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Entrevue avec Christian Van Cutsem pour L’Envol

Publié le 14/02/2025 / Catégorie: Entrevue

 

« J’ai la chance de faire un métier privilégié qui me donne l’occasion de rencontrer des gens qui ne me ressemblent pas »

Après la Fondation Jacquemotte, institut de formation politique, économique et sociale, et de recherche sur l’histoire du mouvement ouvrier, Christian Van Cutsem a travaillé pendant 30 ans au Centre Vidéo de Bruxelles (CVB) en tant que réalisateur et animateur cinéaste d’ateliers. Ce qui lui a permis de travailler avec des publics différents. Mordu par les questions de comment rendre les gens libres, autonomes et indépendants, il a toujours estimé qu’il fallait lier le culturel et l’artistique avec le social. Devenu réalisateur indépendant, Christian Van Cutsem continue à diriger des ateliers et faire ses films.

Entrevue avec Christian Van Cutsem pour L’Envol

Cinergie : Qu’est-ce qui vous a motivé, donné envie de réaliser le film L’Envol ?

Christian Van Cutsem : J’ai d’abord été invité par les formateurs à venir pendant leur module de formation sur l’écriture et le tournage d’une lettre intime de trois minutes. Et j’ai été soufflé par ce système d’atelier que j’ai toujours préconisé, parce que c’est un cadre assez simple qui permet aux gens de réaliser quelque chose collectivement tout en se dévoilant et en mobilisant leurs propres connaissances. J’y ai découvert le plaisir que les gens ont à se mettre ensemble, même pour apprendre à s’exprimer, ce qui m’a donné envie d’en faire un film. J’en ai parlé aux formateurs, qui ont accepté et qui ont décidé de me présenter aux participants de la formation. Même s’ils me connaissaient déjà, ça a quand même été un petit combat, étant donné qu’ils sont dans une année pour obtenir un brevet, et ils ont eu des parcours scolaires assez chahutés, et ils ne se connaissaient pas nécessairement dans l’école. En plus, ils ont beaucoup de choses à faire en peu de temps, et là, il y a un vieux qui vient avec sa caméra, évidemment, ils se posent des questions.

Pour finir, j’ai pu filmer lors d’un autre atelier qui était simplement une petite initiation pratique, qui n’a évidemment rien à voir avec ce qui se fait dans les écoles de cinéma. C’était d’ailleurs le même cadre que la lettre intime. Mais pour cet atelier, on pouvait avoir des films de vingt ou vingt-cinq minutes.

 

C. : Ce n’était pas une rencontre facile au début ?

C.V.C. : Oui et non. Facile parce que je suis assez sociable, mais les médias endossent un rôle qui n’est pas toujours très bien interprété. Ils viennent souvent voler des informations sans rencontrer les protagonistes. En revanche, moi, en général, quand je fais un travail documentaire ou un atelier, je passe deux à trois mois de repérage, sans caméra, et c’est là que j’inverse la relation. Ils ont bien compris que je faisais autre chose, que je venais donner la parole à d’autres personnes, et apposer un regard bienveillant ou critique, mais toujours dans un grand respect.

 

C. : Il vous a fallu combien de temps pour faire ce film ?

C.V.C. : Avec le repérage et le tournage, on va dire trois mois et demi. Ensuite il y a eu le montage, qui a duré beaucoup plus longtemps parce que je n’ai pas de grands moyens. J’ai fait appel à Marie Pynthe pour le montage, ainsi que pour l’écriture de synopsis et de scénarios qui, finalement, prennent plus de temps que le tournage, et qui me fatiguent à mon âge. En plus, il y a une lassitude qui s’installe parce qu’il faut passer par des commissions. Comme j’ai plutôt le statut de travailleur social et culturel, et cinéaste d’atelier, je ne suis pas là pour filmer mon nombril, j’ai du mal à me mettre en avant. C’est pour ça que je filme les autres et que je les mets, eux, en avant.

 

C. : Est-ce que les intervenants ont vu le film fini ?

C.V.C. : Ils l’ont vu à un stade où on peut dire que c’était un film déjà achevé, mais auquel il fallait encore apporter des améliorations en prenant les critiques en considération. C’est l’avantage de ne pas devoir le sortir pour un patron. Mais le désavantage, c’est que ça a traîné, notamment parce que le CFA a mis un peu de temps pour s’associer au travail. Le film n’est ni une demande ni une commande, mais le CFA est partie prenante parce qu’il envoie des invitations et se reconnaît tout à fait dedans. Mais j’ai gardé mon indépendance.

 

C. : Vous avez eu des retours de leur part ?

C.V.C. : Oui, j’attends encore les retours du 16 février, mais c’est très positif. Cependant, c’est toujours le même souci : ils se demandent en quoi le film peut intéresser les autres. Et je dois leur dire qu’ils ne se rendent pas compte à quel point c’est intéressant. Précisément parce que, souvent, ces paroles, voire ces réalisations vidéo ou photographiques, manquent, c’est un peu le morceau du puzzle manquant dans la société. Et, pour moi, c’est pour ça que la société ne va pas toujours très bien. On doit donner plus de clés aux gens pour pouvoir avoir leur place. C’est ça qui m’intéresse : aller trouver des projets et des gens qui peuvent dire des choses de l’intérieur, intéressantes et intelligentes, plutôt que d’aller les chercher quand il y a un fait divers. C’est le coup classique : on va chez les autres quand ça va mal. On doit les traiter comme des citoyens à part entière plutôt que comme des victimes.

 

C. : Est-ce que le fait d’être indépendant et de ne plus être dans une structure a impacté votre façon de faire des films ?

C.V.C. : Oui et non. Maintenant, je dois tout faire par moi-même. Dans la structure du CVB, j’avais la chance de pouvoir me faire assister, mais maintenant je réalise, je filme et je prends le son par moi-même. Par contre, je ne monte pas, non pas que je ne sache pas le faire, mais c’est aussi parce que c’est un boulot collectif. J’ai travaillé avec Marie Pynthe, qui est quelqu’un d’extraordinaire et qui m’a aidé à faire un très beau film.

Sur mon regard, le fait d’être indépendant ne change rien si ce n’est que je dois un peu plus jouer des coudes qu’avant, et me mettre en avant. Je travaille sur des questions collectives, ça m’intéresse beaucoup, ça me rend curieux, et c’est parfois le problème. Il faut savoir articuler le travail individuel et le travail collectif.


L'Envol sera projeté le 16 février 2025 au centre culturel Ten Noey (inscription souhaitée).

Flavie Disy

 

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