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Don d'un frère

Publié le 01/05/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Caméra à l'épaule, Michel Baudour propose un cadre à Marian Handwerker, le réalisateur du Don d'un frère. Celui-ci visionne le plan du film sur son écran de contrôle, tandis que Pierre Gordower place des réflecteurs pour renvoyer la lumière sur les deux acteurs qui se font face.

Don d'un frère

"Etes-vous sûr que Paul a été adopté? ", demande Simon Maillard (Olivier Ythier), pull rouge autour du cou sur une chemise à carreaux, face au Dr Sylvestre (Jérôme Anger), veste ocre sur une chemise jaune. Celui-ci le regarde droit dans les yeux et répond : "J'ai eu accès à son dossier". Un cycliste descend la rue et passe dans le champ de la caméra. "Sa mère est morte", reprend Maillard. "La maman de Paul n'est pas morte! ", réplique fermement le Dr Sylvestre, puis après une pause : Aurélie a une leucémie." C'est bien, dit Marian, on peut la tourner. "On se tient prêt! dit l'assistant. "Moteur 60/4 sur sixième" dit le clapman." [dagger]a tourne! - Action!", enchaîne Marian. Les nuages déchirent le ciel. La pluie rebondit sur la toile des parapluies. Coup de vent qui décoiffe le plateau. Le moteur d'un camion démarre. Paul Hymans, l'ingénieur du son, lève les bras au ciel. C'est too much ! Pause.
Nous sommes Chaussée de la Hulpe à Watermael-Boisfort sur le tournage de Don d'un frère, l'un des épisodes de Dr Sylvestre, une série télévisée diffusée par France 3 et RTL. Aurélie est une petite fille atteinte de leucémie. Seul Paul, son demi-frère, que sa mère a abandonné à sa naissance serait susceptible de la sauver en lui faisant don de sa moelle. Le Dr Sylvestre est donc le deus ex machinade ce drame familial.

One Shot

"Lorsque Paul Fonteyne de Saga Films m'a demandé de réaliser l'épisode belge de la série, j'ai tout de suite accepté nous confie Marian Handwerker. C'est une série intéressante parce qu'elle prend en compte des aspects de la vie sociale, psychologique, concrète des gens autour d'un sujet fort : la maladie. Le Dr Sylvestre est amené à approcher, soigner, les gens pas seulement en tant que médecin mais aussi comme psychologue, assistant social, etc. On est dans quelque chose qui est proche de la réalité sans pour autant tomber dans le naturalisme.


J'ai choisi les comédiens avec Patrick Hella, le responsable du casting, à part les deux comédiens récurrents qui incarnent le Dr Sylvestre et son assistante. Avec ceux-ci mon intervention est minimale, je n'ai pas à modifier leurs personnages. Par contre, pour les personnages épisodiques, j'ai la latitude de les faire jouer comme je l'entends à partir du moment où le scénario est respecté. Et ça se passe bien, les comédiens belges sont vraiment très bons. On ne le soulignera jamais assez! "

Master shot

"J'avais envie de partir au Canada parce que j'avais vu des films canadiens tournés caméra à l'épaule, ceux de Michel Brault notamment, nous explique Michel Baudour. Je trouvais que cette façon de travailler en plans séquences offrait un contact direct avec la réalité et qu'on perd lorsqu'on est tributaire de la machinerie. J'adore tourner caméra à l'épaule, c'est une telle liberté! Le contact est différent, on n'est pas lié à une machinerie qui vous coince. On n'a pas un mec derrière soi qui dit : tu descends, tu vas à gauche, tu vas à droite. On ne perd plus les quelques fractions de secondes, les plus importantes d'un plan, celles où se révèlent l'intensité des choses. Ainsi dans Festen tu as des points de vue à la caméra que je n'ai jamais vus dans aucun film de fiction et qui sont des vrais points de vue de metteur en scène."

Sentiment

"Le théâtre ce sont les mêmes sentiments mais dans une autre époque", nous dit Manuela Servais que l'on pourra voir dans Les enfants du jour d'Harry Cleven ainsi que dans Le dernier plan de Benoît Peeters.

"On a toujours travaillé sur l'amour, sur les émotions, sur les sentiments, c'est ce qui m'intéresse et c'est ce que j'ai toujours aimé : la communication des sentiments, la façon de les faire passer. Au fond le cinéma ou la télé c'est la même chose sauf que c'est plus actuel, c'est dans un mode présent, c'est moderne. Donc j'ai envie d'exploiter ce créneau-là. J'aime autant le théâtre que le cinéma, ce sont deux techniques très différentes, j'adore les deux qui sont magiques toutes les deux quand elles sont réussies.

