Cinergie.be

Entrevue avec Olivier van Malderghem

Publié le 01/10/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Dans quelle catégorie se range-t-il ? Les maniaco-dépressifs ? Les paranoïaques ou les schizophrènes ? Les pervers du type Don Juan ? Les obsessionnels du genre Alceste ? Les hystériques, tel Sganarelle ? Est-ce une sorte de Zelig ? Se dissimule-t-il derrière des lunettes noires ? Désolé pour les fondus de profil-type, ou les amateurs de figures de la rhétorique psychanalytique, il n'a pas de lunettes, présente un abord chaleureux, la cinquantaine tranquille, celle d'un homme qui a vécu les dernières années d'un XXe siècle chaotique, tourmenté et le 11 septembre dramatique du XXIe. Olivier van Malderghem ressemble à un mec que nous découvrons vêtu d'une chemise verte genre Melrose Avenue (le coin branché de L.A.) qui s'échappe d'un pull foncé échancré et sans manches, une montre Swatch aux multiples cadrans autour du poignet gauche, un regard plein de malice et un demi-sourire qui s'ébauche lorsqu'il aperçoit le ciel dégagé qui se profile derrière le velux de notre bureau.

 

Né à Montréal en 1951, il arpente à cinq ans les trottoirs de Bruxelles et une petite salle de patronage qui diffuse les courts métrages muets de Charlie Chaplin et de Laurel et Hardy des années 1915. " C'était pour les gosses du quartier qui faisaient la bande son en criant. J'adorais. La seule chose qui m'ennuyait c'étaient les gosses qui en se battant m'empêchaient de me concentrer ". Plus tard, avec son frère aîné, il fréquente le Monty, place Fernand Cocq, y découvre les péplums et les westerns. Nous sommes au début des années 60, The Left-Handed Gun d'Arthur Penn, un film en noir et blanc, laisse une trace vive dans sa mémoire et dans celle des cinéphiles puisque qu'avec Coups de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah, il marque l'entrée du western dans la modernité et le début de sa fin comme genre populaire. Ensuite c'est le ciné-club organisé par un prof au lycée. Nanti très tôt d'une caméra Super 8, le cinéma devient une passion et une vocation. "Mais venant d'une famille d'artistes (une mère peintre) et ayant toujours entendu parler de problèmes d'argent autour de moi, je voulais absolument obtenir une sécurité. D'autant qu'à l'époque il y avait beaucoup d'amateurs de cinéma mais personne n'en vivait. J'ai donc fait la philo à l'ULB en me disant que je pourrais être prof et faire du cinéma en plus."

Pourquoi la philo ? Méditatif, il se caresse le menton. "Je suis un vieux soixante-huitard, j'ai fait la philo sous un angle très politique. J'ai fait un mémoire sur le langage et l'imaginaire (le langage, la politique et l'esthétique). En première licence, j'avais une petite amie mais comme je travaillais beaucoup et que je lisais beaucoup, ce type de vie austère l'ennuyait un peu et elle fréquentait un groupe de cinéastes autour de Marc-Henri Wajnberg qui étaient à l'INSAS - réalisant mon rêve- tout en donnant des fêtes tous les jours. Et naturellement, elle était davantage attirée par ce milieu nettement plus rigolo. Cela m'a profondément, vexé, blessé, humilié."

Du coup, de rage, Olivier se présente aux examens d'entrée de l'INSAS en se disant : puisqu'ils s'amusent tant, moi aussi je vais faire du cinéma ! Il est admis sans problème à l'école que gérait, à l'époque, Raymond Ravar. "Je croyais pouvoir mener de front la réalisation et la seconde licence de philo". Patatras, la chose se révélant impossible, Olivier quitte provisoirement l'INSAS, termine sa licence et son mémoire et y retourne en section montage, estimant qu'il y apprendra davantage la structure filmique. "On apprenait la syntaxe de manière concrète avec Henri Colpi, Albert Jorgensson, Hadelin Trinon. J'étais comme un coq en pâte", n'hésite-t-il pas à nous dire.
En sortant de l'INSAS, il monte Nous étions tous des noms d'arbre d'Armand Gatti, coproduit par les frères Dardenne. En 1983, il réalise la Muette, un documentaire de 45' qu'il remonte sous le titre de Sextuor avec une structure complètement différente, en se servant de la même matière filmique et en tournant quelques séquences additionnelles. Il s'agit du portrait d'une famille et particulièrement d'une mère et de sa fille qui ignore quel est son père. Le film ayant été mal reçu à l'époque, il éprouve le besoin de le retravailler. La même année il réalise un film expérimental de 5' " dans l'esprit des situationnistes ou des Monthy Python."

Enseignant à l'IHECS en philosophie et analyse cinématographique, il rédige une thèse sur L'unité du film, où il examine les figures de la rhétorique qui font qu'un film tient ou ne tient pas. "Une rhétorique qui a souvent recours au schéma du chiasme, une structure cachée ou pas. Si tu veux un champ contre-champ qui est un ordre symétrique inverse est déjà un chiasme."

"La Dérive des continents est un film que j'ai traîné durant de nombreuses années pour des raisons d'argent, puiqu'il s'agissait d'une auto-production et que ça dépendait des fonds dont je pouvais disposer. Le CBA m'avait passé une petite caméra Beaulieu muette à peine plus grande qu'une caméra Super 8, donc très discrète. C'est réalisé un peu comme un journal de bord qui n'a rien d'autobiographique. C'est un genre d'essai ou de poème".
À l'aube du deuxième millénaire, les choses s'accélèrent.

En 1998, il écrit Rondo, un scénario de long métrage qui obtient l'aide à l'écriture du Centre du cinéma de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, et à la réécriture duquel vont collaborer Luc Jabon et Léon Michaux. Le film est en développement chez Saga Films. Le sujet ou le pitch : l'éclatement et la réunification d'une famille juive anversoise pendant les persécutions antisémites de la Deuxième Guerre mondiale.
En l'an 2000, il réalise, l'Arbre au chien pendu, un court métrage de fiction suivi d'Une fille de joie. Avec comme thème récurrent la mémoire et les traces qu'elle laisse (la Muette, Une fille de joie), à la manière d'un photogramme. (Olivier est aussi un photographe ayant travaillé sur les graffitis, les inscriptions anonymes, en Cibachrome). Mais aussi la mémoire comme amnésie (l'Arbre au chien pendu). Il nous signale qu'un livre l'a beaucoup marqué dans son enfance : le Journal d'Anne Franck. " Qu'est-ce qui différencie Anne Franck d'une autre disparue des camps de la mort ? Le fait qu'elle ait laissé une trace. La Shoah est une énigme, le Journal d'Anne Franck invite à réfléchir à ce qui s'est produit. La trace prolonge quelque chose qui a eu lieu. C'est un appel à autrui. Au-delà de la mort on peut peut-être aider autrui."

Tout à propos de: