de possibilités mais il faut jouer sur la création de repères. C'est ce qui est problématique en ce moment il y a trop d'images au point que les jeunes générations ne parviennent plus à s'y retrouver.

 

C. : En quoi consiste exactement le dossier pédagogique ?


Aline Duvivier : Dans le dossier pédagogique que nous offrons - lequel est téléchargeable sur internet - on essaye de donner l'opportunité aux professeurs de mettre en pratique des données en quelque sorte théoriques. On leur donne la possibilité d'en faire un outil interactif et l'opportunité de faire un petit film sans aucune prétention, que ça soit un film d'animation ou un film tourné sur la base d'un scénario. On explique de A à Z les étapes qu'ils doivent passer pour arriver à faire deux ou trois minutes de film. Donc, ils ont l'opportunité, par ce biais-là, de mettre en pratique toute une série de notions théoriques. Je suis convaincue que c'est en mettant en pratique qu'on les intègre le mieux et qu'on apprend le mieux. C'est un petit dossier qui donne cette opportunité-là au professeur.
Je dois ajouter que le professeur avec lequel on a travaillé sur ce dossier pédagogique a fait en sorte qu'il coïncide parfaitement avec le programme de la Communauté française donc on n'impose pas un produit que les professeurs n'auront pas le temps d'intégrer parce qu'ils devraient répondre à ce dossier pédagogique. Il est tout à fait justifié par rapport à leur programme de prendre du temps dans leurs heures de cours pour réaliser des petits films avec leurs étudiants.
François Frédéric : On a pu constater que le dossier est déjà régulièrement téléchargé. Il est disponible pour tous. Pour en revenir au débat sur la technologie, en voici une qui permet d'offrir gratuitement un travail qui a été fait dans les universités.
Aline Duvivier : Je tiens encore à préciser une chose concernant la faisabilité de ces courts métrages. On s'est posé la question de la disponibilité du matériel. Evidemment on essaie de simplifier les choses, mais il faut savoir que la Communauté française a un service de prêt de matériel. Donc même les écoles qui n'ont pas les moyens peuvent y participer.
François Frédéric : Par ailleurs, nous avons développé un concours en ligne qui donne à gagner des entrées à l'exposition, mais aussi un concours dans l'exposition. Les écoles qui viendraient peuvent gagner un prix spécial école : une caméra digitale. Nous avons trouvé un partenaire privé - Canon - qui nous a offert deux caméras, une pour le prix public et une pour le prix école.
Fabien Gérard : Le cinéma développe et entretient une certaine passivité chez le spectateur, surtout chez les enfants chez qui le texte ne précède plus l'image, sinon la bande dessinée qui offre peu de texte. On essaye, tant bien que mal de les sensibiliser à la sphère audiovisuelle de façon à ce qu'ils comprennent comment les choses se fabriquent, comment est-ce qu'on peut exprimer des idées. Il ne s'agit pas de dire que le cinéma n'est pas seulement un DVD, un objet mais qu'il peut être un outil de compréhension et de création.
Aline Duvivier : Je pense que pour le public jeune, après l'expo, ils comprendront toutes les ficelles qu'il faut tirer pour réussir à faire un film. Quand ils regarderont un film il ne le regarderont forcement plus de la même façon. Ils auront retenu une partie des choses qui se passent derrière la caméra. L'envers du décor.

 

C : C'est essentiel. On a raté une génération, qui s'est abreuvée d'images sans pouvoir choisir ce qui est intéressant ou non !
Aline Duvivier : Il y a une certaine passivité par rapport aux médias. Je pense qu'il y a une facilité, on va vers ce qui est plus accessible, il y a une accoutumance aux choses simples à regarder. Dans notre exposition, Delvaux est présenté de façon attractive et même les spécialistes auront l'opportunité de trouver des choses qu'ils n'ont jamais vu de Delvaux.
Didier Devriese : Il y a aussi chez Delvaux un message qu'on appellera globalement humaniste et qui est le nôtre aussi. Mais on n'a pas envie non plus que cette exposition soit un horrible pensum, c'est aussi une exposition où on a préservé les aspects magiques et où les aspects artistiques sont très présents. Le fonds documentaire est superbe et les images sont vraiment magnifiques, la mise en lumière est très belle. C'est un bel endroit, ce n'est pas un endroit de réflexion sèche et désincarné. C'est quelque chose où on a voulu aussi faire appel aux sens, à la beauté et à la magie.

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