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Entretien avec Vanessa Morgan, auteur et éditrice de Strange Blood

Publié le 22/07/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Entrevue

Bien connue des cinéphiles belges depuis une vingtaine d’années pour ses présentations de séances et de Q&A au BIFFF, à la Cinémathèque et au Razor Reel, Vanessa Morgan est également l’auteur d’une série d’ouvrages témoignant de sa passion pour un cinéma iconoclaste : bizarreries bis et réalisateurs méconnus font partie de son univers. Elle a publié, entre autres, When Animals Attack : The 70 Best Horror Movies with Killer Animals, ainsi que plusieurs nouvelles et romans faisant la part belle au surnaturel. Citons Avalon, Drowned Sorrow, The Strangers Outside, A Good Man, Clowders…

Trois histoires imaginées par Vanessa ont été adaptées en courts-métrages : Strangers (2013, de Philippe Geus), Un homme bien (2013, de Steve De Roover) et Avalon (également connu sous le titre Next to Her) (2015, de Vincenzo De Jonge).
Après avoir rejoint l’équipe du Festival Off Screen en 2017, Vanessa publie aujourd’hui Strange Blood, un recueil de 71 essais en langue anglaise dans lequel divers écrivains, scénaristes et cinéastes spécialisés dans le genre décortiquent leurs films de vampires favoris, des titres souvent obscurs allant du chef-d’œuvre méconnu au nanar atomique.

Cinergie : Peux-tu nous raconter ton parcours professionnel et littéraire ?
Vanessa Morgan : J’ai vraiment commencé à écrire professionnellement, du moins en ce qui concerne les romans, vers 2007. Depuis, j’ai sorti au moins un livre par an, parfois plusieurs. J’ai commencé ma carrière en tant que journaliste freelance, il y a 25 ans, quand je suis sortie de mes études à la VUB. J’ai exercé en tant que journaliste pendant une dizaine d’années pour différents magazines, mais j’ai très vite senti qu’il me fallait autre chose. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire des histoires et que j’ai réellement trouvé ma voie. J’ai commencé avec des romans à la Stephen King et ces dernières années ce sont plutôt des ouvrages sur le cinéma d’horreur, c’est ce qui me plaît vraiment le plus.

C. : Plusieurs de tes histoires ont été adaptées en courts-métrages. Peux-tu nous parler brièvement de cette expérience ? Es-tu contente du résultat ?
V.M. : Ça dépend des courts-métrages. Le premier, Strangers, était une adaptation d’une nouvelle que j’avais écrite, intitulée The Strangers Outside et qu’un jeune réalisateur avait envie de filmer. Il s’agissait d’une production francophone, mais je n’étais pas très contente du résultat. C’était un tout premier film et tout a été beaucoup trop vite, au détriment de la qualité. Je n’avais pas énormément confiance et on voit bien que c’est un premier film, mais néanmoins, pour moi, ça m’a permis de lancer la suite de ma carrière. Ensuite, Steve De Roover, qui est maintenant connu en Belgique pour ses documentaires (notamment Forgotten Scares : An in-depth Look at Flemish Horror Cinema - ndlr), a réalisé Un homme bien, mais ce tournage a vraiment été toute une aventure parce que l’idée de base était d’en faire un long-métrage. Un producteur bruxellois m’avait demandé d’écrire un scénario de vampires spécialement pour lui, ce que j’ai fait. Mais nous avons eu énormément de problèmes de production, mais aussi une véritable paranoïa de la part de ce producteur, qui pensait que je faisais des trucs derrière son dos, ce qui était entièrement faux ! Donc, en fin de compte, ce producteur a complètement sabordé son propre film. Nous avons commencé à filmer les premières scènes et tout à coup, il nous a dit : « Vous êtes tous contre moi, j’arrête le projet ! » Steve avait déjà filmé quelques scènes et, voyant qu’on n’en faisait rien, il a réussi, quelques mois plus tard, à récupérer les rushes et il en a fait un court-métrage. C’était presque un miracle qu’il ait réussi à tirer quelque chose de ces quelques scènes !... Ensuite, il y a eu un court-métrage intitulé Avalon, que j’avais écrit simplement parce que j’avais envie d’avoir un court-métrage avec mon chat dedans. J’avais écrit un livre sur mon chat, qui a fini par jouer dans deux courts-métrages. Il s’agissait d’un scénario que j’avais écrit en un ou deux jours, l’histoire d’un homme âgé qui vient rendre visite à sa femme dans une maison de repos, mais qui commence à perdre la tête. Et la vieille dame voit toujours le fantôme de son chat. C’est à cause de ce chat que la communication dans le couple a été coupée et en fin de compte, c’est également ce chat qui va leur permettre de renouer le contact. Ce court-métrage a reçu plusieurs prix et j’étais vraiment très contente du résultat.

