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Christian Van Cutsem : Place Pouchkine

Publié le 26/02/2019 par Dimitra Bouras et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Depuis toujours, Christian Van Cutsem allie son domaine professionnel et sa passion : le travail social et le cinéma. Comment ? En faisant non pas des films "sur..." mais des films "avec...". Après une riche expérience au sein du CVB, le réalisateur s'est penché sur une initiative de l'atelier Graphoui : le projet Places Communes. Le concept ? Une caravane-laboratoire qui s'installe dans l'espace public en vue d'aller à la rencontre des habitants vivant près de l'endroit choisi par la caravane.
Pour réaliser son film
Place Pouchkine, Christian Van Cutsem a suivi, pendant cinq semaines, les péripéties de cette roulotte, transformée en studio éphémère de développement photographique, sur la place Pouchkine de Laeken. Chacun est invité à y entrer pour manipuler l'objet photographique, immortaliser ce quartier mais aussi discuter, échanger avec les autres habitants.

Cinergie : Comment as-tu intégré le projet Places Communes ?
Christian Van Cutsem : Je connais les ateliers Graphoui depuis pas mal d'années, notamment Aline Moens qui fait des ateliers comme moi. On a des missions communes comme l'émission Coup2Pouce, pour laquelle j'étais coordinateur, et où Graphoui était très actif. Quand je suis sorti du CVB il y a deux ans, la question était déjà très forte sur le vivre ensemble. Il me semble que c'est une vraie question mais elle est parfois portée par le politique qui a plutôt fracturé notre société. Comme je voulais faire un film autour de ça, je me suis mis à la recherche d'une association, car j'ai beaucoup de respect pour les associations, surtout quand elles mêlent activités culturelles et artistiques et préoccupations sociales. Quand j'ai appris que Graphoui allait proposer à des gens d'un quartier, du côté de Bockstael, de venir travailler autour d'une caravane et de faire du sténopé, je me suis dit que j'avais envie de suivre le processus.

C. : En quoi consiste ce projet ?
C.V.C. : Il s'agit d'une caravane qui a été présente sur la place Pouchkine de la mi-mai à la fin juin 2018. L'idée de Graphoui, c'était d'aller à la rencontre des gens sans nécessairement passer par le tissu associatif mais de directement proposer aux gens des actions autour de développement de photos à la base d'un matériel très simple,: des boîtes de café, de conserve dans lesquelles on fait un petit trou pour permettre à la lumière de passer et de se poser sur une pellicule, comme de la photo argentique sauf que tout le monde peut le faire sur place, soit l'amener chez soi pour prendre des photos. Je trouvais cela très intelligent comme travail artistique de proposer cela à des gens car il s'agissait d'acter et non de tergiverser sur le vivre ensemble. Les gens vivent déjà ensemble, ils se connaissent, parfois ils s'apprécient, parfois pas, mais l'important, c'est d'agir ensemble. Je pense que c'est aussi très bien de la part de Graphoui de leur proposer une petite caravane qui fait un peu cirque, c'est cela qui a attiré les gens. Ils se sont posé des questions autour de cette place publique qui est déjà occupée par des parents avec leurs enfants qui viennent se poser et ils ont été curieux de ce qu'on leur proposait. Ils sont finalement rentrés dans cette caravane, ils ont pris des boîtes, ils ont discuté avec les animateurs et, très vite, ces animateurs photographes et animateurs ont mis les sténopés sur des cordes à linge et au fur et à mesure, les gens découvraient leur travail et étaient fiers de leurs photos au caractère un peu flou et dû à la technique du sténopé. Tout le monde était surpris du résultat, les participants pouvaient aussi voir le travail des autres. Cela a permis d'amorcer des rencontres, des découvertes. Pour moi, c'est fondamental.

C. : L'idée, c'était que les participants fassent une photo depuis chez eux afin de montrer le regard qu'ils ont vers la place.
C.V.C. : C'est jouer sur la diversité des lieux, des vécus, des envies, le plaisir de faire et tout cela est là à Bruxelles mais il faut un moteur. Je pense que la richesse du milieu associatif permet cela à condition de bien réfléchir à l'outil qu'on va utiliser pour que les gens se rencontrent. On peut créer des bases d'une rencontre et d'une création. Comme les animateurs de Graphoui ne poussaient pas spécialement les gens mais jouaient sur la durée, chacun a pu entrer à son rythme, faire des photos. Certains ont mis deux jours pour s'y mettre, d'autres presque un mois. Ce qui explique que chacun a pu apporter, donner quelque chose. C'est du faire ensemble.

C. : Quand as-tu commencé à tourner ?
C.V.C. : J'ai tourné un peu plus que la durée du stationnement de la caravane puisque j'ai commencé à m'intéresser à la fabrication de la caravane, c'est l'amorce du film. Ce qui n'est pas rien car je pense que dans le milieu socioculturel, il y a souvent beaucoup d'idées puis l'action ne suit pas. Je trouve que cela a ajouté de la qualité à la proposition. À partir du moment où des animateurs, des réalisateurs, des photographes construisent leur propre matériel, leur outil, je pense que cela change leur propre perception des choses, leur statut. Chacun met la main à la pâte et à chaque étape de l'animation il y avait une proposition qui faisait que les gens pouvaient donner, chacun à sa manière.

Place PouchkineC. : Une belle expérience humaine.
C.V.C : S'il y a une chose qui m'attire cinématographiquement, ce sont les processus. J'ai déjà été amené à m'intéresser à une pièce de théâtre et le film commence généralement où la pièce de théâtre s'ouvre, quand les comédiens viennent sur scène. Le spectacle vivant est très fort, peut-être plus fort que le cinéma. Il ne s'agit pas de filmer le spectacle mais tout ce qui vient avant, ce que le spectateur n'a pas pu voir, est intéressant selon moi. Qui dit processus dit tâtonnement, doute, fierté d'oser pour les amateurs qui vont, petit à petit, construire le spectacle et qui vont se donner l'occasion de faire. Pour moi, c'est fondamental dans notre société et il me semble que cela manque cruellement. Les gens sont capables de faire des choses et il ne faut pas nécessairement être professionnel pour faire du théâtre ou du cinéma. En Belgique, et ailleurs, il me semble que les cloisons sont trop fortes entre le milieu amateur et le professionnel. Chacun peut apporter des choses au travers de son vécu, de sa sensibilité mais il faut créer des conditions.
Ce n'est donc pas la première fois que je fais un film sur les processus. Dans mon film précédent, Les Invisibles, je parlais des gens qu'on ne voit pas spécialement à la télé mais qui, potentiellement, peuvent donner beaucoup. Des associations comme Graphoui ou autres ont cette faculté de bien sentir ce qui est en jeu pour le moment et comment, au-delà des mots et des discussions, permettre aux gens qui n'attendent que ça.
C'est passionnant de filmer tout cela, il me semble que c'est une vraie démarche documentaire. J'ai dû me faire accepter par certaines personnes plus réticentes à l'image mais comme j'étais là régulièrement, j'ai commencé à papoter, à leur mettre mon micro cravate. C'est seulement dans un premier temps que les réticences sont là. Certaines personnes ne veulent pas être filmées et je respecte ce choix mais je ne me suis pas arrêté à ces refus. C'est souvent en expliquant la démarche et le projet que les gens acceptent plus facilement. La diffusion a permis d'aller plus loin et Graphoui continue ses actions dans le quartier.

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