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Entrevue avec Karine de Villers

Publié le 01/06/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue
Entrevue avec Karine de Villers

"Tout de suite ?", dit-elle avec un air de petite fille contrariée. "Oui, là maintenant !", affirme votre serviteur, avec cet air indifférent qu'affichent les photographes vis-à-vis de leurs modèles. Effarée : "Tu crois ? C'est indispensable? ". S'il y a bien un point sur lequel un photographe est inflexible c'est sur le déclic, comme Freud sur l'inconscient ("la mémoire de l'oubli" selon la formule de Lacan). D'autant que la diminution progressive de la lumière change le " peps " d'un portrait.. Donc, tout de suite ! Se faire photographier, c'est laisser une trace de soi (une figure lumineuse) qu'on ne maîtrise pas. C'est perdre la face - en permettant à l'autre de s'en saisir et de l'embaumer sur une pellicule - pour en retrouver les traces dans les plis du temps. Nous cadrons donc à l'aide de notre Leica le visage mutin de Karine caché à moitié par cette chevelure auburn qui met le bleu de ses yeux en valeur.


Ensuite, après lui avoir donné un verre d'eau, nous mettons en route l'enregistreur, ce qui nous permet de découvrir que, née à Quito, en Equateur, Karine de Villers est arrivée à l'âge d'un an au Danemark. " Le premier film dont je me souvienne est Bambi de Walt Disney, dans lequel la maman meurt et laisse son faon orphelin. Va-t-il être adopté par quelqu'un, va-t-on l'aimer ? Je me rappelle avoir pleuré lorsque j'ai vu Bambi abandonné par sa mère. C'était déchirant ! Le second film qui m'a vraiment marqué est Derzou Ouzala de Kurosawa qui se passe dans les neiges de Sibérie. J'avais sept ans et j'étais sous l'emprise du film. Je me souviens que Derzou Ouzala perdait la vue à la fin du film. Je voulais avoir la même vie que lui. Je voulais prendre ma vie en main comme lui ". La famille de Villers habite à 50 km de Copenhague, près d'un bois. Avant d'aller dormir, Cédric, le père, conte à ses deux filles des histoires de Trolls (que les arbres dissimulent) et d'elfes (qui s'abritent dans des fleurs à clochettes).


En 1969, la famille s'embarque du jour au lendemain pour la Belgique et troque la neige contre la pluie. "On habitait dans un petit appartement rue Washington, à Bruxelles, et j'ai fait la connaissance d'une langue et d'une famille que j'ignorais ". La peinture est l'une des traces récurrentes de sa vie. Elle a permis la rencontre de ses parents. Ses deux grands-pères étaient peintres et le père de sa mère, Sikker Hansen, l'un des artistes les plus connus au Danemark, faisait les affiches de cinéma. " Il avait dessiné l'affiche du film Mowgli pour sa sortie à Copenhague, en s'inspirant de certaines images du Fleuve de Jean Renoir. Ma mère était la fille préférée d'un père qu'elle a perdu à l'âge de quatorze ans comme moi-même je l'ai perdue au même âge. Elle a été renversée par le véhicule d'un homme qui manifestement était saoul et n'a pas vu qu'elle traversait la rue. Elle est restée trois semaines dans le coma et puis elle est morte. A ce moment-là, mon père habitait en France et il est rentré. " La jeune Karine rêve de devenir danseuse " Je me suis présentée à l'Opéra de Copenhague mais quand j'ai vu la vie des jeunes ballerines, j'ai laissé tomber.
Du coup, elle effectue un virage à 180 degrés, s'inscrit à l'ULB et passe une licence en histoire de l'art et archéologie et en anthropologie (elle y rencontre Luc de Heusch), avec la ferme intention d'imiter le style de vie de Derzou Ouzala. Elle part sur le terrain à Madagascar et écrit un mémoire sur les rites de passage des adolescents en Angola et au Zaïre. Ayant brillamment réussi, elle propose une analyse comparative des films coloniaux belges comme sujet de doctorat. Elle se farcit l'ensemble de ces bandes au musée de Tervuren. Patatras ! Elle apprend que deux doctorants suisses travaillent sur le même sujet. Le hasard qui nous conduit à droite ou à gauche, pour reprendre l'image du père Lacan ( " le hasard tisse dans sa répétition notre destin "), la fait rencontrer successivement Thomas de Thier et Henri Sonet. Ce dernier, qui partage son amour de la peinture, lui suggère de filmer ses voisins de la rue Dillens dont elle imite le comportement à la perfection (il y a un devenir de comique genre Muriel Robin chez Karine qui n'est exhibé que pour le plaisir de son entourage proche). Et c'est Je suis votre voisin, co-réalisé avec Thomas de Thier, un film de 21' qui remporte le Prix du court métrage au Festival de Bruxelles et le Fipa d'or à Cannes.


Le couple se sépare : Thomas est attiré par la fiction et Karine davantage par le documentaire. " Jean-Marc Turine, mon oncle, m'a beaucoup influencé dans mon désir de continuer dans cette voie. Il arrivait à faire du cinéma notamment avec Marguerite Duras qu'il invitait à la maison. Et comme il s'occupait énormément de nous, lorsqu'on était enfants, on la voyait. J'avoue que Duras me terrorisait ! " (rires) Karine entre à l'AJC, " invitée par Anouchka Dewarichet, où je rencontre Michel Caulea, Alain Berliner, Yves Hanchar... A l'époque, Anouchka appelait l'AJC "la ruche" parce qu'elle considérait que c'était un tremplin vers le long métrage. C'était vraiment ça l'idée. On était très conscient qu'en mettant nos énergies en commun les choses fonctionnaient mieux. Au moment des tournages, on dormait à l'AJC, c'était très gai ! J'ai beaucoup appris. Anouchka, ayant le souci de bien faire, avait cette particularité de découvrir les gens faits pour travailler ensemble. Ce qui faisait la force de l'AJC est qu'il y avait un mélange de gens expérimentés et non-expérimentés. Et donc, il y avait une transmission de l'expérience des uns vers les autres."


Au CBA, elle débute en travaillant avec Alain de Halleux sur Ces drôles de belges avec ces drôles de films, ce qui lui permet de rencontrer la plupart des cinéastes belges. Elle enchaîne avec la direction de production d'une série de films (Bonmariage, Lehman, Jimenez, etc.) et la réalisation de Place Saint-Josse (1996) et Le Petit-Château (2000), " un film où je voulais être proche des gens que je filmais, ce qui n'était pas simple puisqu'on m'a interdit de tourner pas mal de choses ". Un silence. " Pour Comme je la vois, j'avais écrit l'histoire d'un modèle dans une académie, comme l'a été ma mère. J'ai obtenu le prix de la Scam pour le scénario. Puis j'ai développé le sujet qui s'est centré sur ma mère, uniquement " Ses projets ? " Un Hammam, un sujet très photogénique et qui parle du temps qui passe ", mais botus et mouche cousue ! Coming soon.

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