C. : As-tu envisagé de réaliser toi-même une adaptation d’une de tes histoires ? Voire de jouer dedans ?
V.M. : Non, non non ! Jouer certainement pas, je suis beaucoup trop timide pour ça !

C. : C’est paradoxal parce qu’on te connait pour tes présentations de Q&A au BIFFF, tu présentes des séances à Off Screen, à la Cinémathèque, etc.
V.M. : Présenter des Q&A dans des festivals est un peu devenu une habitude. J’ai commencé à faire ça lorsque j’étais encore étudiante et pour moi, l’idée, c’était surtout d’avoir un pass gratuit pour aller voir tous les films ! C’est venu comme ça. Et donc, petit à petit, j’ai continué à le faire. En ce qui concerne la présentation des séances à Off Screen, ils m’ont dit : « Si tu peux le faire au BIFFF, tu peux le faire ici aussi ! » (rires), donc je l’ai fait, mais ce n’est pas forcément ce que je préfère.

C. : Tu as donc rejoint l’équipe du Festival Off Screen en 2017, suite au décès de Wim Castermans. Peux-tu nous parler de cette expérience, de ton rôle dans l’équipe et, peut-être, des festivités à venir pour l’édition 2020 ?
V.M. : Je suis le bras droit de Dirk Van Extergem, disons-le comme ça. Je m’occupe surtout de la programmation et notamment, cette année, c’est moi qui me suis occupée du module consacré à la réalisatrice de films pornographiques, puis de films d’exploitation Roberta Findlay, sur lequel j’avais vraiment insisté et pour lequel j’ai choisi tous les films, en collaboration avec Mike Hunchback, qui est un des collaborateurs réguliers du festival. Ensuite, je me suis beaucoup occupée du module « Death On Film », une idée de Dirk, mais comme j’avais déjà vu tous les films, c’était plus facile. Cette année, j’ai également sélectionné les Offscreenings, autrement dit les nouveautés. Je vais chaque année à Sitges pour sélectionner les films, mais aussi de temps en temps dans d’autres festivals comme Cannes, Strasbourg, le FrightFest à Londres, le Fantastic Fest à Austin, au Texas… Au-delà de la programmation, je m’occupe également du catalogue, j’écris les textes, je supervise la mise en page, je m’occupe du site, de la presse, du ticketing… je fais un peu de tout !

C. : As-tu fait des rencontres via ton travail au BIFFF et à Off Screen, de personnalités que tu admirais et qui t’ont particulièrement marquée ?
V.M. : Quand je rencontre des réalisateurs, je ne fais jamais vraiment le lien avec leur travail, c’est différent. Je ne vois pas la personne que j’admire, je vois juste une personne. Il y a les films d’un côté et la personne d’un autre côté. Avec les Q&A, ça va tellement vite et il y en a eu tellement que, parfois, je me pose la question « Est-ce que j’ai déjà rencontré ce réalisateur ? » Je ne me souviens plus. Comme je suis très timide, pendant les Q&A, je suis totalement dans ma bulle et, en général, je ne me souviens pas très bien de ce que j’ai dit. Par contre, j’aime beaucoup les rencontres où on a l’occasion de parler plus longtemps, parfois de passer plusieurs semaines en compagnie d’une personne, comme ce fut le cas avec Radley Metzger, qui était vraiment génial ou de Tobe Hooper qui était très gentil. L’année dernière, nous avons reçu Enzo G. Castellari, qui était particulièrement adorable. Par contre, avec Sergio Martino, le déclic ne s’est pas fait. Il était très gentil mais il n’y a pas eu cette connexion au point de vue humain. Quant à Roberta Findlay, que j’avais décidé de mettre à l’honneur, c’était une déception parce qu’elle ne m’a pas adressé la parole une seule fois en trois jours. Elle déteste les femmes, déteste leur parler, ne veut rien avoir affaire avec elles…

