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Georges Delmote : Festival International du Film Fantastique

Publié le 01/03/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

5 jours à peine après la fermeture de la 25ème édition d'Anima, s'ouvre la 24ème d'un autre monument de la vie culturelle bruxelloise : le Festival International du Film Fantastique, de Science-fiction et de Thriller de Bruxelles. Parler de monument n'est pas exagéré. En Belgique, aucun événement de cette envergure n'est aussi riche de sensations et de rencontres, aussi dépaysant pour le spectateur qui a vraiment l'impression d'être dans le spectacle. Après un quart de siècle d'existence, le festival affiche un bilan impressionnant et une grande vitalité. Il accueille 60.000 spectateurs et s'implique dans des activités multiples et variées: cinéma bien sûr- cela reste sa principale justification - mais aussi invités, expositions, animations, défilé de mode, concours de maquillage... Et la fête, avec l'incontournable bal des vampires. Sur notre site, vous trouverez dans les brèves, une présentation du programme, des invités et des activités. Pour la revue, nous avons eu envie de passer derrière le rideau rouge pour percer le secret de ce succès, cerner ce qui se cache sous cette atmosphère unique. Le moment s'y prête bien puisque le festival fêtera, l'année prochaine, son quart de siècle et qu'il se trouve à la croisée des chemins. En effet, il quittera, pour un an ou deux au moins, le Passage 44 et devra faire preuve d'imagination pour préserver l'esprit convivial qui est sa marque de fabrique. Comment gérer pareille machine sans étouffer dans le gigantisme? Georges Delmote, président de l'asbl organisatrice Peymey Diffusion, a accepté de faire avec nous, en toute franchise, le point sur l'état du festival, à moins d'un mois de son ouverture. Un entretien filmé dont vous retrouvez ici la substantifique moelle.


Cinergie : Pourriez-vous commencer par nous dire deux mots de ces Peï et de ces Meï (hommes et femmes en dialecte bruxellois, d'où le nom de l'asbl Peymey) qui depuis 25 ans sont derrière le festival?
Georges Delmote: Au départ, c'était presque une entreprise familiale, puisque outre notre amie Gigi Etienne, nous étions deux couples de frères et sœurs : Annie Bozzo et son frère Freddy, mon frère Guy et moi-même. Cinq copains qui s'étaient rencontrés à la fin des années septante dans le milieu des maisons de jeunes où nous étions animateurs, et dont les liens se sont concrétisés avec l'envie de créer des organisations originales. Il y a eu des concerts de jazz, les rencontres du cinéma allemand, une semaine du cinéma arabe. Puis il y a eu une organisation autour du thème "60 ans de fantastique en Belgique", dont le succès devait déboucher, l'année suivante, sur le premier Festival du film fantastique. Nous avons encore participé à la mise en route de nombreux projets, comme la Biennale du cinéma italien ou le Festival du cinéma méditerranéen. Nous avons créé un centre de documentation sur le fantastique et le cinéma, et donné, de temps en temps, des conseils, voire un coup de main, à des jeunes organisateurs désireux de lancer leur propre manifestation.

Cinergie (sourire) : Donc, Peymey, ce n'est pas travailler comme des fous pendant trois semaines au moment du festival pour glander le restant de l'année?
G. D. (riant) : On ne peut pas dire ça, non. Après le festival, on est effectivement sur les rotules, mais on ne peut se permettre de ralentir que deux ou trois semaines, sous peine de rater le grand rendez-vous de Cannes. Le reste de l'année, on court pour trouver des films, les invités, préparer la programmation de la prochaine édition. Et puis, il y a le nerf de la guerre. Même si le festival rencontre un grand succès public, il ne pourrait pas vivre avec nos seules recettes. Il nous faut des sponsors et des partenaires.Portrait de Georges Delmote

C : Un financement public, mais aussi un financement privé très important.
G.D.: Ils ne sont pas venus tout de suite, sans doute effrayés par notre face peu conformiste. Il a fallu les amadouer, convaincre de notre sérieux. Aujourd'hui, certain d'entre eux sont des partenaires fidèles depuis des années.
C : Vous avez, à l'égard du sponsoring, une politique unique dans les festivals en Belgique. Vous bannissez la pub de la salle de projection.
G.D.: Là aussi, je pense sincèrement que c'est une politique qui profite d'abord à nos sponsors eux-mêmes. La plupart de nos spectateurs assistent en effet à de nombreuses séances, et subir à chaque fois la même séquence de publicités répétitives finit par avoir un effet contre-productif sur le public. Par ailleurs, nos séances obéissent à un minutage très précis et nous ne pourrions nous permettre de projeter de la publicité en plus des bandes-annonces, de la présentation des films et des invités. Nous essayons de gâter nos sponsors autrement. Ils disposent d'un grand espace sur nos affiches et nos tracts qui sont très largement diffusés partout dans Bruxelles. Le grand hall d'entrée où les gens se pressent pour monter dans la salle, leur offre également de grands espaces. Nous essayons aussi de les associer aux événements et aux activités.

