Cette année, le court métrage Rendez-vous réalisé par Damien Chemin a été sélectionné dans une quarantaine de festivals internationaux et a gagné plusieurs prix. Raison assez suffisante pour faire le point avec le réalisateur. Entretien.
Entrevue avec Damien Chemin à propos de Rendez-vous
Cinergie : Quelle expérience retirez-vous de la présentation de Rendez-vous dans les festivals internationaux ?
Damien Chemin : C'est une grande chance de pouvoir rencontrer le public étranger, particulièrement pour une comédie comme Rendez-vous. C'est intéressant de constater les réactions différentes selon les publics et quels moments provoquent à chaque fois la même réaction. Le comique est marqué par les différences culturelles, et le sens de l'humour n'est pas le même partout. Je pense que la chance de Rendez-vous c'est d'être essentiellement visuel et sensoriel, de sorte qu'il passe assez bien les frontières. Mais, assez clairement, le film fonctionne mieux au Nord, dans les pays de l'Est et dans les pays anglophones. Les latins semblent moins sensibles à ce type d'humour. Cela se reflète d'ailleurs dans les sélections plus rares en Espagne ou en Italie par exemple. A force, j'ai bien dû accepter que mon style est plutôt nordique. Avant d'être confronté aux divers festivals où j'ai eu l'occasion de me rendre, je ne m'étais jamais vraiment posé ce genre de question.
L'expérience des festivals est surtout passionnante du point de vue des rencontres qu'elle permet. En général, vous vous retrouvez tout perdu parmi d'autres cinéastes aussi perdus que vous. Il n'y a pas mieux pour favoriser les échanges, à l'ombre d'une terrasse ou à la chaleur d'une auberge hivernale.
En même temps, c'est l'occasion privilégiée de découvrir des films, des cinématographies, des ovnis invraisemblables. Les festivals provoquent immanquablement de nouvelles amitiés et un salutaire renouvellement d'idées. Ce qui m'a étonné, c'est que les films prennent autant de formes différentes et inattendues. Du coup, ça donne un coup de cravache, parce qu'il apparaît clairement que cette diversité est précieuse et que chacun y trouve sa place. Tout ça aide à mieux se resituer et pousse à laisser son instinct artistique s'exprimer plus librement. On dit souvent que tout a déjà été fait. Personnellement, l'expérience des festivals me fait penser que tout a été fait, sauf ce que vous vous allez faire. Du coup tout est encore à faire pour chaque individu, ce qui est plutôt réjouissant.C : Rendez-vous a un timing parfait pour un court. Vous sentez-vous à l'aise dans ce format?
D.C.: Très franchement, je pense que je ne me sentirai jamais à l'aise dans aucun format. Pour Rendez-vous, j'ai effectivement eu beaucoup de plaisir à travailler sur les nuances dans la durée. Le sujet simple et la trame narrative élémentaire de ce film se prêtaient bien au format court. Le résultat serait certainement soporifique pour un film plus long. Mais sur une durée courte, ça semble fonctionner. Il me semble qu'il est important de prendre le temps dans un court, peut-être plus que dans un long. Mais, je ne me sens pas à l'aise du tout. Demandez à mon monteur (l'excellent Damien Keyeux) qui a souffert courageusement mes angoisses et mes infinies hésitations. Même maintenant, à chaque vision du film, je me pose de plus en plus de questions, ce qui devient insupportable à la longue.
La fabrication d'un film est toujours un processus collectif, qu'on le veuille ou non. Et ici, j'ai eu la chance de bénéficier d'un sens parfait du timing de la part des acteurs et du monteur en particulier. Je leur dois une fière chandelle. Pour ma part, j'ai le sentiment d'avoir seulement à peine découvert le format et j'aimerais l'explorer encore avant de me lancer dans un projet de long. C'est un très beau format du point de vue artistique car il rend très libre. Le problème, c'est qu'il est difficile à diffuser et qu'il n'intéresse personne d'un point de vue commercial. C'est dommage car la fréquentation des festivals m'a démontré qu'il y a de petites merveilles dans ce domaine.
C : Vous avez réalisé votre film avec obstination. Le cinéma est-il une utopie ou une pulsion qui vous fait vivre ?
D.C. : Se sont de grands mots qui font peur. C'est certainement une pulsion. J'avoue que quelque part, il y a dans la fabrication d'un film un aspect de défi qui rend tout ça très excitant. Et la plupart du temps, le fait d'essuyer des revers galvanise votre énergie et votre envie d'arriver au bout. Je crois que le cinéma vous permet de réaliser des rêves, tout simplement. Nous sommes tous à la recherche de la réalisation de nos rêves ou de nos fantasmes. Le cinéma est un moyen concret d'y parvenir. Pour certains, le rêve c'est de remporter une compétition de surf, de voir Machu Picchu ou un milliard d'autres choses. Pour moi, c'est de réaliser des scénarios qui viennent de je ne sais où. C'est assez extraordinaire de voir une idée abstraite se concrétiser sur un écran.
Mais le moment le plus fabuleux pour moi, c'est le plateau. Car c'est là que le rêve prend concrètement forme. Toute une équipe et des acteurs donnent soudaine vie à un songe, comme par magie. C'est un virus aussi car, malgré les nombreuses difficultés, on a toujours envie de recommencer. Je pense que l'attirance particulière du cinéma vient du fait que la réalisation de film consiste en une lutte particulièrement complexe avec la réalité brute pour donner forme à un rêve. C'est parfois pénible, mais c'est aussi particulièrement satisfaisant.