C. : Tes goûts cinématographiques semblent aller vers des réalisateurs iconoclastes, vers le fantastique et le film de genre en général. Qu’est-ce qui a fait que tu es devenue une si grande passionnée de cinéma de genre ?
V.M. : C’est difficile à dire parce que je pense que j’étais déjà cinéphile quand j’étais bébé. Je ne saurais pas dire d’où ça vient mais j’ai toujours eu cette passion pour l’horreur, pour le macabre. Depuis que j’ai eu l’âge de savoir que ces films-là existaient, j’ai commencé à creuser le sujet. Le cinéma et la littérature étaient sans doute l’option la plus facile pour satisfaire cette fascination. J’ai donc cherché de plus en plus loin, parce que quand on est vraiment obsédé par un genre, on a vite tout vu ! On a vite fait le tour de son vidéoclub ! Donc je suis toujours à la recherche de films obscurs et bizarres. J’adore découvrir un film dont personne n’a entendu parler et me dire « Wow, ça existe ?! » Mais, à part peut-être David Cronenberg, je ne peux pas vraiment dire que j’aime un réalisateur en particulier. Il y en a trop.

C. : Je ne connaissais pas Moonlight Creek Publishing, qui publie Strange Blood.
V.M. : Ah, mais en fait, Moonlight Creek Publishing, c’est moi, c’est ma propre maison d’édition ! Mais c’est tout petit ! C’est une maison d’édition que j’ai créée spécialement pour éditer des livres sur le cinéma. L’idée est d’essayer, à l’avenir, de publier des ouvrages d’autres auteurs. Ce que j’aime beaucoup faire, depuis When Animals Attack, c’est collaborer avec d’autres écrivains. En Belgique, nous avons beaucoup d’écrivains très talentueux, qui ont énormément de connaissances sur le cinéma. Pour mes deux derniers livres, j’ai donc proposé à différents écrivains, scénaristes ou réalisateurs de parler de certains de leurs films favoris. Dans le cas de Strange Blood, il s’agit des films de vampires, mais plutôt des titres très obscurs, des trucs qui vont surprendre les lecteurs ! Tout le monde a donc fait un choix et parlé de ses préférés. Il y en a quelques-uns que je ne connaissais pas et que je n’avais pas vus. L’idée c’était aussi d’essayer de me surprendre. Parmi les auteurs, citons les cinéastes Steve De Roover, Pete Tombs, Olivier Beguin et Gert Verbeeck, les écrivains Daphnis Olivier Boelens, Paul Kane et Hunter Shea, les critiques Anne Billson et Chris Hewson, sans oublier Mike Hunchback, que les habitués d’Off Screen connaissent bien. Pour le texte sur le film Habit, j’avais reçu l’adresse e-mail du réalisateur Larry Fassenden par un ami et j’ai donc pu l’interviewer. J’avais des amis en commun avec Olivier Beguin, qui a réalisé Chimères et c’est donc finalement lui-même qui a écrit tout un essai très intéressant sur son propre film. J’ai également interviewé les réalisateurs de Frostbitten (ou Frostbite), Magnus Paulssen et Anders Banke, que j’avais rencontrés au BIFFF. Par la suite, j’ai souvent croisé Magnus dans d’autres festivals. C’était donc très chouette que ce soit Magnus qui analyse son propre film.

C. : Le vampirisme est-il un sujet qui te passionne en particulier ?
V.M. : Pendant longtemps, je pensais vraiment que je n’aimais pas les films de vampires. Et l’année dernière, Dirk avait proposé un thème sur les vampires pour Off Screen. Il s’agissait de trouver des films de vampires un peu bizarres « pour ceux qui n’aiment pas les vampires ». Au début je n’étais pas trop emballée. Je pensais que le vampire était un peu le monstre-cliché. Et en y regardant d’un peu plus près, je me suis rendu compte qu’il y a énormément de films très étonnants sur le sujet et même que certains de mes films préférés étaient des films de vampires. Prenons Let’s Scare Jessica to Death (1971, de John D. Hancock), avec son atmosphère hypnotisante, c’est un film étonnant, très différent de ce qui se fait d’ordinaire dans le genre. Salem’s Lot (Les Vampires de Salem, 1979, de Tobe Hooper, adapté de Stephen King), est également très intéressant. Sans oubier Nadja (1994, de Michael Almereyda, un film sous l’influence d’Ingmar Bergman, produit par David Lynch), le très underground Nite Owl (1993, de Jeffrey Arsenault)… et plein d’autres films très bizarres avec, entre autres, une voiture-vampire (Ferat Vampire, 1982, de Juraj Herz), un doberman-vampire (Zoltan, le Chien Sanglant de Dracula, 1977) et même un curieux gorille-vampire (Robo Vampire, 1988, de Godfrey Ho) ! Finalement, je me suis dit que ça valait la peine de faire découvrir tous ces films très obscurs aux lecteurs. Ça pouvait donner un livre très varié et très original sur un sujet a priori un peu cliché.

