Le Cinéma est garant de toute mémoire Serge Daney
Contre bande des frères Dardenne
L’excellente revue française Contre Bande consacre un numéro à Jean-Pierre et Luc Dardenne, coordonné par Louis Héliot et Frédéric Sojcher. Une passionnante interview, réalisée par les deux coordinateurs, ouvre ce numéro qui revient sur le parcours des deux cinéastes. Il se confirme qu’au départ, le cinéma (via la vidéo) a été pour les Dardenne une exploration de la mémoire. Celle d’enregistrer en vidéo l’expérience du mouvement ouvrier « C’était un moyen de connaître une histoire qui nous échappait auquel nos familles n’avaient pas été directement liées de manière active quand nous étions enfants. C’est une histoire qu’on connaissait mal. » Face aux images pieuses de l’oubli, les Dardenne vont se confronter à l’événement majeur du siècle dernier : la shoah, à la frontière de l’humain et de l’inhumain en adaptant Falsch de René Kalisky. Film crucial dans le passage au cinéma : « On a commencé à comprendre qu’un comédien c’est un corps et une voix qui sort de ce corps.
Et un regard…on n’en avait pas vraiment conscience. »
Ensuite vient la découverte de quelques films phares de la fin des années 80 comme Le Décalogue de krzyztof Kieslowski ou À nos Amours de Maurice Pialat suivi d’un affrontement avec les donneurs de leçon de la profession. Je Pense à vous leur permettra d’en faire l’expérience (quand un film échappe au regard de ses réalisateurs). A moins d’être tyranniques comme Godard et Antonioni, maniaque comme Scorsese, colérique comme Welles, les grosses équipes sont difficiles à maîtriser. Conclusion des frères : travaillons en équipe réduite avec des techniciens qui nous font confiance. (« Si tu ne travailles pas avec des gens que tu connais bien, ce sont des rapports de pouvoir sur un plateau »)
À la question posée par JM Frodon dans Le Monde (en 20002) sur le mystère chrétien et le mystère cinématographique, Luc Dardenne met les choses au point : « Dans mon livre, je ne parle pas de ça ; je parle de résurrection parce qu’on filme un corps et que seul le corps peut ressusciter, d’un point de vue factuel. L’âme on ne la voit pas. Hors contexte religieux. Au cinéma les morts ressuscitent. »
De nombreuses contributions complètent cet entretien plein de rebonds Epinglons celles de Jacqueline Aubenas, Carole Desbarats ainsi que des coordinateurs du numéro, Louis Hèliot et Frédéric Sojcher.
Contre Bande, 14/2005, Les Frères Dardenne, Université de Paris – Panthéon Sorbonne