C: Ces activités se sont diversifiées de façon incroyable. A tel point que le spectateur a parfois du mal à s'y retrouver. Comment fait-on pour tenir tout cela ensemble?
G.D.: Au contraire, je trouve que la programmation du festival est très cohérente. Tout participe d'une même atmosphère festive et conviviale pour animer et faire vivre le fantastique. Nous ne nous investissons pas que dans le cinéma parce que, pour nous, le festival, c'est un tout et d'abord une fête. Nous sommes présents dans toutes les activités organisées sous l'appellation du festival mais nous ne supportons pas la même part d'organisation pour chacune. Le Septième parallèle, par exemple, nous associe étroitement aux responsables du Nova pour la programmation, mais ceux-ci prennent en charge toute l'organisation pratique des séances. A l'inverse, pour le défilé de mode de l'école Francisco Ferrer, nous nous occupons de la logistique, mais le programme est pratiquement entièrement proposé et réglé par eux. Pour les expositions, nous nous occupions de tout jusqu'il y a quelques années, mais nous sommes maintenant puissamment aidés par un collectif d'artistes et de galeristes, Brux-Hell, qui prend en charge notamment les expositions dans le bar. Reste le Bal des Vampires que nous tenons à organiser nous-mêmes de bout en bout. C'était notre idée, nous l'avons créé presque en même temps que le festival, nous l'avons fait vivre durant toutes ces années et nous y restons très attachés.

C: Toutes ces activités ont contribué à donner au Festival son atmosphère unique qui est d'ailleurs pour une grande part dans son succès.
G. D. :
On dit généralement qu'on vient passer une soirée au festival pour l'ambiance. Nous prenons grand soin d'accueillir notre public de manière décalée et festive pour qu'il ait non seulement l'impression de venir au cinéma, mais de participer à un événement où il a sa place. La décoration et les animations sont là pour cela. Nos amis du Magic Land sont toujours en bonne place, à l'ouverture, à la clôture et pour le célébrissime rafting sur marée humaine notamment. Chaque jour, nous proposons un spectacle d'animation différent avec diverses compagnies spécialisées. Sans oublier le concours de maquillage  qui permet à chacun de nos spectateurs de se grimer ou de se faire grimer pour une somme modique.Portrait de Georges Delmote

C: Une ambiance dont l'exubérance est bien connue. Votre salle n'a pas la réputation d'être des plus calmes, ni des plus tendres pour les films.
G.D.:
Là aussi je relativiserais, si vous le permettez. Certes, les spectateurs crient, bougent, n'hésitent pas à faire leurs commentaires, rigolent. Cela ne nous dérange pas, tant que cela reste dans des limites acceptables : tant que cela ne tourne pas en chahut généralisé ou en bataille de boulettes de papier ou de gobelets en plastique. Cela fait partie de notre folklore. Souvent d'ailleurs, les spectateurs eux-mêmes se chargent de rappeler à l'ordre les plus impétueux. Et quand un film accroche l'audience, vous entendez la qualité du silence. C'est assez extraordinaire. Ce n'est qu'à ce moment qu'on peut dire si un film est vraiment bon.

C : Cela s'inscrit en faux contre une autre réputation du festival, de ne programmer que des films de série B, voire Z?
G.D. : Faisons la part des choses. Nous sommes un festival de genre, nous programmons donc des films de genre, qui ne sont pas tous d'un haut niveau artistique ou culturel. Mais cela ne veut pas dire que nous programmons à l'emporte pièce. Nous visionnons cinq fois plus de film que le festival n'en programme. Il y a donc une sélection préalable. Nous explorons tous les genres de film, les grosses machines hollywoodiennes, les films commerciaux, les films d'auteurs, jusqu'aux films plus pointus, à la limite du cinéma expérimental. C'est pour ces films plus difficiles qu'a été créé la section Le 7è parallèle au Nova.

C. : D'où viennent ces films et comment fonctionne la sélection?
G. D.: Nous les repérons à l'occasion des festivals. Nous visitons aussi les marchés du film qui accompagnent la plupart des grands événements cinéma. Nous recevons plusieurs centaines de films à visionner sur K7 ou sur DVD. Nous sommes environ 7 sélectionneurs, et essayons qu'au moins un d'entre nous voie chaque film. Il y a ensuite des réunions de sélection où nous en discutons, parfois âprement parce que nous n'avons pas tous les mêmes goûts. Il faut enfin compter avec les impondérables : il faut disposer en temps voulu d'une copie dont la qualité technique soit acceptable (cette année, pour la première fois, nous aurons quelques projections digitales au Passage 44). Parfois, des problèmes de droits surgissent en dernière minute quand le film est acheté par un distributeur et que ses dates de sortie ne coïncident pas avec le Festival. De nombreux films que nous aimerions programmer ne peuvent être obtenus pour l'une ou l'autre de ces raisons.