C. : Personnellement, j’aime quand des cinéastes adaptent le mythe du vampire à leur style et à leurs obsessions. Dans The Addiction, Abel Ferrara crée une héroïne vampire pour parler de son addiction à la drogue. Rabid, de David Cronenberg, est une œuvre body-horror qui annonce tous ses autres films. Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch, est un film sur l’errance, comme tous les films de Jarmusch. Dans Blade 2, Guillermo Del Toro rend de leur superbe à des monstres déchus…
V.M. : Exactement, c’est un genre qui contient énormément de films d’auteurs qui, très souvent, parlent complètement d’autre chose que des vampires. C’est un thème que l’on peut facilement utiliser pour aborder d’autres sujets comme l’addiction à la drogue, les histoires d’amour, les problèmes de société. Un très bon exemple est le film canadien Dracula : Pages Of a Virgin’s Diary, de Guy Maddin, un film musical en noir et blanc, construit comme un ballet de vampires, avec des acteurs qui dansent. Le titre est Dracula, mais en fait, c’est un film qui parle surtout des problèmes d’immigration des Chinois au Canada.

C. : La couverture de Strange Blood annonce la couleur : « Offbeat and underrated » (décalés et sous-estimés) : de nombreux films abordés sont effectivement très « à part ». Peux-tu nous citer certains titres que tu aimes particulièrement ?

V.M. : Karmina (1996, de Gabriel Pelletier) n’est pas spécialement un de mes favoris, mais je voulais l’inclure parce que c’est un film culte au Québec, qui n’est vraiment pas connu du tout dans le reste du monde, mais qui a énormément de charme. Je pense également à l’expérimental Ganja & Hess (1973, de Bill Gunn, surfant la vague de la blacksploitation), sans oublier tous les films de vampires de Jean Rollin, comme Requiem pour un Vampire (1972), que j’aime beaucoup, et surtout ceux de Jess Franco comme Vampyros Lesbos (1971), La Comtesse Perverse (1974) ou encore La Comtesse aux Seins Nus (1975).

C. : Jess Franco est un auteur qui a réalisé probablement plus de 30 films mettant en scène des vampires lesbiennes...
V.M. : J’adore Jess Franco, je pourrais regarder ses films tous les jours. Je sais que beaucoup de gens, y compris des cinéphiles, trouvent qu’il est hyper mauvais, l’un des pires réalisateurs de l’histoire du cinéma, mais c’est faux, c’est un grand auteur. Il tournait des films pratiquement sans argent - ce n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire - et c’est vrai qu’il avait cette tendance à abuser du zoom, mais certains de ses plans sont réellement superbes et l’atmosphère de ses films est vraiment unique. Un plan filmé par Jess Franco, on le reconnaît immédiatement, c’est du pur Jess Franco. Après, on l’aime ou on ne l’aime pas, mais il faut vraiment regarder ses films.

C. : Quels sont tes projets dans l’immédiat ?
V.M. : J’ai déjà entamé mon prochain recueil, qui s’appellera Evil Kids, sur les enfants maléfiques dans le cinéma d’horreur. Cette fois, le concept du livre sera un peu différent. Les différents rédacteurs ne vont pas parler de leurs films préférés, je vais plutôt essayer de faire un livre exhaustif sur le sujet. On pourra vraiment y trouver tous les films sur les enfants méchants ou maléfiques. Ce sera très vaste mais avec des textes plus courts. On parlera notamment de films en provenance du Cambodge, des Philippines, des ersatz turcs de L’Exorciste, etc. Les lecteurs vont pouvoir découvrir des titres étonnants, ils verront qu’il n’y a pas que Who Could Kill a Child ? (Quien puede matar a un Niño ?, 1976), qui est un peu le mètre-étalon du genre. Il y a énormément de choix, c’est un genre beaucoup plus varié qu’on ne le croit.

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