Diego Martinez Vignatti n'est pas seulement un homme chaleureux, c'est un passionné de cinéma. (son « shoot » comme il dit). Sitôt assis devant nous, il nous parle des derniers films sur lesquels il a travaillé (lorsqu'il n'est pas dans une salle obscure, il travaille, lui arrive-t-il de dormir ?) comme chef op. à savoir sur La Bataille dans la cité, le nouveau film que Carlos Reygadas, (Caméra d'Or 2003 avec Japon), tourne en ce moment au Mexique. Diego Martinez Vignatti, est lui-même cinéaste. Il a réalisé Nosostros qui a fait un tabac au Flagey cet automne. Epinglons l'une de ses remarques : on peut faire de grands films à petit budget. Les Frères Dardenne le montrent à chaque fois. On peut réaliser des films qui aient de la personnalité et qui fassent parler de nous. » Ceci étant, il nous conte ses premières et ses dernières aventures.
Entrevue avec Diego Martinez Vignatti, chef op avant de devenir réalisateur
Il ne se souvient plus du premier film qu'il a vu enfant mais du premier film qui l'a marqué, à douze ans, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. « Je croyais voir un film de guerre et j'ai vu autre chose. Je ne pouvais pas conceptualiser, à l'époque, mais j'ai compris que le cinéma représentait plus que le fait de raconter une histoire. Je l'ai senti ». Le film le fascine par sa mise en scène, sa forme : « Je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas d'histoires mais seulement du cinéma. Cela a été une révélation. » Né en Argentine, issu d'un milieu ouvrier dans un pays où le cinéma est très populaire, il s'y rendait trois fois par semaine. C'était d'autant moins cher que pour le prix d'une place on voyait deux films. Le film attendu et en supplément d'un film de série b.
« C'est seulement maintenant que je me rends compte que dans ces films précédents le grand film il y avait des choses extraordinaires. Donc, on était pauvres mais on était cinéphiles. Mes parents l'étaient. Ils allaient tout voir de Fellini aux westerns. Je ne savais pas que je voyais des centaines de films en ignorant qu'ils étaient réalisés par Howard Hawks, John Ford, ou Anthony Mann etc. Le cinéma a toujours fait partie de ma vie ! Par contre prendre la décision de faire du cinéma a été beaucoup plus difficile. Cela a commencé de manière ludique, vers sept-huit ans, je m'imaginais les films en en modifiant certaines parties. Le film que je regardais aurait pu être raconté autrement. Que se serait-il passé si le mauvais avait tué le héros ? Depuis que j'ai commencé à voir des films, j'ai relativisé l'histoire. Le cinéma c'est pas se dire quoi, mais comment ? parce que c'est une vision singulière du monde. Ce qui est important c'est la forme. L'histoire est pour moi anecdotique. C'est pourquoi je trouve que la dictature du scénario est absurde. Je me rends compte que la cinéphilie est un shoot et depuis que je suis né. Et pourtant on rencontre de moins en moins de cinéphiles. La chute de la qualité des films d'aujourd'hui est due au fait que les gens ne connaissent même pas les classiques du cinéma ! Parfois, en salles, on découvre des films tellement mal agencés qu'on se dit que le réalisateur n'a même pas vu un film d`Hitchcock! »Diego termine le secondaire à 17 ans, ayant le privilège de terminer des études de droit à l'Université de Buenos-Aires. Sitôt son diplôme en poche, il quitte l'Argentine pour l'Europe afin de concrétiser ses rêves : faire du cinéma.