Il y a plusieurs différences entre le cinéma et le théâtre mais la plus importante est sur le plan de l'émotion. Au théâtre, on mène son rôle du début à la fin, on vit soi-même sa propre évolution de l'émotion et du sentiment. On passe par des phases montantes puis d'apogée pour redescendre et encore remonter au pinacle de l'émotion avant de chuter vers une fin magnifique. On mène l'orchestre. Du début à la fin, on est le maître absolu. Une fois sur les planches, c'est toi qui diriges ton émotion, ton public et si tu as fait une erreur tu essaies de faire mieux le lendemain. C'est ce qui fait que beaucoup de gens ne comprennent pas qu'on trouve du plaisir à jouer cent fois la même pièce. Au théâtre on essaie chaque jour d'améliorer des petits détails qui ne seront pas perçus par le public mais qui existent. [dagger]a c'est notre plaisir de peaufiner les sentiments, de mener l'émotion jusqu'au maximum de la justesse qu'on peut atteindre. C'est un grand plaisir qu'on vit : entrer dans la peau d'un personnage, pour le coup c'est vrai!

Au cinéma, on découpe tout en séquences. Il est donc très difficile de trouver l'émotion juste au moment voulu. On tourne une séquence qui est le sommet de l'émotion et puis la prise suivante on est au début du film à un moment où on n'a pas encore vu qui était le personnage ni ce qu'il ressentait ni ce qu'il savait, etc. Donc c'est un art de rentrer directement dans une émotion, ça s'apprend, c'est un autre mental, il faut se conditionner différemment qu'au théâtre, on n'est pas porté par l'évolution, par la structure de la pièce ou de l'écriture, on est porté uniquement par ce qu'on va chercher en soi au moment où on va le chercher et on fait référence à son vécu peut-être plus qu'ailleurs pour trouver l'émotion juste qui convient à ce moment-là dans cette prise-là. Lorsqu'il faut la refaire plusieurs fois ce n'est pas évident car il faut rester sur l'émotion, si possible, plusieurs fois et de la même façon. C'est un art. Il y a des gens qui font ça très bien Moi j'apprends et j'ai besoin de la complicité de toute l'équipe autour de moi tant sur le plan caméra pour me dire les axes, les angles car je ne maîtrise pas suffisamment encore le langage de l'image, que sur le plan de la direction d'acteur avec le réalisateur."

Vécu

"Au théâtre, tu utilises ton vécu pendant les répétitions et puis de répétitions en répétitions tu peux quitter ton vécu parce que tu sais que tu ne travailles plus que sur l'émotion de ton vécu. Tu sais comment fonctionne l'émotion et donc à ce moment-là tu peux retrouver l'émotion juste du personnage et de l'histoire dans lequel tu joues. Par contre, au cinéma, tu es obligé de rester dans l'emprise directe de ton vécu pour saisir l'émotion au moment où elle est là. S'il faut penser à ta mère qui est morte si ça peut t'aider tu vas le faire, tandis qu'au théâtre je me dis comment j'étais quand ma mère est morte il y a deux ans, comment je fais pour retrouver le sentiment, l'émotion dans laquelle j'étais. Je me ressouviens de cet événement et puis après je le quitte, avec plaisir, parce que tu ne peux pas vivre tout le temps, tous les jours, dans la douleur de ce que t'apporte cette émotion.

Dans l'épisode du Docteur Sylvestre j'ai le rôle d'une mère adoptive qui apprend que la mère de l'enfant n'est pas décédée comme elle le croyait. Elle a été obligée malgré elle de mentir à cet enfant. On est dans la problématique du mensonge dans ce téléfilm qui tourne autour du secret. C'est un sujet que j'aime beaucoup. De ces secrets qu'on répète de génération en génération. Si on ne casse pas un jour ce mur de secrets on finit par découvrir des troubles chez chacun des membres de la famille.

Je suis ravie d'être une jeune mère, ce qui m'est rarement arrivé, je suis la mère adoptive d'un enfant de quinze ans. C'est une relation qu'il faut travailler puisqu'on a affaire à un adolescent qui vit lui-même une crise difficile vis- à- vis de son père. Et pour être crédible dans ce rôle on a besoin du regard aimant, aimable et amoureux du réalisateur, de Marian Handwerker en l'occurrence, qui est très attentif à ce que l'émotion soit préservée. On suit le scénario et c'est lui qui va nous nourrir par rapport au fil conducteur de l'émotion et de l'émotivité et je crois que ce que l'essentiel en fin de compte est qu'on préserve l'émotion juste sans tomber dans le pathos."

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