C.: Cette année, pas moins de quinze films de votre programmation ont un distributeur en Belgique, même si vous ne programmez qu'une seule "grosse machine": le film de clôture, V for Vendetta. Quelles sont vos relations avec les distributeurs?
G.D.: Elles sont bonnes je pense, même si, là aussi, il nous a d'abord fallu convaincre. Les distributeurs belges indépendants comme Belga ont travaillé avec nous dès le départ, tandis qu'avec les grosses firmes américaines, cela a été un peu plus difficile. Aujourd'hui, il n'y a plus de problème. Comme vous le dites, nous avons, cette année, un film fort attendu qui nous est proposé par Warner. V For Vendetta est une adaptation d'une BD à succès produite par les frères Wachowski. C'est un projet qu'ils avaient avant Matrix, et le succès de ce dernier leur a donné les moyens de le produire. Il est sûr qu'après Matrix, on les attend au tournant, même si ce n'est pas eux qui le réalisent. Je pense qu'un festival comme le nôtre a besoin de "grosses machines", comme vous dites. Ce sont elles qui drainent le public. Mais notre programmation se veut un équilibre entre toutes les tendances. Des films plus grand public à 20h30 et 22h30 et plus pointus à 18h30 et à 00h30 bien que nous essayions de dynamiser ces séances qui sont un peu moins fréquentées. Cette année, nous programmons tous les jours un film à 00h30 dans deux séries thématiques les Special X-trême midnight screenings et les Special fant'Asia midnight screening. Il n'y aura plus une nuit du fantastique, mais deux. Nous rajoutons, en effet, une nuit spécialement consacrée aux Masters of Horror, qui démarre à 23h00 jusqu'aux petites heures du matin, et une après-midi consacrée à l'animation japonaise. Autres nouveautés de la programmation : une journée spéciale belge, une rétrospective Oh My God! consacrée à la place du religieux, et plus précisément du fondamentalisme, dans le cinéma fantastique d'aujourd'hui. Enfin, nous avons déplacé la compétition de courts métrages en fin de festival.Portrait de Georges Delmote

C: Quelques tendances pour cette année?
G.D.: Le fantastique se porte bien, au détriment du film de SF, mais aussi du thriller qui, il y a quelques années, menaçait de manger notre programmation. Il se diversifie aussi, et ne touche plus seulement à l'horreur pure. Le cinéma asiatique se taille toujours une large part, mais plus seulement avec le Japon et la Corée; cette année, nous avons des films thaïlandais, vietnamiens... Les films du sud de l'Europe sont moins nombreux qu'avant, l'Espagne notamment, affichait une vitalité insolente. Peu nombreux, les films nordiques sont d'une excellente qualité générale.

C : Et les invités? Ils sont, comme d'habitude, très nombreux mais les grosses pointures se font de plus en plus rares semble-t-il?
G.D.: Nous pouvons quand même compter sur Michael Ironside, Peter Weller, Jaime Balaguero qui sont loin d'être des inconnus ! Mais les stars demandent beaucoup d'investissement. Elles se déplacent en classe de luxe parfois accompagnées d'une suite, logent dans des palaces. Vous savez, notre budget est modeste par rapport aux festivals comparables. Sitges, qui est notre concurrent le plus direct fonctionne avec un budget 2,5 fois supérieur au nôtre. Pour l'année prochaine, nous espérons conclure des accords avec l'une ou l'autre compagnie aérienne qui permettrait de réduire ces frais.

C: Des regrets, des personnes que vous souhaitiez avoir au festival?
G.D.: Pas de regrets. Nous avons quand même été fort gâtés en 24 ans, même s'il y a des rêves impossibles : Lucas, Spielberg... Il y a John Carpenter qui a failli venir à plusieurs reprises, mais il a toujours eu quelque chose : sa maladie, un projet de film... Nous ne désespérons pas.

C : L'année prochaine, le festival devra quitter le Passage 44 qui l'héberge depuis sa création. Des travaux de rénovation très importants seront mis en œuvre dans cette salle. Que va-t-il se passer?
G.D.: C'est effectivement un problème dans la mesure où nous nous sentons parfaitement dans nos murs au Passage 44. Nous espérons bien que ce déménagement ne sera que provisoire, mais reste à trouver un endroit à Bruxelles susceptible de nous accueillir en attendant. Nous voulons autant que possible rester au centre-ville, et nous ne souhaitons pas être hébergés dans un des grands multiplexes de la Capitale. Il nous faut un endroit où nous puissions développer notre atmosphère, accueillir notre public comme nous en avons l'habitude. Et puis, il faut une grande salle puisque la salle du 44 qui fait plus ou moins 900 places est régulièrement remplie. Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore trouvé de solution, mais il y a des pistes solides qu'on explore. Rassurez-vous, nous ne serons pas à la rue pour notre 25è anniversaire que nous commencerons à préparer dès la fin de ce festival-ci.

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