Retour sur le succès de Flow, Oscar et César du meilleur film d’animation. Avant une masterclass exclusive au Festival Anima, Cinergie a eu l'opportunité d'échanger avec Jonathan Bottazi, animateur 3D sur Flow, un film qui a récemment remporté l'Oscar et le César du meilleur film d’animation. Dans cette interview, il revient sur son expérience de travail sur ce projet unique, l’impact de cette victoire et les perspectives pour l’animation en Europe.
Jonathan Bottazi, Animateur 3D sur FLOW de Gints Zilbalodis
Cinergie : Quel a été votre rôle pour le film d’animation Flow, de Gints Zilbalodis?
Jonathan Bottazi: J’ai occupé une fonction d’animateur. Le projet a commencé l’an dernier. J’ai postulé dans l’équipe française, mais elle était complète. J’ai insisté un peu en mode : « Je vais vous envoyer ma bande démo, je vais faire le test d’animation et si ça vous intéresse, on continue ». Ils ont beaucoup aimé le test et ils l’ont directement envoyé au studio belge qui commençait deux semaines après. J’ai été directement pris par Carbone 14 et j’ai pu intégrer l’équipe belge.
C. : Vous avez travaillé sur quelle partie du film exactement ?
Jonathan Bottazi : En animation 3D, on était sur tous les aspects. Que ce soit les animaux, les bateaux, les objets… On travaillait en fonction du plan qu’on avait, bien sûr. On commençait par faire un blocking avec toutes les poses clés. Ensuite, on essayait de les fluidifier, puis de les « animaliser » : rajouter du poids, des petites intentions, des petits mouvements d’oreilles, qui plus tard donneront vie aux personnages.
C. : Quel fut le plus gros défi technique sur Flow en ce qui vous concerne ?
Jonathan Bottazi : Le défi technique principal, je pense que c’était la longueur des plans. On avait énormément de plans-séquences. Je crois que le plus long durait trois minutes. Et ça, c’était très, très nouveau en 3D, et finalement très nouveau en film d’animation. Mais c’est ce qui a propulsé le film sur le devant de la scène, je pense que c’est le fait qu’il soit aussi unique et poétique.
C.: Comment situez-vous le cinéma d’animation européen par rapport aux géants que sont Pixar et Disney aux Etats-Unis et Ghibli au Japon ?
Jonathan Bottazi : Ce sont des approches très différentes. Je ne m’attendais pas à ce qu’on ait le droit de se comparer à Pixar et à Disney. Mais finalement, c’est Flow qui a gagné l’Oscar de l’animation. Gints Zilbalodis a pris le parti de faire quelque chose de très différent. Il n’a pas essayé de reprendre la formule classique des films et de la narration, il a essayé d’être lui-même. Et c’est pour ça que je considère que c’est un film d’auteur à très grande échelle. En fait, il prend les risques qu’un court-métrage pourrait prendre, mais il les applique à un long-métrage. Je ne sais pas si la comparaison est permise avec le cinéma japonais non plus. C’est plus au niveau de la couleur et de la façon dont la lumière est très tendre dans le film qu’on se démarque. C’est plus un parti artistique qu’une volonté de se rapprocher d’un style existant.
C. : Vous avez travaillé sur Blender qui est un logiciel libre si je ne me trompe pas? Comment s’est déroulée la collaboration avec Gints Zilbalodis?
Jonathan Bottazi: Flow a été réalisé entièrement sur Blender et finalisé avec EEVEE. À propos de Gints, c’est une sorte de génie. Il a appris tous les corps de métier, tout simplement. Le fait qu’il soit compositeur, modeleur, réalisateur, directeur… Enfin, il sait tout faire, et c’est impressionnant.
C. : Est-ce que l’ intelligence artificielle a eu un impact dans ce projet ?
Jonathan Bottazi : On était sur Blender, c’est un logiciel gratuit, très puissant, qui nous a permis de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire avec d’autres logiciels standards du grand cinéma.
