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Gints Zilbalodis : « Les cinéastes devraient avoir peur des choses qu'ils font et repousser les limites pour ne pas faire la même chose encore et encore »

Publié le 08/01/2025 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Son deuxième long-métrage Flow, s’intéressant à un chat confronté à la nature, l’eau, la débrouille et d’autres animaux dans un monde imaginaire dénué d’hommes, a été présenté en mai à Un Certain Regard à Cannes. En juin, à Annecy, le film a obtenu les Prix du Jury, du Public, de la fondation Gan à la diffusion et de la meilleure musique originale dans la catégorie des longs-métrages. Gint Zilbalodis, réalisateur letton, n’a pas étudié l’animation, et s’est formé en autodidacte après plusieurs courts (tous disponibles en ligne) et un premier long-métrage autoproduit (Away).

Il fait partie des 5 réalisateurs en lice pour le Prix Lux du public 2025. Entre défis, visibilité du web, co-production et vivier local, le jeune cinéaste raconte son parcours et ses envies.

Cinergie : En aparté, vous m’avez dit qu’à chaque fois que vous faisiez un nouveau film, court ou long, vous cherchiez à apprendre des choses et à vous remettre en question. Cette idée m’intéresse surtout que vous n’avez pas appris l’animation dans une école dédiée.

Gints Zilbalodis : Oui, je pense que j'ai appris à faire des films en faisant des films, et j'ai fait un tas de courts métrages. J'ai essayé différentes techniques et j'ai découvert mes forces et mes faiblesses, mais même mes faiblesses, j'essaie quand même de les tester pour apprendre. Mon premier long-métrage, Away, je l'ai réalisé moi-même, ce qui a été un grand défi, rien qu'en termes de logistique et de travail à cette échelle. 

Pour Flow, je me suis lancé un défi en travaillant avec une équipe, ce que je n'avais jamais fait, et je me suis aussi lancé un défi avec des plans de caméra très longs, une chorégraphie très compliquée, comme l’animation de l'eau, ce qui est très difficile à faire. Et dans mon prochain film que je viens juste de commencer à écrire, j'essaierai de travailler avec des dialogues pour la première fois, et peut-être même avec des acteurs. J’ai un peu peur de cela, mais je pense que les cinéastes devraient avoir peur des choses qu'ils font et repousser les limites pour ne pas faire la même chose encore et encore, et arriver à quelque chose de nouveau.

 

C. : Ce nouveau projet est-il lié à l'animation, ou serait-ce une nouvelle étape en fiction, domaine que vous n’avez jamais investi ? 

G.Z. : Oui, mon prochain film est un long-métrage d’animation. L'histoire se prête vraiment à l'animation, tout comme Flow, avec les animaux. Je ne pense pas que nous puissions le faire d'une autre manière, il doit se faire en animation.

 

C. : Flow est une sorte de version longue d’ Aqua, l’un de vos courts métrages. Le film est en ligne. Était-ce important, quand vous faisiez des films par vous-même, de les partager ? 

G.Z. : Oui, j'ai commencé à faire ces films alors que j'étais encore à l'école, au lycée, et Aqua a été l'un des premiers grands films que j'ai faits. J'y ai passé un an et demi. C’est l'histoire d'un chat qui a peur de l'eau, mais c'est très différent de Flow, parce que dans ce film, l’accent est mis sur la relation entre le chat et les autres personnages, ce qui n'était pas le cas dans ce court-métrage. Et oui, cela a été très utile d'obtenir une certaine reconnaissance en ligne, cela m’a aidé à être motivé, parce que je savais que j'avais besoin d'aide. 

J’ai su de cette manière que mon travail fonctionnait, que les gens y réagissaient. J’ai envoyé aussi mes films en festival, et grâce à cela, j'ai pu obtenir des financements pour mes courts métrages, ce qui a été très utile, parce que je pouvais simplement, comme je l'ai dit, apprendre en faisant, et je pouvais me financer moi-même. Internet a été une bonne chose, et les festivals aussi. Cela m'a permis de réaliser mon premier long-métrage Away à un âge assez jeune. C’était un gros risque pour les financiers de m'autoriser à faire un film moi-même, je n'étais pas sûr de pouvoir y arriver, et j'ai dû ruser pour le faire. Je l'ai fait en quatre courts métrages différents, je l'ai divisé en quatre chapitres que j’ai financés en tant que courts métrages, au cas où ça ne marcherait pas. Au moins, j’aurais pu avoir quelques courts métrages, mais ça a marché, il y a eu un long-métrage à l’arrivée.