Il choisit de ne pas étudier la réalisation mais l'image en partant du principe qu'on ne fait pas une école pour devenir cinéaste mais pour connaître la technique que l'on va utiliser. Il est donc reçu en section Image à l'INSAS. La sensitométrie, la colorimétrie, le labo, le fonctionnement d'une caméra l'intéressent. Débordant d'énergie, il participe en dehors des cours, à une dizaine de tournages de courts métrages. A peine sorti de l'école, il devient le chef op. de Japon le premier long métrage de Carlos Reygadas tourné en 16mm et en scope ! « J'avais participé, auparavant, aux courts métrages de Carlos Reygadas. C'est une histoire merveilleuse, une histoire d'amitié personnelle et cinématographique, une histoire de fidélité et de prise de risque. Tous les deux on croit au cinéma d'auteur, au film comme moyen d'expression. On passe des heures à parler de cinéma. Japon étant un film fauché a été sauvé par le Festival de Rotterdam qui l'a découvert et lui a permis d'être sélectionné et révélé à Cannes. Ce qui est important c'est le regard qu'on porte sur les choses. Et chacun a un regard différent. Comme disait Borges il y a quatre ou cinq thèmes universels, l'amour, la haine, la jalousie, l'amitié, la fidélité. On fait des variations autour de ces thèmes. A l'époque de Japon, Carlos et moi on pensait cela pour réaliser un film avec les moyens ridicules dont nous disposions, des illuminés perdus dans les paysages énormes du Mexique. On ressemblait à une bande de fous en train de tourner un film. Mais nous, on pensait qu'on faisait un bon film et c'est cette croyance qui nous animait. Maintenant, après-coup, on peut conceptualiser tout ça mais à l'époque on le vivait. »
Ensuite il est le chef op. de Comptine de Damien Chemin et entame Nosostros, un documentaire qu'il tourne en Argentine, sur le Tango de la banlieue de Buenos-Aires. Hasard, un an après que le Festival de Rotterdam ait fait connaître Japon, le même festival révèle Nosostros « J'ai été surpris qu'un documentaire, au milieu d'un festival de fiction, qui programme des tas de grosses pointures, soit remarqué ». Si Diego a un discours construit sur le cinéma, il ne l'applique pas sur le tournage de son film. Il avoue avoir tourné avec ses tripes, ne sachant pas à l'avance quel axe choisir. « Je tourne dans un espèce d'état second et après je commence à rassembler les morceaux. Heureusement ils s'assemblent parce qu'ils viennent tous d'un même désir. Un an après je me rends compte de plein de choses notamment que mon film n'allait pas vieillir ». Puis tout s'enchaîne le film est remarqué au festival Cinéma du réel à Paris et est projeté au Flagey où il se taille un beau succès au Studio 5 du paquebot. Le film termine l'année sur des chapeaux de roues en faisant la clôture du festival du documentaire de Montréal.
« Ce que j'ai pu remarquer en parcourant divers festivals est qu'on y voit deux types de documentaires. Des docs qui ressemblent à des tracts politiques, comme si la vie quotidienne des gens n'avaient pas le moindre intérêt, comme si tout le monde n'avait pas des rêves et de désirs, comme si la dignité, la beauté, l'amour ne pouvaient pas exister. Puis un autre type de documentaire qui montre ce qui motive, passionne les gens en dehors de leur quotidien. J'ai l'impression que c'est un genre de film qui ne vieillit pas. » Entre-temps et ensuite il y a la direction de la photo sur les tournages des Hommes de ma vie de Karine de Villers, de Tinja de Rochdy Zem et, à Mexico, de Bataille dans le ciel, le second film que Carlos Reygadas vient de terminer à Mexico. « Le film est tourné dans une des plus grandes villes du monde habitée par vingt quatre millions de personnes et qui a possédé une énergie débordante, qui te prends beaucoup mais donne beaucoup. C'est épuisant tourner là-bas. Un tournage long de treize à quatorze semaines réalisé en 35mm. C'est une coproduction belge puisque le coproducteur est Joseph Rouschop de Tarentula Belgique. C'est très bien qu'il représente la Belgique. » Quels sont les projets de Diego pour 2004? Il termine d'écrire un long métrage de fiction qui intéresse un producteur français. Coming soon.