Personnellement, je pense que l’intelligence artificielle va faire des vagues. C’est quelque chose qui coûte peu et qui permet d’avoir du contenu vite et fort. Tant que l’industrie du cinéma aura en tête que le but premier est de faire du profit, il y aura cette tentation d’aller vers l’IA. Mais je pense qu’on va toucher le fond avant de réaliser que ce qui marche vraiment, c’est un film avec du cœur, avec une âme, avec une histoire forte. Et Flow l’a prouvé au monde entier.
C. : En Belgique, l’animation est souvent perçue comme un médium destiné aux adultes et à tous les publics, tandis qu’en France, elle reste majoritairement associée aux films pour enfants. As-tu ressenti cette différence en travaillant sur Flow ? Et plus globalement, comment compares-tu le travail dans l’animation entre la France et Bruxelles ?
Jonathan Bottazi : Oui, clairement ! En France, j’ai travaillé sur des séries pour enfants, tandis qu’en Belgique, j’ai bossé sur Flow, et la différence est frappante. D’ailleurs, le film a même été renommé en France : Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, pour mieux cibler un jeune public. J’ai trouvé ça très étrange, car ce n’était pas du tout une volonté du réalisateur. Maintenant, beaucoup de gens en France pensent que le chat s’appelle Flow, alors que ce n’est qu’une décision marketing.
Quant aux différences de travail entre la France et Bruxelles, c’est difficile à comparer, car Flow était un projet vraiment unique. Il y a sûrement des studios en Belgique qui fonctionnent avec une hiérarchie plus classique, mais sur ce film, on travaillait tous ensemble, avec une organisation très fluide entre les studios. C’était une expérience incroyable, qui sortait totalement du cadre habituel.
C. : Après une telle expérience sur Flow, comment avez-vous vécu votre retour sur d’autres projets ? Et cette aventure vous a-t-elle donné envie de vous lancer dans des créations propres ?
Jonathan Bottazi: J’ai refait un projet de série juste après Flow et ça a été un peu la douche froide, justement, de retourner dans un schéma classique avec une hiérarchie plus rigide. Par exemple, quand on a une question à poser au sommet de l’équipe, les allers-retours durent trois semaines et, quand on a enfin une réponse, l’épisode est déjà fini.
Mais dès que j’ai été pris sur Flow, je me suis dit : « OK, c’est le pic de ma carrière, il n’y aura rien de mieux ». Je serais ravi d’être agréablement surpris, mais je suis un peu parti avec ce postulat.
En revanche, ce que Flow a éveillé en moi, c’est l’envie de raconter ma propre histoire. Parce que finalement, Gints avait presque tout préparé : huit ans avant le début de l’animation, le film était presque fait. Il manquait juste une animation plus propre, plus poussée. Il avait déjà un layout très bien, la musique, les personnages, l’histoire… Et ça, ça m’a donné envie de me lancer dans mes propres projets.
C. : Vous pensez organiser une petite fête après cette victoire incroyable aux Golden Globe, aux Césars et aussi aux Oscars ? Il y a quelque chose de prévu ?
Jonathan Bottazi: On a gardé un groupe avec toute l’équipe, donc tous les studios restent en contact. Hier soir, pendant les Oscars, tout le monde suivait la cérémonie en direct. Moi non, parce que je devais me lever à 6h pour venir ici ! Mais clairement, l’excitation était là. On savait que le film était nominé dans deux catégories : Meilleur Film International et Meilleur Film d’Animation. Personnellement, j’étais ravi que ce soit l’animation qui ait gagné, parce que c’est là où on voulait briller. C’est cette catégorie qui représente le mieux notre travail.
Pour en découvrir plus sur Flow :
L’interview de Pierre Mousquet, le responsable de l’animation : https://www.cinergie.be/actualites/pierre-mousquet-directeur-animation-de-flow-de-gints-zilbalodis
L’interview de Gregory Zalcman, de Take Five: https://www.cinergie.be/actualites/take-five-gregory-zalcman
Le blocage est une technique d'animation dans laquelle des poses clés sont créées pour établir le timing et le placement des personnages et des accessoires dans une scène ou un plan donné.