 

C. : Flow est coproduit par trois pays : la France, la Belgique et la Lettonie. Comment se porte l'animation dans votre pays ?

G.Z. : La Lettonie est un pays assez petit. Il n'y a que 1.8 million d'habitants, mais compte tenu de sa petite taille, il y a pas mal de films d'animation qui sont réalisés presque chaque année. Certaines années, il y a même deux longs-métrages qui sont réalisés, et un tas de courts-métrages aussi. Chaque film est assez différent. Nous n'avons pas de style qui unifie tous les films, et nous devons penser à des façons créatives de les faire. J’ai fait le film moi-même, c'était un film à très petit budget. Cela se développe maintenant, je pense que Flow va vraiment nous aider, au moins m'aider à obtenir un financement pour mon prochain film, et c'est ce que je veux continuer à faire. J'ai eu quelques offres pour travailler dans de plus grands studios américains, mais je pense qu'en restant en Lettonie et en travaillant de manière indépendante avec notre propre studio, nous pouvons raconter des histoires plus personnelles. Nous pouvons être plus expérimentaux avec les techniques, mais c'est aussi une bonne chose de bénéficier de coproducteurs en France et en Belgique. Flow est en quelque sorte une histoire sur la façon de travailler ensemble et de faire confiance aux autres, donc je pense que c'est tout à fait approprié pour ce film, mais c'est aussi une histoire que je n'aurais pas pu faire moi-même comme je l'ai fait pour mon film précédent, nous ne pouvions pas le faire uniquement en Lettonie, parce que nous avons des studios d'animation, mais notre industrie n’est pas énorme.  Ç’a été génial d'avoir des partenaires en France, il y a tellement d’animateurs excellents, nous avons pris le meilleur des deux mondes. Nous avons eu la liberté de faire le film comme nous le voulions et avons eu un très fort soutien de la France, mais aussi de la Belgique.

 

C. : Flow représente plusieurs animaux à l’image, avez-vous une préférence pour l’un d’entre eux ? 

G.Z. : Je pense que je m'identifie le plus au chat, parce que tout comme lui, j'ai dû apprendre à travailler avec les autres en faisant ce film, mais je m'identifie à tous les personnages, parce qu'ils sont tous à la recherche d'une connexion avec les autres. Ils cherchent leur place dans le monde. Je pense que c'est assez universel, nous n'avons pas d'antagonistes, on est tous liés. Peut-être que l'antagoniste est la nature.

 

C. : Vous avez évoqué la difficulté d'animer l’eau. Le chat, héros du film, a très peur de l'eau, mais il y a de très nombreux plans où il lui est confronté…

 G.Z. : Eh oui, l'eau est vraiment compliquée parce que dans chaque scène, nous devons presque développer un nouveau système. Par exemple, une eau plate et calme est un système. Mais si vous devez faire une mer agitée, c'est un outil complètement nouveau que nous devons développer. Si nous avons de la pluie, nous avons des éclaboussures, c’est la même chose. À chaque fois c'est comme si nous devions trouver de nouveaux outils. Heureusement, nous avions quelques artistes très talentueux et très techniques qui pouvaient comprendre tout cela. Mais ce n'était pas seulement technique, ils devaient aussi tenir compte de l’apparence. Nous ne faisons pas seulement quelque chose de complètement réaliste, nous avons aussi une façon de contribuer à rendre l'eau effrayante, ou plus calme, selon la narration.

C. : Vous avez présenté votre film à Cannes, puis à Annecy, et maintenant, au Parlement. Comment avez-vous appris à parler de votre travail ?

G.Z. : Heureusement, j'ai eu un peu de pratique avec Away,qui a participé à beaucoup de festivals, même si ce n'est pas aussi important que Flow. J'ai en quelque sorte appris en faisant. À chaque fois, à chaque interview, on apprend quelles réponses fonctionnent mieux. Je peux en quelque sorte développer mes réponses, et comme « Flow » est une histoire personnelle, c'est quelque chose que je comprends. C’est plus facile d'en parler que si je devais donner une conférence sur un autre sujet. J’y ai pensé pendant des années, je ne veux pas en révéler trop, je ne veux pas donner des réponses à tout, parce que parfois dans les interviews ou les sessions de questions-réponses, on me pose des questions sur des significations spécifiques, mais je veux laisser le public participer activement. Il doit penser aux significations par lui-même, donc c'est un peu délicat de trouver cet équilibre entre donner une réponse satisfaisante, et susciter plus de questions que de réponses à tout.

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